jeudi 14 février 2013

Yousra


Je ne la connaissais pas. On écrit, on écrit, elle nous lit ses pages, mais on n'avait jamais échangé autrechose que Bonsoir, à la semaine prochaine.
Et voilà qu'elle me parle.
Je reconnais son sourire chaleureux, il fait partie d'elle, même pendant qu'elle écrit.
Mais stylo posé, ses mains libres en disent autant que sa voix, elles se croisent, se détachent, se tendent, se replient, elles volent.
Et en trois minutes, je découvre. Je découvre qu'elle a un chat, une grosse boule noire qui dort près d'elle, se réveille avec elle à 6h30 au son de la radio, écoute avec elle un peu de musique classique pour ouvrir la journée, et puis miaule, c'est lui qui parle le premier.
Je découvre que la radio tient de la place dans sa vie: Radio classique, France Culture, musique, actualités.
Je découvre que le chat passe en premier, elle prépare d'abord son repas à lui.
Et puis elle pense à elle, presse deux oranges, prépare un café, grignote quelquechose.
Elle hoche la tête, ça y est, ça va mieux, la journée peut commencer, plus qu'à cavaler...
Après ce petit intermède, j'écouterai son écriture autrement.

Le réveil de Francine


Le jour s’est levé et elle sommeille encore paisiblement peut être.
Et puis un rayon de soleil pénètre dans la chambre et ses paupières lourdes s’ouvrent au monde.
Plus de réveil qui martèle « lève toi maintenant ! » .
Elle est tranquille. 
Vraiment tranquille. 
Tranquille…
Un peu trop tranquille…
Seule sans doute mais pas si peinarde que cela.
Parce qu’elle veut tant parler, partager, entendre ceux qu’elle aime.
Alors, à peine réveillée, c’est animée du désir des autres qu’elle sort de sa chambre et se dirige vers « le lien ». Ce téléphone qui chaque matin lui permettra de raconter le temps d’une minute ou d’une heure ses premières impressions, ses premières émotions…
Le cercle des amis proches, que le réveil matin a laissé tranquille aussi, reconnaissent sa sonnerie matinale. 
C’est elle qui appelle, ce sont ses premiers mots de la journée et ils sont pour eux.
Elle en parle avec un petit sourire espiègle.
Ce petit rituel qui la met en forme tous les matins entre huit et neuf.
Son moment à elle, partagé, une petite conversation suspendue dans le temps, avant le thé, les tartines, la journée, la vie ...

La route de l'oubli

Tenter l'aventure, il avait toujours eu envie de tenter l'aventure !
Que ne l’avait il rêvé ! Voulu ! Désiré !
Partir loin, le plus loin possible, ne plus se retourner, marcher, pas après pas..  
Et puis courir et oublier… Tout oublier…
Il croisera tant d’hommes, de femmes, marchands, grands seigneurs ou humbles gens.
Il courra des routes vertigineuses, plates, redondantes, extatiques ou perdues.
Il savourera les arômes, les parfums inédits, les épices oubliées et les fleurs interdites.
Il aimera ardemment, pour un jour, une nuit avant de reprendre sa route pour nulle part, à l’ombre de l’oubli.
Sa route pour ne plus douter.
Courir ou ne pas courir, lorsque la peur vous serre la gorge et le ventre…

Attente


Quelqu'un attend, quelqu'un qui n'aime pas attendre, quelqu'un qui n'attend jamais.
Il s'organise toujours pour ne pas avoir à attendre. Si un train est en retard, il préfère le rater.
Mais là, aujourd'hui.
Debout? Assis, jambes croisées avec désinvolture? Les cent pas dans le couloir?
Il est fatigué, fatigué, fatigué d'attendre, fatigué de courir.
Angoissé à l'idée que demain, peut-être, il ne pourra plus courir.
Et si ce moment d'attente n'était que le premier, le premier jour de patience, le dernier instant avant qu'il ne devienne un patient?
Salle d'attente, c'est écrit sur la porte.
Pourquoi ne pourrait-on voir un médecin à une heure précise, avec un rendez-vous qui serait respecté de part et d'autre?
Des gens attendent aussi, tous assis, apparemment tranquilles, plus tranquilles que lui. Il les observe. Deux pianotent sur leurs portables, une grosse dame lit une revue. Une autre, plus mince, regarde le plafond. Tranquille. Ou sous tranquillisants? Il ya aussi un psychiatre dans ce cabinet médical.
Et lui, aura-t-il besoin de tranquillisants? Aura-t-il droit aux tranquillisants?
L'image de sa mère surgit, qui lui répétait: Tiens-toi tranquille. Déjà!
Sa mère. Heureusement elle a disparu. Il n'aura pas de mauvaise nouvelle à lui annoncer. Elle ne saura pas.
Cela le soulage. S'il doit être cloué au lit pour de longs mois, s'il doit devenir un patient amorphe, puis un agonisant douloureux, elle ne le saura pas.
Une porte s'ouvre, il se dresse comme un ressort...
Ce n'était pas pour lui, ce n'était pas le Docteur Machin, le célèbre oncologue marseillais. Pourquoi l'a-t-il convoqué? Pourquoi a-t-il refusé de lui donner ses résultats par téléphone?
Il se cale sur sa chaise, soupire. La lassitude commence à l'emporter sur l'énervement.
Il attend.

Quelqu'un


Quelquepart quelqu'un n'est plus le quelqu'un que je croyais connaître
Quelquepart quelqu'un a changé
Ce quelqu'un bientôt ne sera plus quelqu'un pour moi
Quelqu'un je vais le laisser s'éloigner
Quelqu'un je ne le reconnaitrai plus
Quelqu'un triste, quelqu'un gai, quelqu'un clown
Zut pour moi, je n'aime pas les clowns
Quelqu'un, zut pour moi, il est gai et je l'aimais triste
Quelqu'un dans les nuages
Quelqu'un sur une autre planète
Quelqu'un ne me parle plus
Quelqu'un ne m'aime plus
Quelqu'un je ne l'aime plus
Quelqu'un, quelquepart, je suis seule
Quelqu'un, une nouvelle fenêtre

mardi 5 février 2013

Dicographie

    Unique : adjectif hermaphrodite. Avec lui le néant prend fin, mais la vie attendra un ou une autre, tout aussi unique, pour surgir.
    Vin : boisson alcoolisée à base de jus de raisin fermenté. Connu depuis Picrate le vieil vinaigri, cette simple boisson trace à sa façon la frontière entre Oc et Oïl.
    Vague : l'eau prise en étau entre le vent et la terre.
    Concierge : Etymologie contestée: viendrait du bas français : Siège l' R con. En tout cas, un être à écouter: il sait tant de choses sur vous, surtout ce que vos voisins lui en ont déjà dit sans oser vous le demander.

Marthe

Marthe déplie ses lunettes avant de parler. Elle prend chaque branche dans chaque main et les pose, face contre terre avant de les ceindre pour nous dire ce qu' elle vit, en ce moment.
    Elle est une vigie, jumelle du phare du Planier. Tous les jours elle s'assure qu'il est bien là, plusieurs fois par jour même. Et elle lui fait face, comme son complément. Lui se fait repérer, et elle repère. Comme les marins attachent parfois leur vie à cette lueur qui parfois se refuse, elle attache sa vie à un chat, rebelle mais présent, à ces êtres, inconnus, ou à ces lieux, si connus.
    Selon le moment de la journée, Marthe pose son regard sur l'habitude, confirmée ou contredite par un accroc dans la courbe lisse du temps qui passe. La scène, vue depuis l'étage supérieur de son duplex du Corbusier est-elle confirmée par un réexamen contradictoire depuis la loggia inférieure? Ou bien un grain de sable a-t-il grippé pour une fois la mécanique bien huilée du Géant Casino, qui allume ses lumières avant son ouverture, puis les éteint "pour ne pas gaspiller l' électricité" ? Elle interprète, de son échauguette, les silhouettes de ces buveurs sur la restanque d'en face, proche de l 'église de Sainte Anne, et leurs horaires élastiques.
    La mer, elle, est toujours là. Marthe la contemple, le phare les comtemple. Et la mer se contemple elle-même.