vendredi 25 décembre 2020

La Prisonnière

 

Je ne partage ma prison avec personne.

Ma prison ne pèse pas bien lourd mais elle est très pesante.

Je suis prisonnière de mon corps.

Mon corps fonctionne, il n'a aucune tare. Pourtant, lui et moi, avons du mal à cohabiter. C'est un corps à états d'âme qui a sans cesse son mot à dire. Chaque jour, nous nous combattons sans pitié, un jour je gagnerai.

Alors je serai légère, sans entrave. Le matin, je me lèverai sans boule au ventre. Mes jambes ne seront pas en coton. La peur soudaine et sans raison ne me paralysera pas. Le jour pâle qui se lève au-dessus des toits frissonnants ne sera plus comme une montagne abrupte à escalader. Je serai forte, musclée, tonique. Exit la fatigue, je randonnerai de l'aube à la nuit. Finies les crises d'angoisse dans le métro quand il stoppe brusquement entre deux stations et s'éteint. Plus de sueurs froides mais du sang froid! Je monterai jusqu'au dernier barreau d'une grande échelle sans avoir le vertige. J'irai caresser les nuages. J'oserai prendre la parole en public sans avoir les oreilles qui bourdonnent, les mains moites et le cerveau aux abonnés absents.

Enfin, j'aimerai les fêtes. Je n'y ferai plus tapisserie. J'oserai, je danserai! J'irai au beau milieu de la piste et je danserai. Mon corps ne se raidira pas, ne pensera pas aux regards posés sur lui. Mes bras et mes jambes seront parfaitement coordonnés et s'abandonneront à la musique. Oh comme je danserai! Oh comme j'aimerai ça!

dimanche 20 décembre 2020

 Tissage entre phrases et tableau

Toute l’équipe s’est installée dans une contrée inconnue, un peu de repos sera bienfaisant pour la troupe, la fatigue se faisait sentir. Acrobates, clowns et magiciens ont franchi la frontière de nuit par des chemins de montagne. Ils ignoraient l’état d’urgence de ce pays inconnu. Ils se trouvèrent confinés sur le territoire.Les contrôles étaient fréquents. « Rien à offrir à la patrie, alors vous devez partir ! »Chaque visite de la gendarmerie finissait en cris, vociférations et insultes.

Pour échapper à ces agressions, Fiona décrochait son cerceau et filait au bord de mer, la distance n’était pas insurmontable, elle trouvait toujours la direction qui accentue la pente.Un matin, au détour d’une rue, elle rencontra un homme complètement vêtu d’un simple pantalon, elle s’approcha, il lui demanda son pain, elle n’osa pas refuser, il l’impressionnait mais quand elle croisa son regard, elle ressentit au creux du ventre une vague pareil à l’ouragan, ils s’embrassèrent, plus rien ne la forçait à continuerson chemin, serrés l’un contre l’autre, ils se réconfortaient, acceptaient ces temps troublés. Ils étaient dans l’éblouissement de la rencontre. Ils oubliaient le temps pourtant elle devait rentrer. « Peut-être qu’ils prendront mal que nous ayons été  ensemble cette nuit »lui murmura l’inconnu au creux de l’oreille.En voyant arriver le patriarche, elle posa son doigt sur sa bouche, elle lui demanda gentiment de ne plus rien dire. En quelques secondes, le chef fût sur le couple enlacé, le coup de couteau dans le dos la fit sursauter, trembler de la tête aux pieds. Une goutte de sang tomba de ses lèvres, il s’écroula sur les pavés.

« Tu ne crois pas aux anciens, idiote, pourtant, la vieille ne t’avait rien caché,tu savais que ça arriverait, tu as rencontré le diable, tu es contente ! Mauvaise fille, marche devant moi, désormais tu ne sortiras pas »

Fiona a été mariée quelques années plus tard à un homme de la roulotte voisine, elle a eu une fille qui ne ressemble à personne de la tribu. Cette belle enfant a grandi, souvent elle demande à sa mère : « je sais que tu ne dois rien dire, mais conte moi quand mêmele secret de ma naissance, c’est une si belle rencontre. »

 Libération

Les applaudissements, elle salue, elle sourit, de ce sourire forcé qu’elle ne supporte plus. Encore une heure et ce sera fini, elle sortira. Elle a tout prévu, elle sortira par la porte de derrière, elle passera par l’arrière- cour pour être certaine de trouver une poubelle. Elle les jettera ses patins, elle les recouvrira de cette dernière tenue pailletée, elle ressentira certainement un pincement au creux de la poitrine mais c’est le prix à payer pour sa liberté. Elle partira en courant vers la plage, elle se déchaussera, elle marchera dans le sable, elle laissera ses pieds s’enfoncer, se faire chatouiller, ils ont tant souffert, elle remuera ses chevilles, elle caressera ses orteils meurtris, elle chassera de sa tête ces injonctions quotidiennes : « Reprends, pas assez d’élan, qu’as-tu fait de ta nuit ? Encore une fois, que diable applique toi, tu n’y es pas ! ». Là, elle y sera, elle sautera sans compter ses pas, sans se soucier de toucher le sol à la mesure 33, elle écoutera la musique du vent. Le soir, elle ira au pub avec ses copines, elle boira quelques bières sans se soucier de l’effet sur son régime, elle rentrera au petit matin, elle ne calculera pas ses heures de sommeil. Elle se promènera avec son amoureux, dans son regard, elle oubliera les gestes douteux de son entraineur, ils se baigneront de soleil, plus de chute sur la glace, de la douceur, rien que de la douceur. Elle savourera sa nouvelle vie à la terrasse d’un café, elle aura une petite pensée pour Gérard, elle l’imaginera criant dans les vestiaires, elle a la clef au fond de sa poche.

Quand il sera libéré…il ira…  

dimanche 13 décembre 2020

 Phrases en petites histoires

Il enseignait dans ce village depuis vingt ans, il avait consacré sa vie à son école, il avait conduit la plupart de ses élèves au certificat d’études. Tout le monde semblait l’apprécier et pourtant un matin, il est parti, meurtri par les rumeurs qui circulaient sur lui, il n’a jamais compris.

 

 Ce matin de décembre, la petite famille Plantin part en forêt, il est temps d’aller couper le sapin qui décorera le salon pour les fêtes de Noël. Ils avaient déjà les lumièreset les décorations fabriquées maison. Ils cheminaient dans la neige quand l’arbre convoité se présenta devant eux, tout fier sur le talus givré. Le père leva sa hache pour mettre à terre le jeune arbre quand il aperçut au creux des branches, un nid, il laissa tomber son outil et expliqua aux enfants la valeur de la vie. Depuis, chez les Plantin, quand arrive la fin d’année, on cueille des branches sèches, on les peint aux couleurs de l’arc en ciel et les oiseaux chantent autour de la maison.

 

Poucette a grandi. « Il est temps de marier notre fille » déclara le roi Arthur. « C’est la plus jolie, la mieux éduquée du royaume, nous lui trouverons facilement un prétendant »On commençait les convocations, les jeunes hommes affluaient, les préparatifs des noces animaient le château quand Gontran du royaume d’Octavie déclara la guerre aux frontières. Il fallut mobiliser les forces vives du pays. Tout adulte en âge de guerroyer fut envoyé sur le champ de bataille.

« Ouf ! »s’écria la petite princesse, «  la guerre c’est pas drôle mais le mariage l’est encore moins ! »

 Entre ciel et terre

La pierre, il a toujours aimé cette matière. Petit déjà il allait dans les carrières, se couchait sur les blocs pour écouter le son de la terre, il caressait les veines, s’imprégnait de ce monde premier. Puis il voulut la faire parler, extraire ce qu’elle a dans ses profondeurs. Il voulut dégager son âme de la gangue enveloppante. Il commençait en douceur, la caressait, l’admirait puis quand il se sentait en harmonie avec elle il la travaillait pendant des jours et des jours, quand elle résistait, il la brusquait. Au petit jour, quand l’essence des entrailles se révèlait, il passait sa main rugueuse sur les formes naissantes et là elle apparaissait, ils se rencontraient, un vrai bonheur. Il a beaucoup exposé, il a connu quelques échecs parfois la pierre était muette. A tant sculpter, il se sentit prisonnier, il était en elle, il fondait son corps avec elle. Un jour, il entendit gémir, était-ce elle ou lui ?

Il eut envie de légèreté, envie de voir l’horizon, le ciel, le lointain, les nuages là-bas. Il voulut flotter dans l’espace mais se sentit incapable de quitter cet élément qui l’avait façonné, usé. Il devait garder le contact. Il entra dans le monde des rêves, il se surprit à ne rien faire, à rester dans son imaginaire, il a écrit des chansonnettes pour des rondes enfantines mais il avait besoin de s’ancrer pour rester lui-même. Il ne voulait pas décoller. Il finit par trouver l’équilibre entre ciel et terre.  Suivant son humeur, il choisit le barreau de l’échelle, plus ou moins près du sol, plus ou moins près du ciel.

 Une vie ailleurs

Des mois qu’Anna fait des cauchemars, elle se réveille toutes les nuits, terrorisée, des ombres veulent l’étrangler, la perforer, l’embrocher, la cuisiner aux petits oignons et la dévorer. Au moment d’être croquée, elle sursaute et tombe en panique.

Elle a tout essayé, l’hypnose, les psychiatres, les massages, les médicaments, rien n’est efficace. Elle essaie les bains aux huiles essentielles accompagnés d’un joint de cannabis. Pas habituée à ces vapeurs, elle hallucine rapidement, elle voit des poissons rouges dans la baignoire, s’envole entre deux mondes, tout ça est agréable mais elle que devient - elle ? les mégots s’entassent, l’atmosphère de la maison devient irrespirable, elle perd pied. S’en aller, fuir, s’éloigner de tout, elle n’avait pas envisagé cette solution mais un soir de pleine lune, sans bagage, elle part, elle erre dans la campagne, atteint la forêt. Dans une clairière, elle aperçoit une soucoupe, elle est éberluée, elle n’a jamais rencontré de tel engin pourtant elle n’est pas droguée cette nuit, elle n’a rien pris. Un charmant jeune homme descend, l’invite à monter à bord. L’angoisse l’étreint. « je ne partirai jamais vivre dans cet espace confiné ». Bruno, c’est son nom, la réconforte « Regardez ma belle, il y a tout ce le nécessaire, des victuailles, le téléphone, des livres, des séries télé, détendez vous. Demain on décolle, vous verrez, là-haut, on oublie tout, nos petites vies d’humain sembleront ridicules, on fera la fête dans l’apesanteur, on jouera à se prendre la main, on prendra un vrai bain de lumière, peut-être qu’on ne rentrera pas tant la vie sera belle, on essaie ? »

Des étoiles filantes passent dans le ciel. Bruno nous salue, Anna fait de beaux rêves.

  

 Le concours

Elle s’est levée tôt ce matin, jour de l’examen. Elle a préparé stylos, cartable et dossiers la veille. Elle est prête, ce concours, elle doit le réussir, elle suivra les traces de son idole, elle connait tout de sa vie, de ses travaux, elle a même visité sa maison. Elle a travaillé les équations, pris connaissances des virus, elle a révisé consciencieusement, elle s’est entrainée à la résolution de problèmes compliqués, elle s’est parfois endormie sur les devoirs, tard le soir. Elle est prête, elle monte par les traboules pour atteindre la grande bâtisse grise. Elle lit le fronton : institut Pasteur. Elle est fière, elle est prête. Après vérification d’identité, elle s’installe au bureau désigné, n° 4 de la deuxième rangée, un bureau qui sent bon la cire, des feuilles blanches, des éprouvettes, des lames de microscope. Son voisin de droite, elle ne le connait pas, celui de gauche lui sourit, son grand rival. Elle sera la meilleure, elle est prête. Devant le tableau noir, un surveillant en blouse et petites lunettes scrutent les candidats, elle l’oubliera, elle est prête. La cloche sonne, les sujets sont dévoilés. Elle enchaine les exercices sans difficultés. Juste au moment de conclure, un rayon de soleil traverse la pièce, s’attarde sur les éprouvettes, un arc en ciel joue sur le parquet. La lumière, le souffleur de verre, des formes ondulent, la magie de la transformation, le feu, la chaleur font oublier le froid des lieux. Des gouttes, des boules, des rubans se détachent, montent au plafond, se bousculent dans un cliquetis cristallin. Elle se perd dans la féerie du scintillement.

Soudain, un nuage, la salle retrouve le gris, elle se ressaisit. Il était temps, on ramasse les copies. En descendant le grand escalier, elle sait, elle a réussi. Elle poursuivra dans la chimie, tout est chimie mais peut-être pas ici, elle a découvert un autre agencement de molécules, une autre fenêtre s’est ouverte.

lundi 7 décembre 2020

Qui est-il?

 Bien que ce ne soit pas dans mes habitudes, j'ai ramené à la maison une pile de vieux Beaux Arts magazines ramassée au pied du conteneur de recyclage spécial papier. Il était évident que la personne qui avait l'intention de les jeter y avait renoncé au dernier moment parce qu'ils représentaient  plus que des vieux papiers. On les avait déposés sur le trottoir dans l'espoir que quelqu'un les récupère.

Ils sont là, près de moi, bien classés par date de parution. Un numéro hors série légèrement écorné a été soigneusement scotché. A qui avaient bien pu appartenir ces magazines? En les feuilletant, j'ai découvert avec étonnement que de nombreux textes étaient surlignés au Stabilo jaune. Certains passages étaient même annotés d'une écriture élégante aux lettres allongées et légèrement inclinées. Une personne âgée certainement, plus personne n'écrit comme ça. Pourquoi une lecture si approfondie? S'agissait-il d'un amateur d'histoire de l'art, d'un professeur, d'un journaliste?

C'est dans le deuxième magazine que j'ai trouvé le premier "marque-page": un ticket d'un cinéma de Marseille. Il fut le premier d'une longue série. Il - ou elle - marquait ses pages avec ce qui lui tombait sous la main: tickets de caisse ( le 18/10/91 achat d'un morceau d'Appenzel d'Alpage), Fragments d'enveloppes ou de papier d'emballage et, dans le numéro de mars 1992, pour marquer le début d'un article sur Claude Monet, il y avait une petite carte de vœux qui s'adressait à " Mon cher Armand ". Armand! La personne qui commençait à se dessiner entre les pages avait maintenant un prénom, il était âgé, aimait l'art, le bon fromage, allait au cinéma, était méticuleux, peut-être un peu maniaque.

Ces magazines, je les ai feuilletés un à un , page à page. J'y ai trouvé un emballage de thé Breakfast aux notes de fruits mûrs, un morceau de papier d'emballage avec une inscription en lettres grecques, des tickets de métro, des billets d'entrée dans différents musées. J'ai aussi trouvé, plié en accordéon, un électrocardiogramme qui m'a inquiété. Armand était peut-être malade. J'ai passé beaucoup de temps à faire connaissance avec Armand, devenu au fil de mes trouvailles, un véritable ami au point de rendre ma femme jalouse des heures que je passais "avec lui et ses revues dégoutantes" comme elle disait.

Elle n'avait pas tort. j'étais devenu obsédé par Armand et son mystère. Un matin, j'ai porté les magazines au recyclage mais, dans une boîte, j'ai gardé tous les " marque-pages ". Cette boîte, je l'ouvre de temps en temps. Je pioche au hasard une petite trace de la vie d'Armand et je le fais revivre. Aujourd'hui, j'ai tiré une moitié de carte postale: un pan de ciel intensément bleu, des ruines brunes, le  Forum de Rome. Armand est en Italie, élégamment vêtu, attentif à tout ce qu'il voit, il prend des notes dans un petit carnet moleskine noir. Certains jours je lui fais manger une glace, parfois il photographie la jolie femme qui l'accompagne. Il est heureux.  

 

vendredi 4 décembre 2020

 Tom Gaouier

 

 

Je m'appelle Tom Gaouier et je n'ai jamais eu de grand-père paternel. C'est ce que disait mon père, qu'il n'avait pas de père. Quand j'étais petit, ça ne me gênait pas: deux grand-mères, un seul grand-père, tous affectueux, ça m'allait très bien.

Mais en grandissant j'ai posé des questions. Tout le monde ne connaît pas son père, mais tout le monde en a un. Ce qui m'intriguait, c'était le nom : mon père m'avait légué le sien : Gaouier, mais d'où le tenait-il ? Ce n'était pas le nom de ma grand-mère, elle portait celui de sa naissance, qu'elle n'avait pas donné à son fils. Pourquoi ? Mon père comme elle ne voulaient pas me répondre, me faisaient comprendre qu'il ne fallait pas insister.

Ma grand-mère est morte, emportant son secret, j'étais encore trop jeune pour participer aux démarches.

Et un jour ce fut le tour de mon père de s'en aller, et à moi de m'occuper de tout. J'ai ouvert la chemise où il rangeait ses papiers et j'ai découvert le livret de famille de ma grand-mère. Elle avait été mariée, avec un dénommé Magloire Gaouier et deux ans après était né mon père, puis plus rien. Magloire, pour un homme qui n'aurait plus eu d'existence ça ne s'invente pas.

Alors j'ai commencé à fouiller dans  quelques documents que je n'avais jamais vus.

Le livret de famille a été le premier à me parler : ce Magloire, c'était bien mon grand-père manquant, pas de doute. J'ai trouvé deux photos d'un  homme assez jeune et présentant bien : une en costume de ville, l'autre en uniforme de gendarme, son numéro matricule était lisible, j'ai écris à la gendarmerie, on m'a convoqué pour me dire qu'il n'y avait aucune trace de lui. Bizarre, dans la gendarmerie. Sa carte d'identité, avec une photo, un peu plus agé, son empreinte digitale, sa taille :1m 85, fichtre, je tenais donc de lui, seul « grand » dans la famille, alors que mon père était plutôt petit.

J'avais sa date de naissance, mais aussi le lieu, un village en Bretagne. Aux premières vacances je suis allé là-bas, il figurait bien dans le registre d'état civil, dernier né d'une famille de cinq enfants, dans un hameau de quatre masures que j'ai prises en photo : laquelle était la sienne ? Personne au village ne semblait se souvenir de cette famille là.

J'ai laissé passer du temps, j'avais ma vie, bien remplie, alors quelle importance ?

Mais plus tard, l'age venant pour moi aussi, un dimanche de pluie j'ai ressorti les papiers de ma grand-mère, je n'avais rien jeté. Il y avait une vieille lettre presqu' indéchiffrable tant l'encre avait bavé. C'était une lettre à l'en-tête du ministère de l'intérieur où il écrivait à mon père qu'il voulait renouer les liens, quarante ans après, qu'il était riche, qu'il couvrirait ma mère de bijoux. Lettre rageusement barrée d'un : « pas répondu », mais conservée tout de même.

Et puis deux feuilles de paie, il n'était pas si riche que cela, une quittance de loyer, il habitait à Paris près du Jardin des Plantes, je ne suis pas allé voir.

Pas de trace d'un divorce, pas de trace de sa mort.

Je suis retourné dans le village breton, dans le pauvre hameau, et là j'ai noué connaissance, posé beaucoup de questions, j'avais atteint l'age où il est temps de savoir. J'ai fini par rencontrer de petits neveux à lui, d'abord gênés pour me parler, et puis qui m'ont raconté ce qu'ils savaient, peu de choses mais qui ne le flattaient pas, son départ à quatorze sur un coup de tête, ses parents laissés sans nouvelles et qui n'ont jamais su qu'ils avaient un petit fils, son retour pendant la guerre de quarante pour se procurer gratuitement de la nourriture à la campagne, son retour définitif à un age avancé et sa mort dans le village voisin où il s'était installé, avec une de ses nièces célibataire qui avait été sa femme à tout faire, à vraiment tout faire...

Voilà, c'était mon grand-père, ce n'était pas un bien joli monsieur, mais il avait existé, je savais d'où je venais.

On m'a emmené sur sa tombe qui existait encore, dans un si beau petit cimetière planté dans la dune en bord de mer.

La région est magnifique, j'ai visité, je suis entré dans la cathédrale de la ville toute proche, je me suis assis au hasard sur un banc, pour penser... le prie-dieu  en bois, devant mes yeux, portait la trace d'une gravure maladroite, très ancienne : Magloire Gaouier. Et bien malgré moi, j'ai essuyé une larme.

 Hotel de France

 

 

L'Hôtel de France, situé dans le quartier  de La Joliette, juste à la sortie du Port de Marseille, ne porte pas son nom par hasard. Il est petit, ancien, un peu délabré, mais toujours plein à craquer.

Un gardien se tient quelquefois derrière un comptoir dans une petite pièce du rez de chaussée. Il n'y a pas de téléphone mais on peut le joindre sur son portable, si on connait son numéro.

Et son numéro est connu à travers le monde, pas le monde entier, mais les pays pauvres, les pays en guerre, les pays dont il faut s'enfuir.

Car l'Hôtel de France ne reçoit pas les touristes venus visiter la ville et ses magnifiques alentours. Il "accueille", si l'on peut dire, les étrangers arrivés clandestinement ou pas, débarqués par bateau et ne connaissant de Marseille qu'une adresse: la sienne. On ne sait pas comment ils l'ont eue, mais ils arrivent, et trouvent toujours de la place puisq'ils acceptent d'être deux ou trois familles par chambre, ce qui peut faire près de deux dizaines de personnes dans moins de vingt mètres carrés. Heureusement il y a des enfants très jeunes qui ne prennent pas beaucoup de place et les pères de famille ne font que passer, ils apportent un peu de lait, un peu de nourriture, et vont dormir dehors.

C'est terrible? Oui, c'est terrible, mais moins que de vivre sous les bombes de leurs pays en guerre.

Le tarif n'est pas exagéré, les services sociaux qui financent ne sont pas tès riches. Mais il ya beaucoup de clients, le tenancier s'y retrouve.

 

PS: Ma description date de plus de vingt ans, c'était la guerre en Bosnie, l'hôtel a peut-être bien amélioré ses conditions d'accueil depuis, mais il y a la guerre en Syrie...

samedi 28 novembre 2020

 Re se voir à dîner

 

Marc a invité Pierre et Sophie à dîner. Pierre travaille avec lui, ils sont bons copains et il apprécie aussi Sophie, son épouse. Marc est célibataire et vit seul depuis assez longtemps.

Il cuisine à merveille et ses invitations sont toujours appréciées. Pierre et Sophie sont des habitués.

Mais ce soir, ils ont eu une idée singulière, et pour tenter de donner un coup de pouce au destin de Marc, sans l'avoir prévenu, ils sont venus avec Isabelle, une jeune femme qu'ils apprécient. Si une étincelle s'allumait entre Marc et Isabelle, ils seraient les plus heureux.

Marc est prêt, il a dressé la table pour trois, préparé une des recettes dont il a le secret.   

La sonnette tinte. Marc ôte vite son tablier, ouvre grand la porte et se retrouve interloqué devant trois invités !

« Ça alors, ils auraient pu me téléphoner, il n'y a que trois couverts sur la table ! »

Mais Pierre et Sophie prennent les choses en mains, présentent Isabelle, un peu gênée elle aussi, mettent en avant sa gentillesse et le fait qu'elle était seule ce soir.

Une quatrième chaise apparaît miraculeusement. L'appartement n'est pas grand, la table non plus, mais bien garnie pour l'apéritif, et de petits verres vont tout de suite réchauffer l'atmosphère.

Pierre veut faire parler Marc, c'est lui le maître de maison, mais Marc est inquiet pour la volaille qui mijote au four : la cuisson à point, ça le connaît, mais la bête sera-t-elle assez grosse pour quatre ? Sophie parle avec Isabelle, la met à l'aise. Si Marc n'a pas encore compris, elle a bien deviné, elle, pourquoi ses amis l'ont entraînée là.

Marc tourne le dos, s'occupe de ses casseroles. C'est vrai qu'il a une belle stature, la trentaine sans doute, comme elle, des cheveux en broussailles, un peu dégarnis sur le front, elle aime bien.

Marc vient enfin s'asseoir, les assiettes sont pleines, le fumet est bon, il peut se détendre. Alors il regarde Isabelle et n'en revient pas : c'est la fille qu'il avait remarqué la semaine dernière au jardin du Luxembourg. Assise, elle dessinait sur un carnet de croquis, il était passé  près d'elle. Il aimait bien son trait de crayon, il aimait bien le modelé de ses jambes croisées l'une sur l'autre, son joli décolleté un peu bronzé mais pas provoquant. Il aurait voulu l'aborder, les croquis auraient été un bon motif, mais il n'avait pas osé, satanée timidité qui le paralyse, et ce soir encore...

Isabelle est discrète, elle tourne vers lui un regard clair, un regard à s'y noyer, mais parle peu. Pierre et Sophie se regardent avec inquiétude : comment dégeler ces deux là ?

On mange, c'est délicieux, il y a une très légère musique de fond, du Mozart. Et c'est Isabelle qui se lance : « Vous aimez Mozart ? »

Ah oui, il aime Mozart, il aime la peinture aussi, le dessin, les esquisses. Il aime la discrétion d'Isabelle, ses yeux si bleus, ses cheveux roux en touffes, en broussailles comme les siens. Alors il commence à parler, doucement, elle lui répond et leurs regards se noient.

Ce soir là Pierre et Sophie ont remmené Isabelle, ça ne pouvait pas aller si vite, ça aurait gâché le petit miracle qui venait de se produire.

Mais demain, vers dix-sept heures, Marc se promènera au Luxembourg et il a l'espoir fou, presque une certitude, qu'Isabelle sera installée là et fera quelques croquis.

 Nouveaux règlements au royaume de Mariapoint

Suite aux massacres de septembresurvenus entre damoiseaux pour des jalousies exacerbées par les chaleurs tardives de cette année, le roi de Mariapoint, après avoir écouté les estimations de divers spécialistes de la philosophie générale, réunit ses sujets au sommet de Divorspic. Tout ce qui marche était en route. Pendant l’ascension, Sieur Rolland fit des confidences à sa meilleure amie : « J’ai ouïe dire que le conseil veut régenter la vie amoureuse de la population. Il est question de séparer damoiselles et puceaux jusqu’au célébrations en justes noces, ce serait quelque chose comme un dernier ouvragemarquant la fin du règne. »

Quand princes et individusfurent rassemblés, que la colline fut recouverte de toute la population, le souverain prit la parole :

« Messieurs et dames, cette vie dissolue est terminée. A partir de ce jour, les grands mâlesse consacreront à la guerre et les femelles en chaleur à leurs broderies jusqu’à leurs épousailles. Il va s’en dire que celles-ci seront organisées par les familles, pas question de tomber en amour. »

Une liste de règles furent ainsi énoncées. Heureusement Cousin le chambellan les a réduites à trois.

Rolland s’approcha de Cunégonde, il ne voulait pas encore une fois être éloigné d’elle, la dernière bataille avait été longue. « Je ne supporterai pas d’être privé de votre délicieuse compagnie, je crains que les règles ne soient jamais abrogéesmarions nouspendant qu’il est encore temps »

Bien que le général ait reçu du souverain l’ordre de garder les yeux ouverts sur toute conduite suspecte, les noces de Rolland et Cunégonde purent être célébrées avant l’application du nouvel édit.

La fête fut belle et ils vécurent heureux.  

 Perspective de dîner

C’est l’été, on est content de se retrouver. Comme chaque année, chacun a organisé au mieux son agenda entre stages des enfants, voyage en Inde, randonnée ou bronzette sur les plages de Méditerranée. Sauf Adrien, il est toujours là Adrien, dans la ferme des parents. Suite à divers actes notariés, Adrien, l’ainé de la fratrie, a repris l’exploitation.

Parfait pour se réunir, sous la treille centenaire, il y a de la place, on a pu ajouter des tables au rythme des naissances. Comme il se doit, après les embrassades plus ou moins chaleureuses, on commence par le pastis, on trinque aux parents, à la descendance, on est joyeux, on déguste les olives de la propriété, l’anchoïade fabriquée maison.

On passe à table, Blandine sourit devant la salade de tomates présentée dans les plats d’argile cuite. Adrien n’aime pas le sourire narquois de sa sœur devenue citadine. Il ne peut pas s’empêcher de lancer avec une pointe d’amertume : « Heureusement que je suis resté là, dans les appartements parisiens, on ne pourrait pas se rassembler. Je n’ai pas fait fortune mais je peux vous servir des produits sains, tiens goutte ce petit vin, ce n’est pas un grand cru mais c’est le mien ».

On parle du beau temps, des faits divers, on donne des nouvelles des anciens camarades de classe. On ne parle pas politique, on ne parle pas des études des enfants, on évite les jalousies. On ne parle pas de voyage, on respecte Adrien qui n’a jamais quitté les cultures.

Josette déplie sa serviette : « Tu as gardé ses vieilles broderies de grand-mère ! ». « Et oui, ici on ne traine pas au Printemps ou aux galeries Lafayette ».

Dans les assiettes, se succèdent pieds paquets et daube provençale. C’est très bon mais Jeanne s’esclaffe : « La tradition, tu sais qu’il existe autre chose tonton ».

« Non, je ne sais pas et je joue toujours du galoubet. La prochaine fois, c’est toi qui invite et tu nous joueras une sonate sur ton piano à queue ! »

Pour calmer le ton qui monte, on parle souvenirs, il faut garder la cohésion du clan, au moins faire semblant.

Arrive le dessert, le café servi dans les tasses de la grand tante Elise. Tout le monde regarde Clémence, elle prétend que ces tasses sont les siennes, un secret entre Elise et elle.

« Tu les auras quand tu te marieras ». Mais voilà, Clémence ne veut pas se marier, Clémence ne veut pas de famille, Clémence ne veut pas brader sa liberté, Clémence ne veut pas de maison…

Renée voulant éviter ce terrain explosif se lève : « Allons à la rivière ! ».

Là, tout le monde retrouve ses joies d’enfants, on rit, on s’éclabousse, on est heureux.

Avant de se séparer pour une année, Lucien, discret pendant toute la journée demande le silence. « L’an prochain, on pourrait supprimer le dîner, s’alléger de tout et se retrouver les pieds dans l’eau, un pique-nique dans le sac à dos ! »  

vendredi 27 novembre 2020

Un dimanche en terrasse

 Nous sommes en octobre, les feuilles dorées du micocoulier virevoltent mais ma mère a dressé la table sur la minuscule terrasse du rez-de-jardin qu'elle partage avec Robert depuis qu'elle a divorcé de mon père. Ma mère a toujours eu horreur des déjeuners du dimanche en famille aussi son invitation me surprend un peu. Connaissant son caractère fantaisiste je suis sur mes gardes. La table avec ses assiettes dépareillées, ses verres de couleur, ses serviettes en papier et les feuillages d'automne qui trônent dans un vase ventru est sans prétention mais très accueillante. 

Nous voilà autour de la table. Six convives. J'avais raison de m'inquiéter. Mon père! Elle a invité mon père qu'elle a cessé de voir depuis longtemps et qui déteste Robert qui le lui rend bien. Mais il est là, en face de moi, un peu chauve, bedonnant, un peu gênè, il boit son pastis à petites gorgées. Élise, ma femme est ravie, elle adore mon père. A ma gauche, Didier, un copain de lycée. "J'ai voulu te faire une surprise mon chéri". C'en est une! Didier! Que dans mon for intérieur j'appelais le pot de colle. Il m'aimait beaucoup alors que je le supportais à peine. Il plaisait beaucoup à ma mère qui le trouvait beau garçon et bien élevé. Pendant que  nous essayons de ne pas nous étouffer avec le taboulé trop sec, la conversation se traîne, convenue, ennuyeuse. Didier surjoue la gaîté, Mon père, le nez dans son assiette doit se dire que ma mère n'a pas fait de progrès en cuisine. Élise sourit beaucoup et me donne des coups de pied sous la table. Robert est aux petits soins pour tout le monde, sert le vin, distribue le pain. Ma mère ? Où est-elle ? Elle papillonne, mange peu, dit à Élise qu'elle la trouve très jolie, ce qui  la fait rougir et me vaut un nouveau coup de pied dans la malléole qui me fait pousser un petit cri de douleur. Quand le gigot trop cuit accompagné de ses haricots est arrivé sur la table, le vent s’est levé. Élise a eu froid. Ma mère lui a prêté une affreuse veste, la seule qu'elle ait tricotée dans les années soixante dix avec d'énormes aiguilles pour aller plus vite et avec une laine beigeasse qui grattait et irritait mes joues d'enfant. Une grosse mouche noire vient de se poser sur les restes de gigot. Robert l'emprisonne sous un verre, les deux femmes s'offusquent "Pauvre bête! " Robert soulève le verre, la mouche s'envole en zigzaguant, comme on s'ennuie un peu, on la suit des yeux le plus longtemps possible. Je suis content de voir enfin Élise découper la tarte aux fraises. Mon  père remarque que ce n'est pas la saison des fraises ce qui énerve ma mère. "Tu es toujours aussi vieux jeu, il y a des fraises toute l'année maintenant". Quoiqu'il en soit, la tarte est délicieuse. Mon père, diabétique, n'en mange pas. Je me dépêche d'avaler ma part car je commence à avoir une furieuse envie de partir, la présence de Didier pot-de-colle m'insupporte.

C'est à ce moment là que ma mère donne quelques petits coups de cuillère sur le bord de sa tasse pour attirer notre attention. Son sourire narquois au coin des lèvres me fait craindre le pire. Elle s'est levée, a pris une grande inspiration et a dit " Didier et moi, on est ensemble". Elle a dit juste ça "Didier et moi on est ensemble" puis s'est assise en souriant. Un silence hébété s'est abattu sur la tablée,  lentement Didier s' est tourné vers moi " Ce n'est pas toi que je venais voir quand on était au lycée, j'ai jamais pu t'encaisser mais ta mère est plutôt gironde, j'ai  tout de suite senti que c'était un bon coup ". Mon poing est  parti tout seul, avec une terrible force, en plein dans sa gueule de bellâtre. Il est tombé au sol, sur le dos, dans les feuilles jaunes du micocoulier. J'ai pris Élise par la main, après je ne sais plus.

Lilou

 

mardi 24 novembre 2020

 Service

 

Bien que votre horaire de travail commence à 8h30, vous arriverez à 8h20 précises, pour que l'infirmière de nuit puisse vous mettre au courant des événements récents, entrées, urgences, aggravation d'un cas, et vous aurez le temps de lire le cahier de relève avec elle, lui demander quelques précisions si nécessaire.

 

Vous ferez ensuite le tour des boxes pour vérifier l'état des enfants dans les lits et les couveuses, et répartir les tâches avec vos collaboratrices qui sont deux quand il n'y a aucune absence. Vous serez responsable de dix boxes, en principe de dix petits nourrissons, mais il arrive qu'on ait dû en installer deux par box. Il est absolument interdit depuis l'année dernière d'en installer deux par lit. S'il y a plusieurs entrées dans la matinée, à vous de vous débrouiller.

 

Il est d'usage dans ce service que le personnel se retrouve autour d'un rapide café avant de commencer les soins. J'y suis personnellement hostile, car dans ce travail chaque minute compte, mais la direction m'a signifié que je ne pouvais pas vous en empêcher.

 

Lors d'une matinée normale, les soins se succèderont dans cet ordre : vous nourrirez les dix prématurés, à la sonde ou au biberon, il est interdit de caler un biberon contre un oreiller pour passer plus vite au bébé suivant. Puis vous aiderez vos auxiliaires à faire les toilettes des enfants, les peser, les changer ainsi que leurs  draps. Attention, certaines pesées, comme vous le savez, seront très délicates, à l'intérieur de la couveuse et au gramme près, quand un bébé pèse 650g, chaque gramme compte. Mais vous savez tout cela j'espère, puisque vous venez d'obtenir votre diplôme.

Ensuite vous ferez les prises de sang, pas au pli du coude, leurs veines sont trop fragiles, ça aussi doit faire partie de votre formation. Vous devrez surveiller de près les perfusions, et accompagner l'interne dans sa visite, noter et exécuter toutes ses directives.

 

Et puis Mademoiselle, je vous recommande... je... je...

Je ne voulais tellement pas partir à la retraite, c'est un déchirement de vous laisser le soin de ces petits... Elle pleure

 

Vacarme dans le couloir, l'interne arrive en courant, un minuscule être humain enroulé dans un drap, suivi par les externes, le chariot de matériel, il le pose sur la table d'examen, je m'approche rapidement, la surveillante m'écarte : ah, une urgence, comme un cadeau de départ ! Je vais le sauver celui-là, mon dernier...

 

 

 

 Je suis un misérable !

 

Voici mon histoire : je suis un misérable !

Dans ma rue habitait Josette, vingt ans, jolie comme un cœur, brunette à longues tresses, toujours un mot gentil à la bouche pour tout le monde.

Je faisais mon service militaire, je revenais souvent en permission et me promenais tout fier dans mon uniforme, je me trouvais belle allure, je me pavanais.

Je passais le plus souvent possible devant chez Josette. Je savais qu'elle « fréquentait » comme on disait alors, un gars du village qui travaillait sur la ferme familiale. Un bon gars, sérieux, dur à la tâche, Pierre. Je me suis mis à sourire à Josette, à soulever mon képi, à faire le beau. Je me savais plaisant, oui, affreusement plaisant.

Je me demande encore, quarante ans après, ce qui m'a pris de vouloir la séduire. Juste la séduire, pour rien, pour l'orgueil, pour montrer que j'étais le plus fort. Je n'étais pas plus beau que son fiancé, un peu plus riche, et terriblement beau parleur. Je n'aimais pas vraiment Josette, je me racontais que je l'aimais seulement parce que lui l'aimait. J'étais le plus fort n'est-ce pas ?

Elle a cédé à mes avances, et parce que j'étais un misérable je l'ai forcée à me donner plus que ce qu'elle souhaitait.

Et puis mon régiment est parti plus loin, j'ai décidé de faire carrière dans l'armée et je ne lui ai plus jamais donné de nouvelles.

J'ai su bien plus tard qu'elle élevait seule un enfant, un garçon m'a-t-on dit. Elle ne s'était pas mariée, ni avec Pierre ni avec un autre, à l'époque dans les villages on ne rigolait pas avec ces choses-là.

Quand je l'ai appris, je vivais loin, j'étais marié, je ne pouvais plus revenir en arrière. Je n'ai pas eu le courage de voir mon enfant, jamais. Est-ce que j'aurais dû ?

J'ai fui, toute ma vie j'ai fui, je suis seul maintenant et jusqu'à la fin de mes jours cette histoire pèsera sur ma conscience.

Je suis un misérable.

lundi 23 novembre 2020

 Vivent les ivrognes

 

Quoi de meilleur que le vin ?

Quoi de pire que  d'en abuser ? En abuser vraiment, régulièrement, quotidiennement

En abuser jusqu'à en perdre la raison, en perdre toute décence. C'est un ivrogne jette-t-on avec mépris ! Quelle erreur.

 

Un ivrogne est d'abord gai, très gai, avant de devenir violent parfois hélas. Profitons de cette gaîté : quelle ambiance dans une soirée si celui qui a beaucoup bu s'épanche en des blagues certes peu correctes mais qui font rire sous cloche la plupart des hypocrites.

 

Quel animation installe-t-il, d'abord par ses propos puis par une mise en scène qu'il ne maîtrise pas, mais qu'il offre avec générosité à tous les convives. Un ivrogne bien émoustillé, bien titubant, attire l'attention de tous, se donne en spectacle gratuitement, chante d'une voix approximative avec moult mimiques et gesticulations.

 

Et quel jeu captivant, le soir pour les enfants d'entendre leur père s'écrouler lourdement contre la porte d'entrée et de le tirer qui par un pied, qui par un bras, ou même les cheveux, jusqu'à le hisser sur son lit.

 

L'ivrogne, le vrai ivrogne, au bout de son ivrognerie, n'est plus maître chez lui. Il essaie de frapper parfois, mais l'alcool qui imbibe ses muscles lui laisse peu de force, et celui qui baigne son cerveau le ramollit comme une éponge. En étant un peu malin, on peut faire de lui ce qu'on veut, lui soutirer tout ce que l'on convoite.

 

On en rencontre quelquefois recroquevillés sur un trottoir ou se réchauffant sur une bouche de métro. Mais qui cela gêne-t-il ?

 

Et pour les médecins quelle aubaine ! Les maladies dues à l'alcool composent une liste interminable. Que de consultations encaissées,  de journées d'hospitalisation. L'ivrogne n'est pas souvent riche, encore que, mais la Sécurité sociale est là.

 

Vivent les ivrognes donc. Surtout s'ils vivent  longtemps.

dimanche 22 novembre 2020

 Sylvain et moi

 

« Je suis un misérable ». Cette expression tournait en boucle dans ma tête ; Il faut dire qu’aucun projet ne m’habitait, je vivais au crochet de maman, je ne trouvais pas de travail.

« Je suis un misérable », je me percevais comme tel. Si l’arithmétique est utile, pour moi, elle n’a servi à rien, partout où je me présentais pour occuper un emploi, après avoir exposé mon parcours, on me disait : « Vous n’avez pris dans tout ceci qu’une chose qui vous intéressait, l’arithmétique, or pour la tâche à remplir dans notre société, cela ne sert pas à grand-chose, votre cerveau palpite dans un étau, nous avons besoin de quelqu’un plus ouvert sur l’extérieur. Perfectionnez votre physique et comprendrez mieux la naturedu profil recherché ».

Je m’attachai au travail, malgré mes efforts, je n’avançais pas. Je pris un coach, Sylvain, affreusement plaisant, il me parlait sur un ton mièvre et terminait nos séances en me tapant sur l’épaule : « Promettez moi, mon aimable amide reprendre les exercices, le chemin sera long ». Je m’entrainais donc tous les jours. L’air que prenait le policier du village quand je passais devantlui me fit dire que je commençais à changer. En effet, je me sentais beaucoup mieux dans mon corps. J’appréciais la douceur de Sylvain, je découvrais ma vraie nature. L’entrainement se passait bien, après les efforts, nous mangions excellemment dans les tavernes et passions la soirée ensemble.

En apprenant la nouvelle, maman m’a durement châtié. Je quittai à regret le village.

« C’est le seul choix raisonnable » me murmurait mon diablotin de Sylvain en me caressant la main sur le volant de notre décapotable.

En route pour Nice, je me suis dis : « Je ne suis plus misérable »

 

 Protocole pour Chrystobal

La veille de son départ pour le japon, Georgette dresse la liste des soins à apporter à Chrystobal pendant son absence.

Il sera nécessaire d’accorder une attention particulière à son jardin. Chrystobal déteste les plantes artificielles. Dès les premiers signes de jaunissement, les arbustes devront être changés. Il en va de même pour les éléments de son environnement, quelques agrès seront ajoutés, c’est ainsi qu’il gardera la souplesse de son corps filiforme.

Sa nourriture sera bien dosée, deux pincées par jour, ni plus, ni moins. Il manifestera sa satisfaction par trois bulles montant à la surface. Une vigilance discrète sera demandée pour sa santé mentale. Pour se faire, on accrochera son regard jusqu’au moment du frémissement d’écailles. Il devra être modeste pour éviter tout saut intempestif à l’extérieur.

Sa couleur sera maintenue, en cas de blanchiment, son eau sera changée, on utilisera de l’eau minérale, soyez tranquille, vous serez remboursé. Le volume devra être respecté, un trait repaire est tracé à cet effet. Pas de rayons directs du soleil, en cas de lumière trop forte, les rideaux bleus seront tirés, j’ai bien dit bleus pour lui rappeler l’océan. On comptera les tours de bocal par minute, s’ils faiblissent on chantera : « les petits poissons dans l’eau nagent nagent nagent…aussi bien que les gros », on cessera à la reprise de l’accélération.

Surtout, on éloignera le chat, je ne voudrais pas retrouver une arête. On le chassera même si nécessaire, il faut éviter tout stress qui ferait dresser les nageoires plus que d’ordinaire.

Georgette met un point final, s’approche du bocal, dépose un baiser sur le verre, Chrystobal pleure.  

 Eloge de la pluie

« Quel temps!, impossible de sortir, trop frais, trop humide, trop gris »

Je ne comprends pas, c’est si bon de danser sous la pluie, sauter dans les flaques, s’asperger sous une gouttière et laisser l’eau couler sur les joues, lever la tête, tirer la langue et attendre la goutte rafraichissante, regarder les arbres frémirent de toutes leurs feuilles, les fleurs accueillir ce breuvage dans le bol de leur corolle. Et l’odeur!, respirer l’humus émanant de la terre quand vos pieds s’enfoncent dans le sol attendri. La pluie se fait aussi artiste, elle rainure le paysage en lignes droites ou obliques, elle frappe au carreau et dépose la buée sur les vitres, elle appelle les doigts des enfants. Elle décore le grillage du pré de gouttelettes perlées. Elle emplie l’abreuvoir et le lavoir. Ceux qui la trouvent ennuyeuse n’ont jamais tendu l’oreille, elle devient orchestre quand elle clapote sur le toit, quand elle gargouille dans le ruisseau, quand elle murmure des ploc!, des plouf !, des glou glou . Magicienne, elle peut tout faire disparaitre en dépliant son rideau. Elle est là en toute saison, giboulée ou mousson, elle se décline en bruine, ondée, averse ou grain. Elle délivre les nuages de leur lourde charge. Elle remplit le caniveau pour dame lune qui se mire dans l’eau. Elle fait chanter la grive et baver l’escargot. Elle cire les pavés gris des villes et nuance le sombre vert des sapins. Elle est complice du soleil pour former l’arc en ciel.

Si vous êtes toujours imperméable à ces plaisirs, vous pouvez toujours ouvrir vos parapluies.

Quoique qu’il en soit, a

vendredi 20 novembre 2020

Eloge du flemmard

 La flemme est à la paresse ce que le diamant est au strass. La paresse n'est que mollesse, manque de volonté, absence de désir alors que la flemme est un art de vivre,  une philosophie. Le paresseux est un velléitaire passif, le flemmard est volontairement inactif. Quand un flemmard refuse de s'adonner à une quelconque occupation, c'est qu'il est tellement bien où il est qu'il ne ne voit pas l'intérêt de faire autre chose. Il faut beaucoup de courage à un flemmard pour s'autoriser quelques pauses dans notre société hyper active. Le flemmard réfléchit. Faire? Ne pas faire? Faire quoi? Le plus souvent la réponse est "Rien". Quoi de plus humble que d'accepter d'être juste inutile, inemployé, sûr de ne nuire à  personne. Le flemmard a parfaitement intégré la pensée de Pascal qui affirmait que le malheur de l'Homme vient de son incapacité à rester tranquille dans une chambre. La flemme est comme une agréable maladie, elle surprend toujours le flemmard quand il se trouve dans un voluptueux moment de bien être total. Un de ces moments que l'on voudrait éternels. Alors, avec beaucoup de sagesse, le flemmard n'oppose aucune résistance et sombre délicieusement dans un état de béatitude que les agités ne peuvent pas connaître. Ne lui demandez rien, il vous répondra "Je ne peux pas, j'ai la flemme". 

Lilou

lundi 16 novembre 2020

Une phrase

 Sortir la tête de l'eau, nager, nager jusqu'à l'île et s'échouer ; c'est ça le plan.

Le Titan

De sa faux il fend le monde
Emportant avec lui la nature
Par planètes entières il fauche
Rompt et éteint les êtres
Sans exception, sans discriminer
Tous égaux devant le Titan fou.
La peur, l'effroi du néant
C'était sur chaque nouveau visage
Quand dans le ciel apparaissait
Pour une nouvelle moisson
Ses yeux doux de compassion
De miséricorde, chaque vie sentie
Puis arrachée, sans effort
Ni hésitation
Une douleur de plus dans sa poitrine
Un fil tranché
Au nom de l'Amour.
Bourreau de lui-même
Épris de celle qui ne peut aimer
Celle que l'on ne peut réchauffer
Son sein pour toujours froid
Quiconque le touche
Ne peut qu'y succomber
Il fauche pour elle.
De la Vie ou de la Mort il sait
Laquelle des deux l'aimera mieux
Celle aux yeux sombres
Il a choisi, mais l'a-t-il vraiment ?
Ô Cupidon, qu'as-tu donc fait
En faisant tomber le Titan
En lui faisant plier les genoux et jurer
Allégeance pour la Reine ?
Tu as condamné le monde
Tu as condamné les dieux
Puisses-tu être maudit, Ô Cupidon
Ta folie nous a tués.

Cellule 235

Une porte en acier, cadre riveté, barres transverses, vantail grillagé. Une lourde, comme on dit. Bleue, dont la peinture s'écaille en bas et laisse voir le vert, le moutarde, le brun des décennies passées. La rouille.

Les clés tournent, une par une, en haut en bas au milieu, triple verrou. La targette claque, les gonds grincent.

On entre.

Il n'y a rien. Un sol de ciment, des murs de ciment, un plafond de ciment. Une lucarne haute, grillagée, orientée sud, qui laisse entrer le soleil. Les surfaces sont lisses, propres, d'un gris clair immaculé. Même pas un graffiti gravé à la va-vite, un coup de marqueur, une tâche.

Le lit est à droite, armature de fer, dégagée car le matelas blanc a été relevé contre le mur. À gauche une table en plastique blanc, quatre pieds vissés au sol, une chaise. Au-dessus un placard sans portes avec trois étagères. Tout aussi propres, tout aussi neutres et vides d'indices. La cuvette au fond, en inox sans lunette, impeccable. Vide aussi. Le lavabo blanc à côté. Pareil.

Je tourne dans la pièce. Je cherche des indices, un truc, n'importe quoi. Il n'y a rien. L'endroit me renvoie une impression de catalogue, de concept plutôt que de lieu de vie. Une cellule témoin, une simulation 3D d'architecte d'intérieur, un Magritte intitulé « Ceci-n'est-pas-une-cellule ».

C'est là qu'elle a vécu pourtant, c'est là qu'elle était hier encore.

Je redemande, et on me reconfirme : personne n'a touché à rien depuis que sa disparition a été signalée. Ses affaires ? Elle n'en avait pas. Un mug blanc et vide sur la table ; une brosse à dent bleue dans un verre en plastique sur le lavabo ; des draps pliés sur le lit. C'est tout ce qui reste. Ses écrits, ses vêtements, son chapelet en plastique jaune, disparus avec elle. Envolés. Évaporés.

Je tourne, je scrute, je me penche et cherche ce qui n'est pas là. Le miroir au-dessus du lavabo me renvoie mon visage et…

Au-dessus de la porte.

Je me retourne, écarte Serge et le surveillant. Au-dessus de la porte, il y a quelque chose.

Un truc qui brille. Une étiquette, collée sur le linteau. « Naranja d'Almeria » en orange sur fond noir bordé de doré.

Ça n'est pas là par hasard. J'en mettrais ma main à couper.

La vie c'est quoi ?

La vie c'est une tache verte sur une roche noire.

La vie c'est une soupe brune entre deux vagues, un mouvement au coin de l'œil qui ne suit pas les règles de l'immuable, qui s'en extrait et brutalise l'ordre du monde par son élan imprédictible.

La vie c'est un petit lézard qui prend le soleil sur un banc moussu.

La vie c'est une abeille noire qui vogue de pissenlit en digitale, de trèfle en lavande en œillet en euphorbe ; un bourgeon de châtaigner qui débourre ; un gardon qui gobe une mouche ; une disamare d'érable qui tombe en tourbillonnant.

La vie c'est un enfant qui pleure parce qu'il est tombé du toboggan ; un type bourré que son pote ramène chez lui ; une femme enceinte qui attend dans le froid.

La vie c'est une vague qui emporte un surfeur ; un aigle qui attrape un lapin ; un cafard qui se noie. C'est la tuberculose qui fait tousser un bébé ; une baïonette plongée dans le ventre de l'ennemi ; des asticots dans un charnier.

La vie c'est une prolifération de staphylocoques dans une jambe cassée par un obus ; c'est la jambe qu'on ampute pour stopper la gangrène ; c'est la bombe qui tombe sur l'hôpital ; c'est la poignée de main qui met fin à cette guerre-là ; c'est l'insulte qui relancera la suivante.

La vie c'est l'herbe qui repousse au milieu des cendres, le rat qui sort de son trou pour aller chiper un bout de pain moisi, le gamin qui le chasse d'un coup de pied pour pouvoir le manger à sa place.

La vie c'est plus d'une naissance pour un décès.

La vie c'est un bateau qui touche terre, un insecte qui s'échappe, une colonie qui s'installe, une maladie qui se répand.

La vie c'est le chaos.

La vie ce n'est pas l'équilibre, c'est une fuite en avant, un déluge, des cascades entremêlées qui tuent autant qu'elles meurent et changent autant qu'elles naissent.

La vie c'est le mouvement, c'est la fin qui permet le début, le début qui impose la fin.

La vie c'est la lutte, le combat pour la survie, à chaque instant.

La vie ce n'est pas le repos, contrairement à la mort.

La vie c'est aller plus loin, au détriment des autres parfois. Souvent. Au détriment de soi aussi.

Echos de la semaine

 Un doigt de lumière 

pare le ginkgo pensif

d'une cape d'or

                                                                                                                                                                                                                         

         

Clair matin d'automne

les toits alourdis de rêves

s'étirent au soleil

dimanche 15 novembre 2020

Six phrases cherchent texte

 Une route encaissée entre deux talus herbeux. De loin en loin des lampadaires y diffusent des ronds de lumière qui forment une bordure somptueuse de points jaunes. Coin Coin est mort hier. Coin Coin c'est l'oncle Charles qu'on appelait ainsi parce qu'il élevait quelques canards. Il y a longtemps qu'on n'est pas revenu. A la sortie du train, le jour est tombé d'un coup, emportant avec lui la nature. La nuit est très noire. Si on tend le bras loin devant soi, on ne voit pas le bout de ses doigts. Au loin, une vieille maison, indistincte, noire dans la nuit noire, mais on sait qu'elle est là. Aucune lumière n'y brille. on marche le corps à peine animé. C'est parce qu'on va à la rencontre d'un mort. On est triste. La Camarde rôde encore, on la sent, là, à l'intérieur, oppressante. A l'arrivée, c'est une maison abandonnée qui nous attend. Volets fermés, murs décrépits ravagés par une végétation invasive. Aucune lumière. Ils doivent tous être dans la chambre de derrière, celle qui sentait un peu le pipi de chat. Ils ont sûrement allumé une ou deux bougies. On va entrer.

Lilou

 Renaissance

Le choc fut d’une violence inouïe. Fred, projeté sur la route est mort sur le coup. François s’en est sorti avec un bras en écharpe et quelques ecchymoses. Annie qui était au volant, finit à l’hôpital, le corps à peine animé, cassé de multiples fractures. Huit opérations suivies de longs mois de rééducation. François, témoin discret des souffrances éprouvées par son corps, l’encourageait de son mieux. Annie n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Deux ans plus tard, elle se surprit à refaire des projets, à rêver de montagne. Quand le corps médical lui donna le feu vert, ils décidèrent de gravir le mont Viso. Elle n’était plus la femme faible d’il y a six mois mais parfois la peur la saisissait. Elle se blottissait alors contre François et lui murmurait : « Serre moi fort et je réussirai ».

Impatiente de l’ascension, elle s’équipa de neuf de la tête aux pieds.

La randonnée fut de toute beauté, la montagne plus majestueuse que jamais. Ils atteignirent le sommet sans grande difficulté, dans un bonheur immense.

Au cours de la descente, ils aperçurent à mi-pente, au loin une vieille maison. Après avoir longé une bordure somptueuse de points jaunes, des trolles en pleine floraison, ils s’installèrent dans la bergerie pour la nuit.

Au petit matin, Annie interpella François : « Et si on restait ici ! »

« Et de quoi vivrons nous ? »

« De cueillette, d’amour et d’eau fraîche »  

vendredi 13 novembre 2020

C'est quoi la vie?

 La vie c'est:

Le froid des carreaux sous les pieds nus

Les volets ouverts

Un rayon de soleil sur le dos du livre

Une branche qu'on croyait morte et qui reverdit

Un tas de feuilles mortes

L'oiseau qui chante et qu'on ne voit jamais

Le parfum des fleurs du citronnier

La mer qui moutonne

Un coup de soleil 

le nez qui coule

Le chat qu'on enterre au fond du jardin 

Mon vieil opinel

La vie c'est un bonbon d'abord sucré puis qui pique un peu et laisse un goût amer

La vie c'est du vent...dans les cheveux.

 

  La cabane désertée

 

Alberic chevauche dans la forêt de Barbelande. Après de rudes combats, il cherche la quiétude des bois. Son cheval trotte calmement quand il aperçoit une fumée dans le creux du vallon. Il pose pied à terre, s’approche, découvre une cabane presque avalée par la mousse. Une peau de lapin recouvre la porte restée ouverte, il pénètre sans difficulté, pas de clef. A l’intérieur, une seule pièce. Dans un coin, une paillasse posée à même le sol. Des toiles d’araignée semblent servir de rideaux. Un vieux poele fait encore bouillonner dans un chaudron une potion à l’odeur âcre, de quoi vous envoyer ad patres. Le départ a du être précipité. Au centre, une grande table est jonchée de millepertuis, d’héllébore et autres plantes. Quatre candélabres vomissent la cire de bougies en fin de vie. Des dessins agrémentés de description s’empilent au milieu de baumes et sirops divers. Sur les branches servant de charpente, sèchent fleurs et feuilles. Des étagères regorgent d’œufs, de peaux de serpents, de graines pilées. Il s’avance, ses pieds crissent sur des tessons de verre. Des pots ont été renversés, cassés laissant échapper des odeurs de tisane. Quelques robes brodées sont lacérées, déchiquetées. Un crapaud s’échappe par la fenêtre. Des étiquettes d’onguent sont gribouillées, les serpettes de cueillette sont fichées dans le bois du placard, les gants sont découpés. Le tableau d’Hildegarde est perforé et au centre est planté un crucifix. Sur une chaise, des cheveux coupés, des traces de sang, des liens de cuir, au sol deux trainées parallèles, les sillons tracés par deux pieds blessés.

Où l’ont-ils emmenée ? l’ont-ils tuée ou mise au bucher ?

 La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, des moments suspendus, un cœur qui bat, une respiration, un cri, un battement d’ailes, un frémissement, un chant, un souffle dans le silence, un frisson…

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, un imbroglio de fils qui se croisent, s’enroulent, s’embrouillent, se tricotent, se tissent, se séparent, se tendent, se détendent dans un jeu complexe de rencontres. Et l’ouvrage se termine quand l’espace et le temps se rejoignent dans le vide.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, une spirale en mouvement, elle démarre en un point densifié et se déplace vers les hauteurs pour relier ciel et terre.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, une source née des épousailles entre l’eau et la montagne, un torrent qui dévale les pentes, traverse les plaines en méandres et s’étale en eau dormante.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée 

Et au milieu, une évolution dans un juste équilibre, une subtile interaction entre des molécules qui se nourrissent, se protègent, croissent et se reproduisent. Elles se disputent des territoires en guerroyant et s’imprégnant au passage de ce qui leur est donné.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, un élan venu d’on ne sait où. C’est un cheval fou qui caracole sur des sentiers de bosses et d’ornières. Dans les labyrinthes, il se fraie un chemin, il rencontre des ogres, des lapins, des princesses et des sorcières, des senteurs et des saveurs, il bâtit des châteaux, se repose dans des chaumières, il cherche des licornes, connait des cadeaux et des fardeaux. Il finit par reprendre son souffle, il retrouve la pulsation de l’univers et atteint le pré de l’unité. Avant de devenir Pégase, il murmure à l’oreille de ses congénères : « la vie c’est… » 

mardi 10 novembre 2020

 

A la plage

C’est une image qui fait du bien à regarder en cette période de confinement.                                           Une plage dans une lumière de  fin d’après-midi, le soleil est encore haut, la mer clapote gentiment, à l’horizon flâne un voilier aux grandes voiles blanches. Sur le sable blond, deux enfants, un adolescent et un homme encore jeune prennent un bain de soleil. Ils sont nus, le corps abandonné, heureux. Pas de sacs de plage, pas de serviettes. Beauté des corps. C’est une scène intemporelle. Elle me rappelle ma plage des années 70. Les folles années de l’après 68. La liberté, notre leitmotiv… La liberté de penser, la liberté sexuelle, la liberté de vivre comme on l’entendait et surtout pas comme les générations précédentes. Pratiquer le naturisme n’était pas un acte militant. C’était une évidence. Brigitte Bardot chantait «  Nue au soleil exactement ». Le corps libéré.                                                                           Ce temps dont je vous parle me semble bien lointain. Le tourisme s’appelait  les vacances, les Marques des vêtements n’utilisaient pas les corps comme supports publicitaires… Il valait mieux être que paraître, du moins on le croyait.

(A partir d’une reproduction de John Singer Sargent)

Lilou