« Vite,
rattrapons-là !»
« Nous arrivons »,
lança le garçon, pointant du doigt la nappe bleue argentée.
« Où
allons-nous ? » Lui demandais-je ?
« A la mer »
La rivière, ou plutôt le fleuve,
nous conduisit jusqu’à la grande étendue. Alise se colla contre notre vaisseau,
nous invitant à la rejoindre. Nous nous y installâmes prudemment et une vague
nous souleva délicatement pour nous déposer doucement sur le sable.
« Pourquoi m’as-tu amenée
là ?»
« C’est toi qui a voulu
venir », répondit le garçon.
« Je n’ai rien
demandé », m’étonnai-je.
« Mai si. Tu demandes
toujours tout. tu veux tout savoir, tu poses tant de questions. Je t’entends
questionner : Mais où et donc or ni car, qui que quoi donc où, combien,
comment, pourquoi… »
« Tu vois, encore une
question. Alors ici, tu auras toutes les réponses »
« C’est ici que s’écrit Tout l’univers ? »
« L’univers ne s’écrit
pas »
« Tu te trompes. Moi je lis Tout l’univers. Lorsque j’aurai fini de
lire tous les volumes de l’encyclopédie Tout
l’univers, je saurai tout sur tout. Et plus tard je serai savante et moi
aussi j’écrirai dans Tout l’univers,
pour faire connaitre toutes les découvertes que les hommes font chaque jour ».
« C’est vrai, l’univers est infini. Chaque jour les
savants en découvrent un peu plus, et c’est sans fin. Tout savoir sur tout veut
dire tout savoir sur tout ce qui a déjà été découvert. Ça sert à en découvrir
d’avantage, à aller plus loin. »
« Mais pour quoi
faire ? »
« Moi je voulais seulement
savoir à quoi servait de vivre.»
« Le sais-tu
maintenant ? »
« Peut-être. Peut-être que
cela m’a servi à venir ici, dans ce lieu si beau et paisible. Et peut-être
aussi que cela m’a servi à te rencontrer, à me faire une amie. Là-haut je n’en
avais pas, j’étais toujours seul dans ma maison près du puits. »
Tout en bavardant, nous étions
arrivés jusqu’à l’oasis. Nous nous assîmes sur une pierre couverte de mousse soyeuse.
Des rochers formaient des cuvettes dans lesquelles coulait en cascade une eau claire,
créant des gouttes de lumière qui éclataient en libérant des notes cristallines,
tandis que tombaient des pétales parfumés. Il semblait qu’un spectacle était donné
pour nous accueillir. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’à s’émerveiller.
Je commençais à avoir faim. Combien
de temps étais-je restée là, à contempler l’eau qui ruisselait, et cette feuille d’alisier rougie par l’automne, immobile devant moi, stoppée dans sa course
par les herbes qui bordaient le ruisseau. Je courus vers la maison. Une odeur
familière de pain grillée acheva de me réveiller.
« Dépêche-toi, nous allons à
Rochebelle aujourd’hui ! » lança mon frère, déjà affairé à préparer
seaux et épuisettes.
Grand-père avait décidé de nous
emmener pêcher des crabes. Nous empruntâmes le petit bac qui nous emmenait dans
l’île. Bottes aux pieds, chacun muni d’un seau et d’une épuisette, nous traversâmes
la plage où nous avions l’habitude de nous baigner et arrivâmes jusqu’à la
pointe formée par les rochers, barrière naturelle qui empêchait de nous
aventurer plus loin. Mais ce jour là, c’était marée basse et Grand-père nous
autorisa à contourner le roc avec lui. La mer brillait sous le ciel irisé de
nuages clairs, créant une lumière nacrée. L’îlot de rochers couverts de mousse
était creusé de flaques, les vagues chantaient, des buissons fleuris poussaient
sur la dune. Je reconnus la plage.
« Que fais-tu là,
Alise » ?
« Je suis bloquée ici, bien seule. J’attends
que la marée monte et m’emmène »
« Où veux-tu aller ? »
« Je veux partir réaliser
mon rêve, voguer longtemps sur les flots et peu à peu me désagréger pour
devenir plancton et briller comme mille étoiles. »
« Je ne crois pas que cela
soit possible. Les feuilles des arbres ne deviennent jamais plancton. Ce n’est
pas leur destinée ».
« J’aimerais au moins
essayer. Pourquoi penses-tu que je me sois enfuie du bois ? je n’ai pas
envie de finir en composte. »
« Si tu veux briller comme
les étoiles, pourquoi ne t’envolerais-tu pas ? Le vent pourrait t’emporter
bien haut dans le ciel, tu traverserais l’atmosphère, t’enflammerais comme une
météorite et irais rejoindre la voie lactée. »
Ma proposition semblait plaire à
Alise.
« J’aimerais beaucoup, mais
comment faire ? »
« Dans quelques jours c’est
l’équinoxe. Une grosse tempête est annoncée. Il y aura assez de vent pour
t’emporter là où tu le désires. Mais d’abord il faut te faire sécher, tu seras
plus légère »
Comme Alise était d’accord, je la
ramassai pour l’emporter chez moi.
« J’en ai trouvé
aussi ! » triompha mon frère. « Et toi, Louise ? »
Je lui tendis mon seau, fière de
ma jolie feuille.
« On la mettra dans la
soupe ! » dit-il en tentant de s’en emparer.
« Jamais ! »
répondis-je en le poussant pour l’éloigner d’Alise.
« Cessez de vous chamailler
et rentrons. » ordonna Grand-père
De retour à la maison, je
disposai Alise sur le radiateur de ma chambre, entre deux feuilles de buvard.
Elle sécha bien vite. Vint le jour de l’équinoxe. Le vent rugissait dans les
arbres, emportant tout ce qu’il pouvait sur son passage. Le moment était venu
de laisser partir ma feuille, que je mis dans le vent, la suivant des yeux un
moment avant de la perdre de vue.
Le lendemain le vent s’était
calmé. En allant à l’école je passai près du cimetière et aperçus le garçon qui
jouait près du puits, une feuille d’automne au creux de la main. C’était Alise.
Mes amis étaient tous deux réunis. Ils ne seraient plus jamais seuls.