jeudi 31 octobre 2013

petit point sur moi

Petit point sur moi
Huguette Bailly, née Bruscoli, c'est  écrit ainsi sur les papiers où on m'a fichée. pas toujours, à une époque, j'étais Bruscoli Huguette, troisième fille et oui encore une, d'Irmo et Elise. Bruscoli jusqu'à mes vingt ans et là je suis devenue une Bailly, façon de parler, j'étais toujours pièce rapportée et la chaîne a continué ainsi avec Bertrand et Amandine puis la naissance de leurs petits. Et oui, je suis mémé et pépé n'est plus à mes côtés.
On m'a cataloguée l'instit, la rigidité, la droiture, la froideur. Ils n'étaient pas là ces beaux parleurs quand je riais, dansais, chantais, mimais avec "mes petits". Les compétences, je m'en balance, la personne a pour moi plus d'importance. Retraitée, je suis fière d'avoir semé un peu de folie, d'amour des petits riens de la vie, de la fierté de petites taches accomplies, je suis fière d'avoir raconté des fables tout en stimulant l'émerveillement des leçons de choses d'Henri Fabre.
Et la mienne de folie?Je voudrais bien la faire sortir elle aussi, je compte sur vous pour en venir à bout et réveiller ma fantaisie. On m'a souvent reproché une certaine distance, étrange pour moi qui conçoit la vie que dans les échanges. Il serait temps d'estomper cette faille entre le dehors et le dedans, de lisser les plis, les fissures, de travailler l'unité comme le ferait sur le tour un potier.
Mais de quelle nature est cette cassure? Une carapace pour m'aider à faire face, pour cacher une sorte d'épouvante, faire croire que je suis grande, être exemplaire pour te plaire, t'attirer pour m'aimer, me protéger. Mais tu m'as laissé sur le chemin et cette silhouette incertaine que vous voyez au loin, c'est moi, je me promène à l'orée d'un bois entre odeurs d'enfance, clochers lointains et sève de sapin; entre rires dans la clairières et questions d'amante et de mère. Et ce sac bien chargé, je voudrais trouver l'horizon pour le déposer.
Je me cherche parfois et j'espère pouvoir dire un jour:" Me voici, me voilà, c'est moi" avant que le loup me guette au coin du bois.

la vieille photo

La vieille photo
Un jour d'été à en juger par la tenue des enfants, pas par la couleur, la photo est en noir et blanc. Le pourtour ondulé, blanc nacré, amène un peu de lumière au quartier. En effet , le cadre est gris, des portes de garages métalliques, un chemin poussiéreux, une moto déglinguée, des herbes folles montant à l'assaut d'une masure écroulée, un muret de pierres disjointes sur lequel sont assises les fillettes. Elles portent des robes à carreaux, rallongées de volants, les robes ont du vêtir d'autres enfants avant, des socquettes de dentelle dans des chaussures montantes bien lacées, elles doivent faire mal aux pieds. Les tresses serrées tombent sur les épaules, elles ont du être nouées d'une main de fer par des mamans pressées qui pourtant ont pris le temps d'amidonner les rubans.
Il doit être 14h. environ, l'heure où on met les enfants dehors, mais elles ne semblent pas rejetées, elles ont l'air heureuses de se retrouver en bas de cet immeuble décrépit dont les lessives animent le gris. A côté d'elles, trônent des poupées aux visages de porcelaine. Au sol, à leurs pieds, des sacs de jute remplis de laine, des cartons de vieux tissus, des aiguilles, des fils à broder subtilisés dans les ateliers. Elles aussi se doivent d'habiller leurs filles, elles font vivre tous ces rébus, la photo semble s'animer, elles sourient, elles sont tellement amies. Leurs visages sont tranquilles et je vois de la couleur dans leurs ouvrages de dames qui se trament.
Cette photo n'existe pas, on ne faisait pas de cliché à cette époque dans mon quartier, pourtant sont imprimés en moi ces parenthèses d'amitié et ce temps partagé.

mercredi 30 octobre 2013

recomposition?

recomposition?
Il a brisé le miroir, il ne veut plus se voir, plus exactement, il veut se voir autrement. Il veut abandonner son bureau jonché de pinces, d'élastiques et autres ustensiles qui étriquent, étouffent, pincent et piquent.
Sortir, sortir, partir, embarquer sur la mer, voguer vers l'île au trésor, chercher les pépites dans les vagues scélérates, oublier la peur, avancer comme un chasseur contre le vent, se persuader que la vie est sucrée, accueillir toutes rencontres: hommes nains, femmes géantes, araignées volubiles créatures sans cils. Toute contrée est bonne à visiter. Toutefois , il faut se munir de quelques billets, on est toujours obligé d'échanger ne serait ce que pour ne pas se dessécher. Quelques pièces peuvent aussi vous éviter d'être mangé, brûlé, torturé ou sacrifié. Le monde est vaste et présente de multiples facettes.
Mais en rentrant, va-t-il recollé le miroir? L'image aura-t-elle changée, se sera-t-elle recomposée?

lundi 28 octobre 2013

emploi du temps d'un après midi d'octobre

Des papiers, des papiers, des formalités, des relevés de banque, des contrats d'assurance, des adhésions, des réversions, ils m'ont même fait supprimer ton nom. Ils n'en n'ont jamais assez, il leur faut un duplicata, un certificat et moi dans tout ça, moi il me vient l'envie de tout déchirer, de t'appeler pour m'aider. Quelle idée, tu m'as quittée pour l'éternité.
14h. Je descends dans le hall, raz le bol. Là, des papiers légers volent, la porte s'ouvre et ils tournent, valsent au souffle léger, eux aussi sont dans l'éternité, dans le mouvement perpétuel,soumis aux forces de la nature, dans un système de mesures bien pensé, harmonisé. Ils me rappellent tes manèges de porcelaine, la même recherche, la matière et les nombres associés dans la marche du monde.
Mais eux, ils ont accepté, ils se sont abandonnés à ce mouvement réglé, ils se laissent aller; moi , je suis révoltée, effrayée par nos chemins brutalement séparés.
15h, je remonte, je change de papiers, ceux là, ils ne sont pas rangés dans des dossiers, ils sont fixés sur mon frigo par des aimants témoins de nos voyages, de nos promenades du temps où on était amants. Ces papiers là, ils chantent, me murmurent à l'oreille que la vie est belle. Ils parlent de contact avec la terre, d'atelier , de liberté, de fenêtre ouverte et même de courant d'air. Ils me proposent une plongée dans des espaces atypiques, me parlent de gymnastique et de botanique. Je pousse la porte de la villa Perle Blanche et accompagnée d'un serpent à plumes, je monte sur les planches. Je ne vais tout de même pas déclamer!
Alors à 16h.30, j'ai pris la main du petit et on est parti."Dis mémé, c'est quand qu'on va où?"( chanson Renaud)
"On verra, tiens regarde sur la pierre au soleil, un ragondin se lisse les moustaches, il y a des amis sur le chemin et si on mangeait une glace à la pistache! On pourrait lire un bouquin, j'ai découvert une bibliothèque dans mon immeuble et la musique aussi, elle dansait sur les murs, je te jure!"
18h. "C'est l'heure de rentrer, maman vient te retrouver.
18h.30 Seule chez moi, j'ai ouvert l'agenda, rayé la croisière, c'était pour un autre temps, le temps d'avant, le temps où tu étais présent.
Maintenant je ne vais pas voguer sur l'eau, je vais passer le pont, un pont dont tu avais ébauché la construction, sans plans définitifs comme tu en fais des millions, juste un crayonné pour m'empêcher de chanter:" Pour passer le Rhône, il faut être deux, pour bien le passer , il faut savoir danser..."
Je suis seule te je ne sais pas danser mais je vais tout de même construire le pont, j'espère que sur l'autre rive il fera bon. Je laisserai le temps en moi s'acheminer tout en lui superposant le temps du calendrier pour que des espaces de "vivre ensemble" me redonnent l'élan et la confiance.
19h. Je prépare le repas, lui fera toujours partie de mon agenda. Pourtant tu m'avais dit:" au corbu, je te ferai des petits plats". La mort a mis fin au calepin de la maison et dans ma conjugaison il n'y a plus de on, de nous, de tu, plus que les deux boucles du je.
Mais c'est une autre discussion et je noircirai un autre papier à son sujet!

dimanche 27 octobre 2013

Et si le hasard en avait décidé autrement

Elle aurait eu 18 ans à Paris. Ses parents, artistes lui auraient ouvert un monde où elle aurait eu le temps de penser à la vie, à sa vie. Elle aurait fait du théâtre, de la peinture et de la danse. Très tôt elle aurait écrit aussi. Elle aurait rencontré des musiciens, des metteurs en scène. Elle aurait exploré sans se lasser jamais des univers de mots, de gestes, d’émotions. Elle n’aurait reçu et donné que de la beauté, de la vérité. De celle qui console.

Elle serait née au 19 ème siècle dans le Montana. A 5 ans elle aurait eu un poulain. Elle n’aurait jamais appris à lire. Elle aurait aidé ses parents à s’occuper du bétail. Elle aime les bêtes, leurs yeux paisibles, leurs museaux doux et chauds. Elle aurait appris à égorger un cochon sans lui faire peur, ni mal. Elle aurait galopé des journées entières dans les plaines Elle aurait eu 6 enfants. Ils auraient été libres, pied nus, cheveux en bataille, en salopette et toujours barbouillés de confiture. Le travail, les saisons, les fêtes, 12 petits enfants. Elle aurait vécu sans trouble et puis elle serait morte entourée de toute sa famille parce qu’il était temps, et qu’il neigeait. Près de la fenêtre, son petit fils préféré jouait doucement du banjo.

Elle aurait pu aussi naître en Mongolie. Elle aurait galopé dans le vent et l’espace immense, ouvert. Elle aurait fait l’amour en plein air avec un chaman. Celui qui fait pleurer les chameaux. Elle n’aurait jamais appris à lire parce qu’elle n’aurait jamais su ce que pouvait être un livre

Si elle avait eu la terrible malchance d’être un garçon de 20 ans en France en 1960. Il serait parti en Algérie, sans avoir rien compris. Là-bas, avant d’être avalé par l’horreur, il se serait laissé glisser dans la mer, à l’aube, après avoir dormi une nuit dans les ruines chaudes de Tipasa et le parfum des immortelles.

samedi 26 octobre 2013

Les mots doux

D’où viennent ces mots ? D’où ? Doux-amer, la mer, amertume, écume
Pour voir quel temps il fait ici ou là, chez moi
Ici il fait confiance, mains ouvertes et cœur calme
Automne somptueux, caressant, joie profonde, gratitude muette
Et c’est l’éternité
Bientôt, un vent acide et âpre mord la peau, raidit la nuque, assèche la bouche
Durcit le regard
Là il fait doute
Manque, manque, manque
Attente, attention, tension
Douleur prête à bondir
Ca y est, ça mord, ça tord
Tempête, violence
A terre, atterrée, apeurée, affaissée, disloquée
Arrêtez !
Le temps, le temps, le temps
La mer est là, elle attend, peut-être
Etale et grise, elle s’offre, apaisante
Pour elle, en offrande, la pluie a rincé la lumière
Il pleut
Ca crépite et ça grise, ça tangue et ça chavire
Ca danse
La soirée sera musicale et douce

vendredi 25 octobre 2013

je m'appelle

Je m’appelle Jacqueline mais c’est Prune que j’aurais aimé m’appeler. Ce qui dit le mieux ce que je suis c’est ma participation à des ateliers théâtre. Là on voit, on voit des choses qu’on aurait aimé ne jamais voir. Moi, c’est Prune que j’aurais voulu m’appeler et c’est souvent Cactus que je sens, que je vois se révéler dans ces ateliers. C’est une femme pointue, un balai dans le cul que je vois. Elle est précise et claire alors que je me sens plutôt Brume ou Prune. Ce cactus là il est bien facile de lui rogner les piquants. Il me semble qu’une fois dépecé, épluché le cactus, on verra, à l’intérieur, une Prune mûrie au soleil, très mûre même et très sucrée, juste un peu acide encore autour du noyau.

La photo oubliée

Cette photo qui aurait pu la prendre ? Une petite fille de 6 ans. Elle est surexposée cette image en noir et blanc, aujourd’hui toute pâlie. Elle est surexposée parce que le soleil entre à flot par la fenêtre ouverte. Il est peut-être 6 heures du soir, c’est l’été. Toute la journée la chaleur a tout écrasé. La petite est sans doute par terre, sur la fraîcheur du carrelage, dans l’ombre. Elle n’est pas dans la photo. Elle aurait pu y être. Mais là, elle a vu, à contre jour, la silhouette d’une jeune femme nue qui faisait sa toilette. Les gouttes d’eau éclaboussent de blanc la chevelure brune. Sous les cheveux un sein, un éblouissement. Cette photo, personne ne l’a faite. Ce jour là, ce sein là, cette lumière là, ces éclaboussures de soleil et d’eau dans les cheveux, sur la peau, personne d’autre que la petite n’aurait pu les voir. C’était peut-être interdit de voir, de voir ça, ce jour là, pour cette enfant là.

mercredi 23 octobre 2013

La chambre bleue


Entre quatre murs, une pièce peu spacieuse. Aucune porte, aucune fenêtre, aucune issue. Au centre de ce décor, un lit muni de quelques draps qui, autrefois, avaient du adopter une couleur immaculée, et qui à présent, abordaient un gris délavé, usé par le temps. Seul mobilier de cette pièce confinée, dont les murs d'un bleu semblable à un ciel d'été rendait ce lieu plus vivant, plus chaleureux. Il en était de même pour le parquet grinçant sur lequel reposait le lit, prêt à défaillir d'une seconde à l'autre. Cependant, le bleu qui composant le sol se trouvait être plus sombre, plus sinistre, en totale contradiction avec la couleur vive des murs. Ces murs imposants qui paraissaient infranchissables, scellant ce lieu à jamais. Et ce sol si incertain, qui grinçait à la moindre brise de vent qui parvenait à s'infiltrer dans cette chambre si peu commune. Ce bleu qui emplissait la pièce, rappelait le ciel qui nous éblouissait le jour, et celui bien plus sombre, qui enfermait le monde dans une obscurité totale...

Au sein de ce décor bleu, au coin d'un angle de la pièce, une jeune fille recluse se trouvait là, recroquevillée sur elle-même, la tête nichée au creux de ses genoux. Elle se balançait d'avant en arrière, et ce, depuis des heures, et même des jours. Complètement indifférente à la pièce dans laquelle elle se trouvait, elle demeurait ainsi depuis une éternité. Par moment, elle raclait machinalement le parquet grinçant de ses ongles jaunâtres, aux longueurs démesurées. Vêtue d'une simple nuisette pâle, elle était frêle, et paraissait si fragile, si démunie. Elle ne nous inspirait que pitié. La peau sur les os, elle ne devait rien avoir avalé depuis des jours, si ce n'est quelques croûtons de pain, qui ,abandonnés sur le sol, ne donnaient aucunement l'eau à la bouche. De temps en temps, la jeune fille relâchait la pression de ses bras enserrant ses genoux, et, dans un soupir inaudible, elle soulevait le visage, encore dissimulé sous une cascade de cheveux or. D'un geste lent et fébrile, elle retirait de son visage sa longue chevelure crépue, nous laissant entrevoir deux yeux d'un bleu azur, qui comme fous, balayaient la pièce sans un arrêt, ne se fixant jamais sur un seul et même point bien précis. Mais, soudainement, un changement radical d'attitude saisissait l'étrange jeune fille et se levant d'un bond, elle laissait son regard se perdre dans la couleur vive qui composait les murs. Comme obnubilée, elle ne parvenait à en détacher son regard, qui s'accrochait désespérément à cette vision. Qui sait, cette couleur lui rappelait probablement le ciel azur qui éblouissait les journées. Des souvenirs affluaient alors, la condamnant à se souvenir inlassablement de la liberté, qui, autrefois, lui appartenait...
« Autrefois ». Ce seul mot qui se glissait entre ses milles pensées l'obligeait à affronter une nouvelle fois la vérité. Elle demeurerait pour l'éternité dans cette cage bleue. Son regard dérivait alors fatalement vers la sombre couleur du parquet, et l'emprisonnait une ultime et dernière fois dans l'obscurité de la nuit, elle s'y abandonnait, et regagnait son coin isolé, où elle passait ses journées depuis si longtemps...

"Je suis si faible. Je me laisse ainsi enfermer depuis tant de temps. Si le courage et l'espoir vibraient encore en moi, je lutterais pour accéder à cette liberté que je désire ardemment. Mais, ils m'ont tout enlevé. Dès l'instant où j'ai été abandonnée dans cette pièce, tout m'a quitté. Il me semble que cela fait des lustres que je n'ai pas aperçu la lumière du jour. Que le soleil n'a pas caressé ma peau pâle avec douceur, tandis que le vent n'a pas secoué quelques unes de mes mèches or. Je rêve d'un repas digne de ce nom, comme on m'en servait durant ma plus tendre enfance. A l'époque où le monde se préoccupait encore de mon existence. Je me souviens de ma mère qui me concoctait bien des plats goûteux dont je raffolais. Elle m'engraissait jour après jour, ne souhaitant que mon bonheur. Elle y parvint, durant un temps. Mais, le bonheur n'est qu’éphémère, et lorsqu'elle me fut enlevée, la joie qui m'envahissait m'avait littéralement abandonné. Toute émotion positive n'était plus, remplacée que par un champ de désolation et d'effroi.
 Le premier jour, c'est à peine si je parvins à réfléchir clairement, la peur de cet isolement me broyant de l'intérieur. J'ai cru mourir de cet effroi si douloureux et si tenace. Mais, mon cœur tambourinait inlassablement dans ma poitrine, me signifiant que je vivais, et que je vivrais cet enfer jusqu'à ce que la faucheuse ne toque à ma porte.
A présent, je ne suis plus qu'un amas d'os empilé qui tient à peine encore debout. A l'égal du seul mobilier qui compose cette pièce, je vais défaillir d'une seconde à l'autre, pour pousser mon dernier et ultime soupir... Je fixe avec dégoût les croûtons de pains rassis abandonnés sur le plancher, si peu goûteux, incomparables aux plats si délicieux auxquels j'avais droit lorsque mon monde ne s'était pas encore écroulé. Je tente de puiser un maximum de force pour pouvoir me battre contre cette fatalité.
 Pour pouvoir rappeler au monde que j' appartiens toujours.
Je veux raviver la flamme de l'espoir. Je suis comme une moisissure collée au talon d'une chaussure. Une moisissure qui dépérit à vue d’œil, mais qui demeure toujours bien présente. Ils auront beau m'enfermer pour tenter de m'oublier, je serais toujours là. Prête à me déchaîner contre l'injustice de la vie. Prête à faire entendre ma voix. Peu importe les murs qui se dresseront face à moi, je les abattrais tous en un hurlement strident ! 
Et, alors, le monde se souviendra de moi...
Du moins, si je parviens un jour à lever ma carcasse du plancher, et à retrouver l'usage de la parole.





mardi 22 octobre 2013

La petite princesse aux éléphants (La légende du riz gluant).

C'est dans le nord de la Thaïlande, à Tchang Maï que naquit Bao. Là-bas, on l'appelait la petite princesse aux éléphants.
L'adolescente avait une particularité que lui enviaient toutes les jeunes filles du faubourg.… deux seins potelés et ronds comme jamais on n'en avait vu en ces contrées de platitude.
Chao sa cousine avait à peine un an de plus et à peine deux petit boutons pas plus larges qu'un champignon parfumé.
Chin sa voisine était pourvue de deux loloches pointues et plates ayant l'étrange contour d'une feuille de coriandre.
Chong, déjà fiancée à Dong ,s'arrachait les cheveux devant le miroir à cause de ses deux seins, pas plus épais qu'un grain de riz gluant trempé de la veille.
 Bao, elle, coulait des jours heureux sur son éléphante, humant le parfum des orchidées, se promenant dans la forêt profonde…
Un beau matin, l'éléphante de Bao mit au monde un beau bébé éléphant à la trompe vigoureuse, toutefois, elle était un peu courte, en réalité bien trop courte...
On le baptisa Kong afin d'assurer sur lui les meilleurs auspices.
Mais dans les faubourgs de Tchang Mai tout le monde, jaloux de Bao, s'en prenait à son petit Kong raillant sa trompe ridicule et jusqu'au fond de la forêt aux orchidées on entendait pleuvoir les rires et les moqueries.
Alors,
le vieux cornac Lee qui aimait l'enfant, et la sorcière Ho la convoquèrent en secret.
Ils lui enseignèrent une recette magique à base de riz gluant, de ciboule, et de sauces mystérieuses, savoureuses et piquantes. Le met était connu des ancêtres et de quelques gnomes tapis dans les bois.
Cette recette était indiquée pour prodiguer aux femmes une pléthorique lactation. L'enfant nourri de ce lait magique deviendrait à coup sûr, grand, fort, vigoureux… Un plat de Prince !
Bao, revenue dans sa maison, sa terra seule en cuisine. Elle prépara avec grand soin le riz gluant aux aromates . Elle avait déjà grand faim quand le fumet céleste envahit tout le quartier. Elle engloutit avec appétit sept bols de ce délice. Repue, elle s'installa alors dans le jardin, sous le manguier où aimait à jouer Kong. Elle attira à elle l'animal docile et ouvrit son corsage de soie. L'éléphanteau douillet la  téta goulûment.
Les mauvaises langues, les méchants et les badauds qui guettaient par là , furent ébahis par le tableau. Tous partirent  en des directions opposées et à toutes jambes pour colporter par les villages.
Chao, Chin, Chong et Dong accoururent, et que ne virent-elles pas alors stupéfaites ?...
La trompe de Kong qui s'était allongée, si longue et si vigoureuse  qu'il parvenait à happer les mangues mûres sur les plus hautes branches  !
C'est depuis, qu'alors, dans le faubourg, on fredonne à l'unisson sur un vieil air français de Georges Brassens :
« Quand Bao dégrafait son corsage
Pour donner la gougoutte à son Kong
Tous les gars, tous les gars du Mékong
Ils l'ont strong, strong, strong, strong
Ils l'ont longue. »
                                                                  Lao Sha


Une pincée de sésames.

Le boucher a l'œil vitreux.
Un peu comme les bouzoulouf[1] derrière la vitrine réfrigérée .
La blouse défraîchie maculée de sang noir sec  et rouge frais.
Elle voit des particules de moelle et d'os sur les bords de ses manches.
Une grosse mouche bleue rôde…
C'est le milieu du ramadan.
Gras, sous ses cheveux noirs ombrés de pellicules blanches, ses yeux de fatigue et deux tasses de  cerne comme des citernes de nicotine. Le boucher.
Elle le regarde, elle la cliente.
C'est son tour.
La mouche bleue est posée sur des tripes de mouton.
Il la regarde. Lui, le boucher.
-C'est votre tour. Il sourit et la distrait…
Elle sursaute à ses mots sans relâcher sa vigilance. La mouche…
Elle voit ses dents moussues, elle détaille son haleine au-delà de la banque réfrigérée.
15 jours sans manger, 15 nuits à la Marlboro rouge, tu parles d'un cow-boy....
L'appel des grands espaces, dunes infinies, villages de pisé, océan d'étoiles, le souffle du narguilé et la galette de semoule qui rougeoie au creux des braises comme un cœur dans la nuit, là, silhouette d'un dromadaire immobile.
-Madame,yahamoualdék,[2] c'est à vous !
Elle revient
elle est là, la mouche, elle la guette, la cliente, posée sur une barquette de poitrine d'agneau.
Posée sur sa cible. Elle va pondre. Il faut faire quelque chose.-
-Je voudrais des cubes de mouton.
-Tu veux des cubes de l'épaule ?
-Non.
-Des cubes de gigot ?
-Non, non.
-Des cubes de poitrine d'agneau en promo ?
-Non, non, des petits cubes pour la soupe. Des cubes lyophilisés.
-Achkoun[3] lyophilisi ?
-Y a des belles côtelettes, des scalopes, des viandes hachis pour les boulettes, des volailles, des merguez pour faire griller, des hasbanes[4] de veau...

Non..., il va me déballer toute l'artillerie lourde de la boucherie halal…
Il se réveille, un éclat dans la pupille noire, il la regarde l'œil lubrique, elle ferme sa veste d'un geste pudique.
Elle rencontre la mouche immobile. Poitrine d'agneau farcie… Trop tard, c'est fait. Elle voit les œufs, pas plus inquiétant qu'une pincée de sésames lovés dans un creux de chair.
Il ne la quitte plus des yeux, lui le boucher.
Il se délecte de cette nourriture terrestre qui manque, pendant ces trente jours d'abstinence. Allah Akbar.
Elle revient… Les cubes…
-Des cubes de mouton !
-Ah ! des quiiibes, là-bas à la caisse. Pour toi c'est cadeau.
-Mais, pour la chorba, c'est meilleur si ti mets la poitrine d'agneau toute fraîche, de toute beauté…
-La prochaine fois, merci.
-Merci… ? De rien !
Il postillonne sur les biftecks, il déglutit bruyamment.
Elle voit la mouche s'éloigner à tire-d'aile, légère et heureuse. Sa descendance assurée. Allah Akhbar.

nicole 




[1] tête de mouton
[2] .s'il vous plait.
[3] qu'est ce que...
[4] panse farcie
Sur le sol de la cuisine rue Jean de Bernardy.

Depuis longtemps, droits comme deux  i sur le matelas maigre. Au-delà des persiennes, la lune blanche et décapante comme de l'acide sulfurique trace au peigne des rayures  sur nos rétines
alors, l'œil  de l'autre surgit dans la pénombre
Alors, voilà la Lolita, celle du palier d'en face avec des jambes qui n'en finissent pas
alors, elles, descendues d'une jupe à volants irisés ; dans les replis de l'étoffe, un obscur objet
Cavité, ovale, humide, ourlée de poils comme des cils.
Lui, comme un i, chausse dans sa main voluptueuse une charentaise jusque là rangée, sage, sur la tomette rouge .
Il la passe sur mes  rondeurs, duvet de laine sur duvet de peau il descend, à mesure que sa chandelle monte
il fredonne, il susurre et parcourt en saccades une forêt profonde toute en ramilles crissements et sueurs
alors, la Lolita sans les volants se fait horizontale. Elle est là, au sol, petit o au milieu de nous deux i
alors, nos armes digitales explorent une conque inconnue, secret de l'ombre éblouie par flashes  sous l'acide blanc de la lune
alors, lui écluse avide  nos essences de chair
alors, elle, toute en ailes consume le pâle plumeau
et la lune tourne et se perd et disparaît en même temps que nos souffles ébahis
nous chantons à l'unisson tels des sirènes, des cascades, les  roulis au loin dans la fontaine des Danaïdes
alors, la nuit descend chamane des ténèbres et l'air se fait silence
alors, depuis longtemps nous, droits comme deux i sur le matelas maigre,
le matin avance, puisant sans se lasser à la chamade de nos songes
À l'impossible nul n'est tenu.

Nicole


jeudi 17 octobre 2013

Papa fraises



Papas fraises

La vie ça repart m’avait dit mon ami cri.

Au fond du jardin, prés de la grille, il y a des fraises. Cela fait trois ans qu’elles sont là. Quand je suis arrivé ici, à la petite campagne, c’est la première chose que j’ai planté. C’était pour ma femme que j’avais fait ça. Une sorte de bouquet de fleur. Maintenant c’est le printemps, j’entends les oiseaux qui piaillent. J’entends aussi le pouvoir qui piaille. Je ne peux m’en empêcher.

Ces fraises, je suis un peu inquiète pour elles. Cette année, elles se sont fait attaquer par une bande de folle avoine et de sainfoin qui leur ont bouffé l’espace vitale. Tout de suite, je suis intervenu. J’ai tout arraché. Puis je les ai regardées, d’un œil protecteur. Je me suis levé, comme un père qui regarde son fils, puis je les ai scrutées pour voir si tout allait bien. J’attends impatiemment le mois d’avril, mois où elles vont se réveiller. Parfois je les caresse, je leur lève les oreilles, je regarde si tout va bien. Cri est d’accord avec moi : elles ont l’air d’être bien tes fraises. Il est resté devant, en fumant. Il a respiré un bon bol d’air, puis il a livré son verdict : oui oui pierre, elles sont bien tes fraises. Il est resté encore un moment, à les fixer, puis il a fallu y aller, et nous nous sommes promenés dans le jardin, comme deux erres. C’était le printemps, là aussi. Nous nous arrêtions devant des petites fleurs. Cri savait tous les noms. Il me les donnait comme des cadeaux. Il s’est baissé prés d’une fleur toute bleue. Il l’a prise dans ses mains et il m’a dit son nom. Bien sur j’ai tout oublié. Surtout que c’était du latin. Mais je n’ai pas oublié la voix de cri, sa façon qu’il avait de me dire ça, ses genoux qui touchent le sol, la douceur dans sa voix.
Sa petite est arrivée comme un oiseau qui s’envole et il l’a prise dans ses bras. Quand il la regarde sa fille, tout s’arrête, et les soucis du boulot s’envolent comme une armée de pigeon. Les enfants, c’est aussi un moment où l’on se retrouve avec son palpitant, où l’on ne calcul plus. Fini les retraites, les ceci, les cela. Fini les calculs, ce vieillissement de l’âme qui te confine au ressassement. Moi perso, à tout juste quarante ans, si je n’avais pas le chant des enfants autours de moi, je serai devenu vieux avant l’heure, je ne ressemblerai plus qu’à un vieux calcul tout rassis.

Cri est là, les yeux dans ceux de sa fille. Ils se parlent. Demain, il faudra qu’il aille au boulot, qu’il se coltine la corvée, sans envie. Mais là, il a sa fille dans les bras. Un bon moment.

Elle s’en va. Je devrai dire, elle s’envole. Avec son seau plein d’eau sur la figure, elle va se barbouiller dans un coin du jardin. Nous entendons ses petits babillages quand elle fait ça ; ça nous caresse l’âme à tous les deux. Nous sommes dans le jardin allongé dans des transats. Dis moi cri, est ce que ça te dirait d’aller voir les autres fraises. Il dit oui. Et finalement il dit non. Il dit qu’il est bien là sur son transat. Il a un rayon de soleil qui lui arrive sur le coin de la gueule. Ça lui tire la commissure jusqu’aux confins de l’oreille. Ça dure comme ça une éternité. On dirait presque les vacances.
Puis il commence à faire froid. Le soleil passe les montagnes, il faut rentrer. Cri me demande à quelle heure je commence demain. Je lui réponds que je ne préfère pas trop y penser.
Maintenant il n’y a plus qu’à se laisser porter par le courant, à laisser nos deux corps s’acheminer doucement vers la porte. Nos visages s’éteignent. Nos voix s’amenuisent. Tout disparaît dans l’embrasure de la porte. Le jardin est maintenant silencieux. Ils résonnent encore un petit peu des corps et des voix qui étaient là. Mais c’est fini. La journée est finie. C’était un dimanche.