mercredi 26 juin 2013

Une année d'atelier


Je me souviens du premier mot, du premier signe que chaque lundi soir j'ai posé sur la feuille blanche, avec hésitation toujours, avec entrain souvent, avec fatigue parfois, si la journée avait été longue, avant. Mais le stylo, lui, se moquait de mes états d'âme et écrivait.
Je me souviens de la question: qui sera là ce soir? Qui viendra, ne viendra pas?
Je me souviens de mon regret que mes deux copines écrivaines de l'année dernière n'aient pas persévéré.
Je me souviens de ma recherche effrénée, non, effrénée c'est trop fort quand même, pour donner du sens à un texte quand les consignes faisaient tout pour que justement il n'en ait pas.
J'ai oublié la teneur de nos textes, et je regrette de n'avoir pas de traces de ceux de Marthe, souvent si jolis.
Après deux ans d'écriture je ne sais toujours pas ce que je cherche, je n'écris toujours pas toute seule chez moi, il me faut la présence des autres, leur bienveillance, pour me lancer.
Mais je me souviens des moments de plaisir, de joie partagée à l'écoute des écrits des autres, des rires, de l'émotion, ce qu'il y a de meilleur.

Entre toi et moi



Entre toi et moi il n'y a qu'une lettre de différence. Entre toi et moi, il n'y a que quelques minutes d'existence.
Il y a une heure à peine, tu étais moi, j'étais toi. Une seule personne. Et puis tu as surgi de mes entrailles, tu as poussé ton premier cri, et une partie de moi est devenue toi, que je contemple enfin.
Je plonge mon regard dans le tien, je suis plus étonnée que toi. Je croyais te connaitre et ce n'était qu'imagination.
Maintenant aussi, j'imagine. Car toi, si petit et dépendant, que seras-tu demain? Toi enfant, toi homme, toi vieillard, tu es là, déjà, devant mes yeux, en devenir.
Je suis tout pour toi aujourd'hui, et petit à petit je devrai m'effacer, disparaitre, pour que toi tu vives.
Mais toujours, dans un froncement de sourcil ou l'ourlet d'une oreille, l'allure de la démarche ou un geste machinal, je serai là, en toi, encore, quand je ne serai plus là.

Ma maison



Dans ma maison il y a une porte.
Celle par laquelle tu rentres, celle par laquelle je sors. Certains jours elle est grande ouverte. Certains jours elle est verrouillée et aucun coup de sonnette ne la fera ouvrir. Ca ne dépend pas de la température extérieure, ça dépend de la température intérieure.
Derrière la porte, la pièce à vivre, à manger, à rire, à dormir, à s'embrasser, à rêver. Des fois un grand feu brûle dans la cheminée, ça crépite, ça sent bon, ça vit et ça discute. Des fois personne n'allume le feu ni n'ouvre les volets, personne ne l'habite, il y fait glacial et la chaleur extérieure ne doit pas y pénétrer.
Au fond un escalier monte à la chambre. Escalier discret, pièce secrète, peu de privilégiés l'ont déjà vue. J'y dors bien, le lit est moëlleux, la fenêtre donne sur une petite cour fleurie et calme.
Au dessus encore, il y a un grenier, rempli de bric à brac de toutes sortes, de toutes époques, souvenirs familiaux ou trophées de brocante. Quand les enfants arrivent dans ma maison, ils s'y précipitent, ils y ont tous les droits, on ne les reverra pas de la journée.
Sous la maison il y a une cave. Je ne sais pas ce qu'il y a dedans. Je n'y suis jamais allée

jeudi 13 juin 2013

Fantasmagories 2/2

(art de faire parler les fantômes en public)

Onde vivante, elle émerge, somme somnambule, essaim de quantités inquantifiables. Fantôme collectif mû par une énergie incontrôlable, ce nuage  tisse de fils invisibles une toile de cortex réflexes. Le repère s'y perd. Force et frayeur, beauté ou horreur, les valeurs disparaissent dans cette masse passive, massive, qui s'immobilise, se meut, s'élance à un pas erratique qui n'appartient qu'à elle, cahotique en diable. Une et multiple, son sort est grégaire. La foule, fusionnelle, affole...

Fantasmagories 1/2

(art de faire parler les fantômes en public)

Je passe juste assez souvent aux infos, mais pas trop. De graves experts tentent de me cerner, aussi maladroitement que régulièrement, et je prends un malin plaisir à les laisser s'égarer pour les voir revenir plus tard sur les mêmes écrans, de plus en plus dégarnis mais de mieux en mieux nourris. La peur est mon arme de point d'actu, la prédictibilité de la rapacité humaine me nourrit plus qu'abondamment, moi aussi. Seuls quelques rêveurs, prêcheurs d' inutile, me chatouillent les pieds de leur naïveté, peu sonnante, mais trébuchante.
Le cynisme est mon armure, la vénalité des marchands et l'imagination de leurs mathématiciens m'arrosent quand la moisson tarde à venir. Seul l'argent est mon maître.  Je suis l' indice boursier, l'indice de la peur mondiale.