mardi 30 octobre 2018

Rêve 2- La Vérité



Il jouait souvent près du puits, à côté du cimetière. Je le voyais car je passais par là chaque jour à vélo pour me rendre à l’école. N’y allait-il pas, lui, à l’école ? Nous nous y retrouvions tous, les enfants du village, et nous connaissions tous. Mais lui n’y allait pas et cela m'intriguait. J’imaginais alors qu’il fréquentait l’institut St Joseph à Marsans, que sa mère l’y menait en voiture, comme d’autres enfants des villages alentour, et qu’il l’attendait près du puits. Lorsque je revenais de l’école il était déjà là, alors que je rentrais bien vite pour me mettre aux devoirs et aller jouer ensuite. Lui, semblait commencer par jouer. Cela aussi m’étonnait et aiguisait ma curiosité pour ce garçon chargé de mystère.

Je fis sa connaissance le jour où le chat de la boulangère me fit tomber. Ce vagabond de chat ne trouva pas mieux que de traverser subitement la route devant mon vélo. Je freinai brusquement pour l’éviter, alors que je passai près du puits, et mon vélo ripa sur les graviers. Je me retrouvai par terre, à peine écorchée, un peu abasourdie, nez à nez avec l’enfant qui riait. Je me mis à rire aussi et osai le questionner. « où est ta maison ? » ? Le garçon pointa son doigt vers la maison grise aux volets bruns, à l’angle de la rue. Je ramassai prestement mon vélo et sautai sur ma selle.

Je m’éveillai soudain et me redressai d’un bond. C’était l’heure de se lever.

En allant à l’école, je vis  le garçon qui jouait près du puits, à côté du cimetière. Et le soir en rentrant, il était encore là. Mon regard se tourna vers la maison grise aux volets bruns, toujours fermés, comme si elle était vide ou si les gens étaient partis en vacances. Était-ce vraiment sa maison ?

L’orage grondait ce matin là. Maman m’emmena à l’école en voiture. La pluie se mit à tomber très fort et les essuies-glaces à osciller très vite. Il pleuvait tellement que c’est à peine si on voyait la route. On ne distinguait pas le puits à côté du cimetière. En passant près de la maison grise aux volets bruns, je questionnai :
-           « qui habite là ? »
-          « Ce sont des gens qui sortent très peu. Ils sont malades », répondit maman.
-          «Quelle sorte de maladie, pour qu’ils n’ouvrent jamais leurs volets ? », poursuivai-je ?
-        « le monsieur boit, et la dame est dépressive »


Je ne comprenais pas davantage quelles étaient ces sortes de maladie mais ne posai pas plus de question ; les adultes s’expriment parfois de façon incompréhensible lorsqu’ils n’ont pas envie de parler. Cela semblait être le cas et je savais que questionner davantage ne servirait à rien.

Il plut toute la journée et le soir encore, lorsque maman revint me chercher. La pluie ne s’arrêtait pas de tomber, il tonnait à grand fracas, les éclairs striaient le ciel et le vent faisait ployer les  arbres en rugissant. L’enfant était près du puits.
-          « N’as-tu pas peur ? » lui demandai-je ?
-          « J’ai toujours peur dans le noir. Il faisait noir dans le placard », commença-t-il à raconter.
Un coup de tonnerre assourdissant retentit dans la nuit.
-          « J’ai cassé la porte et me suis enfuis »
Un éclair illumina la rue et le puits à côté du cimetière
-          « Il m’a rattrapé près du puits », continua-t-il. « j’ai ressenti un coup qui me fit très mal, suis tombé, et une lumière éblouissante m’a aveuglé. »

Maman venait d’allumer la lumière ; je devais me lever.

La pluie avait creusé des crevasses au bord de la route, des fossés avaient débordé, inondant la chaussée, des murets s’étaient effondrés et des branches jonchaient la route. Mieux valait ne pas prendre le vélo et maman m’accompagna de nouveau à l’école. Nous vîmes une ambulance s’éloigner de la maison grise aux volets bruns et devant, un attroupement. Maman s’arrêta et descendit de voiture pour dire bonjour et demander ce qu’il se passait. Je la suivis, voulant savoir aussi.
-          «  Il a reçu une tuile sur le crâne. Il a une belle entaille et ça saignait bien. » Expliqua l’une des femmes qui étaient là. « Ils l’ont emmené à l’hôpital », poursuivit-elle.
-          « Pauvre homme, l’orage lui aura apporté encore bien du malheur », reprit une autre
-           « Oui, pauvres gens, pauvre homme. Il a déjà bien du mal d’avoir perdu son fils », acquiesça une troisième, accompagnant ses paroles d’un triste hochement de tête.

C’est alors que de ma bouche jaillirent les mots de la Vérité : « c’est lui qui l’a tué » !


dimanche 21 octobre 2018

Rêve 1- L'enfant qui jouait près du puits




Il jouait souvent près du puits, à côté du cimetière. N’avait-il pas d’ami, pas de frère, ni de sœur ? Savait-il que je l’observais ?

Vint le temps des vacances, nous partîmes en voyage tout l’été. Puis ce fut le retour, les feuilles jaunissaient, la rentrée approchait. C’était le temps des  cahiers neufs, des gommes et des crayons, du cartable qu’on essayait. C’était l’heure des vêtements chauds, gants, bonnets et écharpes,  que l’on inventoriait pour préparer l’hiver. C’était toute une excitation qui animait la maisonnée.

Reprenant nos habitudes, nous fîmes une visite au cimetière. Maman s’y rendait chaque dimanche depuis le départ de Grand-mère, et je l’accompagnais. Alors que nos pas crissaient sur les graviers de l’allée qui mène à  l’imposant portail de ce grand jardin calme, j’entendis une voix : « pourquoi n’es-tu pas revenue ? »

Mon regard se tourna vers le puits, d’où provenait la voix. Il était là, qui jouait. Je l’avais oublié et lui il était là, dans notre rituel retrouvé,  dans l’immuable décor du grand mur de pierre blanche, du chemin gris, des arbres centenaires, du puits abandonné. Il me connaissait donc, ou me reconnaissait. Quelque chose nous liait, une étrange amitié, un secret partagé, un mystère protégé. Je lui fis un sourire.

La rentrée fut joyeuse, les souliers poussiéreux, la maîtresse méthodique, et nous étions heureux.

Les journées s’écoulaient au rythme des saisons, nos jeux s’improvisaient au gré de nos imaginaires, les cahiers se remplissaient, se coloriaient, se froissaient, se corrigeaient. Les cabanes se construisaient, se défaisaient, se refaisaient. Et toujours le dimanche, nous allions au cimetière.

J’aimais ce rituel car inlassablement, nous passions près des tombes. Nous nous y arrêtions soit pour enlever l’herbe, y mettre quelques fleurs, ou bien les arroser. Ce que je préférais, c’étaient les histoires. Maman me racontait qui était cette dame, une cousine lointaine, que  donc faisait cet oncle, son rôle à la mairie, où était leur maison, avaient-ils des enfants. C’était toute l’histoire des habitants du village que maman connaissait, et tous étaient reliés, soit par un mariage, des affaires communes, un voisinage, ou même la Résistance. Alors venait le récit de la guerre, les anecdotes. La visite au cimetière était tour à tour cours d’histoire, chronique villageoise, récit d’une société dont les us et coutumes m’étaient dévoilés. Les dates sur les tombes nous amenaient aux robes de l’époque, aux voitures à cheval, aux menus de communion, aux bals, aux réveillons. Et je m’étais habituée à voir le garçon qui jouait près du puits. Il m’était familier.

De vacances en rentrées, le collège approchait. Un nouveau monde nous attendait, et même si grandes sœurs et grands frères nous en avaient parlé, nous avions tant de questions. Ils racontaient que nous allions changer de classe et de professeur à chaque heure. ça, je n’y croyais pas ; les grands nous font toujours marcher.

Je partis pour l’internat, avec mon frère. Les weekends étaient denses  et trop courts : les fournitures à acheter, le linge à laver, les devoirs à faire, et tant de choses à raconter aux amis du village.

Nos visites au cimetière s’espacèrent, sans que je n’y prenne gare. Les choses évoluaient, se transformaient, tout naturellement, et moi je grandissais. Cependant chaque fois, il y avait les fleurs, ou l’herbe, et l’eau, les histoires, et le garçon qui jouait près du puits.

Il y avait tant de fleurs, le jour de la Toussaint. Elles étaient arrivées là comme par enchantement, toutes en même temps. Pourtant le cimetière était calme, on n’y voyait personne, ou presque. Alors que nous allions avec notre arrosoir, une dame était là, près d’une tombe blanche. Maman s’en approcha doucement, lui dit bonjour. La dame se redressa et dit bonjour aussi. Elles se firent un sourire, elle semblaient se connaitre. Evidemment qu’elles se connaissaient ; maman connaissait tout le monde. La tombe était jolie, toute fleurie, surmontée d’un ange peint en or. Il y avait un médaillon en forme de cœur, et dans le médaillon, une photo accrocha mon regard. Je laissai échapper la question : « qui est-ce ? »

Ni maman ni la dame n’entendirent ma question. Je ne reçus aucune réponse. Nous fîmes le tour des tombes, celles de notre famille, sans dire un mot cette fois. Il y avait plus de monde, il ne fallait pas déranger, et moi j’étais troublée.

En sortant du cimetière, le garçon était là. C’était le même visage, celui de la photo. Il avait donc un frère ?

Les vacances furent froides et pluvieuses, nous allumâmes la cheminée. Arrivèrent les premières règles, comme arrive une grippe ou une crise d’appendicite, dont on ressort patraque, en colère, de mauvaise humeur. Je repris le chemin du collège, de semaines en weekends, de devoirs en contrôles, jusqu’aux vacances suivantes, les vacances de Noël. Enfin un peu de fête, de gaîté, l’occasion d’oublier les devoirs. Enfin un peu d’enfance, retrouvée parmi les décors du sapin, les  guirlandes et les étoiles. Enfin un peu de rêve. Je me risquai alors à poser la question, par un après-midi tranquille, seule avec maman.

« Qui était ce garçon sur la photo, au cimetière ? » C’était l’enfant de la dame. Il était mort quelques années auparavant.

« De quoi est-il mort ? » Il jouait près du puits, à côté du cimetière. Il était tombé dedans.

«  Et son frère, tu le connais ? » Il n’avait pas de frère, ni de sœur.

« Mais cet enfant, qui joue toujours près du puits, il lui ressemble. » Quel enfant ?

« Ne l’as-tu jamais vu ? Moi je le vois tout le temps, chaque fois que nous allons au cimetière. ». Il n’y avait plus d’enfant près du puits, à côté du cimetière.

« Il n’y a plus d’enfant ? »

Nous allâmes au cimetière, je ne vis pas l’enfant. Et j’avais mal au ventre, les règles étaient là, j’avais envie de pleurer.

Jamais plus je ne le vis. L’avais-je abandonné, le garçon qui jouait toujours près du puits ? Ou bien était-ce lui qui s’en était allé, emportant mon enfance ?