jeudi 30 avril 2020

A toutes fins utiles



Prologue
Se préparer à une longue quête — Ne pas être sûr de trouver — Espérer toujours — Ne pas être trop exigeant — Savoir que le désirer ne suffit pas à trouver le bonheur.

Naturaliste
Chercher un champ de blé dans lequel s’épanouissent quelques coquelicots. S’assoir sur le talus tout proche — Regarder le mouvement du vent dans les blés — Sentir une douce hypnose s’installer — Ignorer les mouches, taons, tiques qui vous prendront pour une proie — Oublier qu’il fait trop chaud, qu’une ronce vous laboure le mollet —  Si ce n’est pas le bonheur…

Maritime
Se rendre au bord de la Méditerranée — Dénicher une petite crique de sable blond — Se glisser dans l’eau turquoise — Rester stoïque, elle est glaciale — Ne pas sursauter  quand une algue vous frôle, ce n’est pas un calamar géant — Continuer à nager même si vos membres s’engourdissent de froid et que vos dents claquent à vous faire mal à la mâchoire — De retour sur la plage, ne pas craindre le nuage qui vient de cacher le soleil — Le sable sur lequel vous vous êtes allongé  provoque des démangeaisons, ne pas se gratter — Si ce n’est pas le bonheur… 

Familial
Chercher et surtout trouver l’être avec lequel fonder votre famille — De préférence, dénicher un logement et un travail avant de faire des enfants — Accepter que l’objet de votre amour devienne un parent — S’apprêter à faire face à des tâches multiples, des contrariétés, des soucis, des inquiétudes — Ne pas céder à la panique, d’autres l’ont fait avant vous — Goûter pleinement les moments de plénitude devant la télévision  lorsque les enfants dorment enfin — Si ce n’est pas le bonheur…

Professionnel
Obéir — Être ponctuel — Ne pas s’absenter sauf cas de force majeure — Viser la performance  — Avoir dans sa pharmacie somnifères et vitamines — Ne pas déprimer si un collègue obtient une  promotion à votre place — Sourire en toutes circonstances — Convaincre — Supporter la mauvaise humeur du conjoint qui se sent délaissé — Apprécier le gigot-flageolets du dimanche — Si ce n’est pas le bonheur…  

Lilou




Efficacités


Se rendre dans un centre culturel. Demander où se tient l'atelier d'écriture. Aller visiter, si les portes ne sont pas fermées à clé, les pièces adjacentes à celle qu'on vous a indiquée. Elles ne vous serviront à rien.
Entrer, d'un pas décidé, après avoir frappé, dans celle qui vous a été désignée. Compter les chaises libres mais ne pas s'asseoir. Tenter de deviner qui n'est pas animateur de l'atelier. Se tourner vers une de ces personnes. Lire sur ses lèvres les pensées qui le traversent. Sortir un cahier, un stylo, écrire au hasard des mots qui ne peuvent pas correspondre avec ceux que vous devinez se dessiner sur ses lèvres. Fermer le cahier, rentrer chez vous et constater que vous n'avez rien écrit. Recommencer la semaine suivante, même lieu, même heure.

 
 

Prendre une chaussette noire, en laine, de grande taille. La choisir usagée et ne pas la laver pour en conserver tout l'arôme. Dessiner à la craie blanche sur l'avant-pied de la chaussette deux trous ronds de trois centimètres de diamètre. Procéder de même cinq centimètres plus bas avec un ovale de six centimètres de longueur. Découper dans la chaussette ces trois taches blanches de façon à obtenir trois trous. Enfiler, par la force s'il le faut, cette chaussette sur la tête de votre mari, puis faire correspondre les trous avec ses yeux et sa bouche. Lui demander de sortir ainsi dans la rue et de déambuler jusqu'à ce qu'il rencontre un policier. Vous pourrez constater grâce à l'amande de 135 € qu'il devra payer que vous n'avez pas confectionné un masque efficace contre le coronavirus. Ne pas régler immédiatement l'amande si vous souhaitez vous appauvrir. Recommencer lors de la prochaine épidémie.

Un couple


La belle-mère:

Je suis particulièrement heureuse que mon fils se soit marié avec Maryvonne. Il manquait de confiance en lui, elle en a à revendre et à eux deux ils vont avancer dans la vie, construire un couple solide.


Le beau-père:

Quel gâchis! Ma fille est belle, fine, intelligente. J'avais rêvé pour elle d'un mari brillant, qui aille de l'avant, ou bien qu'elle ne se marie pas et réalise la carrière magnifique dont elle était capable. Mais avec Hervé, elle végète, elle n'a plus d'avenir. D'ailleurs elle est déjà enceinte, à peine après un an de mariage.


Une grand-mère:

J'avais une petite fille adorable, maintenant ils sont deux à m'entourer d'affection, et bientôt trois. Ils viennent me voir chaque semaine, m'apportent des fleurs, je suis une vieille dame comblée.


Deux copains d'Hervé:

- Tu as des nouvelles d'Hervé?
- Jamais.
- Moi non plus. Depuis qu'il s'est marié il ne vient pas nous rejoindre au bistrot, ne joue plus au foot, ne sort plus de chez lui sauf pour promener le chien, son caniche à elle, ridicule.
- Quelle tristesse!


Deux collègues de Maryvonne:

- Tu ne trouves pas que depuis son mariage Maryvonne est de plus en plus épanouie?
- C'est vrai, elle s'affirme même devant la chef, avec gentillesse, sans agressivité mais fermeté.
- Elle a du tirer le gros lot. Il est grand, il est beau, je suis sure qu'elle est heureuse au lit. Quelle veinarde !

 
Le Curé

Ces deux là, j'étais sur que j'aurais dû refuser de célébrer leur mariage. Ils m'ont baratiné, m'ont dit que oui ils avaient la foi, respectaient la religion, voulaient vivre une vie chrétienne. Et la semaine dernière je les ai croisés dans la rue, bras-dessus, bras-dessous. Elle était toute ronde, la famille allait bientôt s'agrandir. Et bien quand je leur ai demandé quand ils voulaient commencer la préparation au baptême, ils sont partis d'un grand éclat de rire avant de tourner les talons. Des impies, ce sont des impies, il n'y a plus que cela maintenant.

mercredi 29 avril 2020

Doutes

Elle n'était pas danseuse étoile, elle n'était pas danseuse du tout, n'avait jamais esquissé le moindre pas de valse. Elle n'avait pas les robes pour. Elle n'avait aucune robe. Elle ne s'aimait qu'en pantalons, en jeans moulants. Mais elle ne mettait jamais de baskets, elle n'aimait pas manquer d'élégance. Pourtant elle ne savait pas marcher lentement, déambuler, regarder les vitrines. Elle ne portait pas non plus de chaussures plates, de ballerines, que des talons aiguilles, et ne se tordait jamais la cheville, même en courant .


Ce n'était pas une route, il n'y avait pas de goudron, pas de lignes blanches ou jaunes. Ce n'était pas une rivière, il ne coulait pas d'eau, on pouvait marcher sans se mouiller les pieds. On n' y croisait aucun véhicule, aucun promeneur. On ne savait pas où cela allait, peut-être nulle part. Mais on était irrésistiblement attiré.


Il n'avait pas de poils, pas de plumes, pas d'écailles, pas de nageoires. Il ne courait pas, ne volait pas, ne nageait pas puisqu'il n'y avait pas d'eau. On le distinguait mal, apparaissaient seulement deux yeux jaunes étincelants. On ne savait pas si on devait avoir peur.


Il ne faisait pas soleil, et pourtant il n'y avait aucun nuage. On ne voyait pas le ciel. Il ne faisait pas nuit, on ne voyait pas d'étoiles. On ne savait plus quelle heure il était. Le bruit assourdissant qui avait précédé s'était tû. On ne bougeait pas, on ne parlait pas, on n'osait pas se regarder, d'ailleurs on se voyait à peine. Des haut-parleurs envahissaient l'espace : « Non, non, l'usine nucléaire n'a pas explosé, vous ne courez aucun danger. »
Protocoles
Tricot
Chercher un modèle au hasard dans la méthode.
Prendre des aiguilles à tricoter de préférence.
Monter des mailles sur le aiguilles. 
Une à l’endroit, une à l’envers vous êtes sensé savoir ce que c’est.
Faire ainsi des côtes.
Le résultat ne ressemble pas à la photo.
Faire alors tout sauter, ne faites pas de corde à sauter, ça ne marche pas. Recommencer
Changer de couleurs, changer de taille d’aiguilles, changer de grosseur de laine, que sais –je ?
Le résultat n’est toujours pas bon, une solution, abandonner ou s’entrainer, l’hiver est loin. En cas de découragement,  commander une écharpe sur internet.
Une écharpe c’est tout droit, personne à l’esprit tordu, s’abstenir.
Au fait, il faut un nombre de mailles pair pour réaliser des côtes.

Soin de visage
S’installer devant un miroir.
A côté de vous, la crème Ridof. Se laver les mains avant l’opération.
S’enduire le bout des doigts, ne pas renifler.
Commencer par le cou, remonter les plis.
Insister en fonction de l’âge.
Passer sous les mâchoires, pétrir les mandibules.
Frotter les joues, tapoter les pommettes.
Terminer par le contour des yeux, délicatement.
Oublier le front, il est conseillé de porter une frange.
Laisser reposer. Rincer, c’est bon.
Tout retombe.
Deux solutions : soit vous n’avez pas respecté le protocole
                              Soit vous êtes trop âgé, renoncez

Rangement de bibliothèque
Vider les rayons.
Classer les livres par ordre alphabétique, auteurs ou titres.
Vous ne retrouvez rien, nouvel essai.
Classer par thème, romans, documentaires…
L’aspect n’est pas esthétique, nouvel essai.
Classer du plus grand au plus petit ou l’inverse, du plus épais au plus mince ou l’inverse.
Joli mais pas fonctionnel, nouvel essai.
Grouper vos livres cinq par cinq, dix par dix, intercaler des objets.
Plus assez de place, nouvel essai.
Classer par couleurs de couverture
Bel aspect mais pas logique, nouvel essai.
Classer les ouvrages à l’endroit, à l’envers, ceux que vous aimez, ceux que vous détestez
Arrachez des pages, ça aérera.
Mettez- les à plat, debout, en château…
Aucune importance, vous ne relirez jamais. C’était juste pour la poussière.




 Huguette
Mon oncle

Il n’est pas de la première jeunesse mais ce n’est pas encore un vieillard.
Sa peau n’est pas très mate, juste dorée.
Ses cheveux ne sont pas encore tous blancs, ses joues pas encore trop ridées.
Il n’est pas optimiste, il ne rit jamais mais il n’est pas triste. L’élégance n’est pas son souci mais il est « bien mis ».Il ne porte pas de vêtements couteux mais il exige un mouchoir repassé.
Il est digne.
Il ne vous tiendra pas de grand discours, ne cherchera pas votre compagnie. Il ne vous dira peut-être pas bonjour. Ne soyez pas fâché.
Il regarde au loin.
Vous ne trouverez pas de fantaisie chez lui. Il ne porte pas la barbe, il ne supporte aucune mèche de cheveux indisciplinée. Il ne porte aucun accessoire. Il ne veut pas attirer l’attention. Vous ne le verrez pas au bistrot, il ne dépense rien en dehors de l’utilitaire.
Il est économe.
Mais si vous rencontrez son regard… Pas franchement gris, pas franchement bleu.
Il a la tendresse au fond des yeux.  

Le sentier
Ce n’est pas un sentier de grande randonnée, il n’est pas répertorié, pas numéroté, pas photographié.
Il ne présente pas de grande difficulté, il n’exige pas de vous de grandes performances .
Il serpente tranquillement.
Il n’est pas très étroit, il ne vous oblige pas à marcher en file indienne.
Il ne présente pas de particularités botaniques. Il n’est pas là pour ça.
Il vous accompagne simplement dans les parfums.
Il n’est pas très caillouteux, pas besoin de chaussures spécifiques. Sa pente n’est pas trop raide, vous n’y laisserez pas vos mollets.
Il grimpe gentiment à flan de colline.
Il n’est pas très ombragé, il ne traverse pas la forêt.
Il vous attend au soleil couchant.
Il n’a pas de panneau indicateur, il ne vous dira pas le temps de marche, pas plus que le dénivelé.
Il n’est pas pour les marcheurs , en vérité. Il n’aime pas les sportifs.
Il invite les curieux et les amoureux.
Il ne vous conduira pas au haut d’un massif, ne vous dévoilera pas des glaciers, des sommets, des serracs.
Il vous conduira à la cabane d’un berger, au cœur d’une prairie.
Vous ne verrez pas de pics, de rochers effrayants.
Vous vous loverez dans une combe fleurie.
Vous n’aurez pas hâte de redescendre, vous passerez la nuit sous le berceau de la lune éclairé par les étoiles.
Il ne vous demandera rien, juste un petit mot sur le carnet dans la cabane, juste un petit mot pour fixer votre ressenti avec lui.
C’est le chemin de la cabane de Lauzier. Je ne vous dirai pas où il est.   

dimanche 26 avril 2020

Voyage intérieur




Je suis une casanière.
Ma maison est petite mais accueillante
Trois pièces  cuisine  salle de bain
Sous le toit dans les combles aménagés
Ce qui fut mon bureau  et maintenant
Mon atelier  mon royaume  mon Univers  mon île déserte
Où je passe la plupart de mon temps libre
Où règne tout un fouillis d’objets régressifs
Coquillages et bouts de ficelle
Dans la chambre je ne m’éternise jamais
Même malade je me traîne jusqu’au canapé
Salon avec coin repas et des étagères pleines de livres
Trop de livres qui ont essaimé hors des rayonnages
Toutes les fenêtres s’ouvrent sur de la végétation
Aussi envahissante que les livres
J’aime rentrer à la maison.


vendredi 24 avril 2020

Atmosphères



C’est un matin d’été.                                                                                                                                Il est tôt, la chaleur est encore supportable. C’est un matin étrange, on dirait que le ciel est tombé sur la terre. Brume. Silence. Pas un chant d’oiseau. Juste cette ouate légère qui enveloppe la ville grise. Un jeune homme marche à pas de somnambule au bord de l’Huveaune.

 Depuis une semaine souffle un mistral terrible qui a tout desséché et chassé à l’autre bout de la planète les miasmes et la pollution. Dans le ciel d’un bleu d’acier stationnent des nuages lenticulaires qui ressemblent à des soucoupes volantes.  L’enfant ouvre les bras, se met à courir en tournant sur lui-même…

Le mois de mars de cette année là fut très agité. La journée avait été printanière, le ciel s’est obscurci d’un coup en début de soirée, de gros nuages noirs ont avalé le ciel et l’orage de grêle a éclaté avec violence. Bientôt le sol fut recouvert d’un épais tapis de glace, les grêlons crépitaient avec un bruit de mitraillette. Le paysage devint polaire, méconnaissable. Ses pieds chaussés de sandales avançaient prudemment.

Le soleil fait ce qu’il peut, il brille au firmament en ce milieu de journée et pourtant il fait froid, un léger voile blanc semble absorber la chaleur. La lumière est tamisée, pâle, les ombres ont disparu. Cette journée est une invitation au ralentissement, à la paresse. Impression d’y voir trouble. Hélène s’étire et baille.

Tamanrasset. C’était le but. Le désert. Chaleur sèche, irrespirable, insupportable. Lumière si vive, si violente, qui danse au sommet des dunes. L’air vibre, bourdonne. Et, comme si ce n’était pas suffisant, le sirocco s’est levé, a soulevé une fine poussière de sable piquante comme des milliers d’épines de cactus et a dressé un écran jaunâtre entre le ciel et la terre. Kamel…






Je suis



Je suis tout petit, plutôt moche, je n’ai pas de grandes qualités, je suis le moucheron

Je suis Léonor, j’étais secrétaire de direction, j’ai quatre-vingt trois ans, je ne suis plus rien. Mon fils vient me voir deux fois par semaine, il vérifie le travail d’Annie, l’auxiliaire de vie qui vient faire mon ménage. S’il trouve un peu de poussière, il prend le téléphone et lui fait des remarques désobligeantes qui me mettent mal à l’aise parce qu’Annie je l’aime beaucoup.

Je suis Victor, j’ai huit ans. Je suis fils unique et je m’ennuie entre mes parents qui se disputent souvent. Ils disent toujours qu’ils vont divorcer mais ne le font jamais. Moi j’aimerais mieux mais ils ne m’écoutent pas.

Je ne suis presque rien, les mouches on les chasse, moi on m’ignore

Je suis Veronica, je suis Albanaise. Quand je suis arrivée en France à dix-huit ans, je ne parlais que l’albanais. Il y a trois ans que je suis à Marseille. J’ai appris le français, je travaille dans un cabinet de prothésiste dentaire où je fais essentiellement le café et le ménage. Le patron voudrait coucher avec moi, j’hésite.

Je suis un moucheron, je me contente de peu, un fruit trop mûr fait mon bonheur

Je suis Prune, c’est mon nom d’artiste, en réalité je m’appelle Corinne. Ma mère est comédienne, mon père et mon demi-frère sont des stars dans la chanson. Moi je danse un peu, j’essaie de chanter mais je n’ai aucun talent.

Je ne suis pas Superman, je n’ai pas un corps d’athlète, je suis caissier en chef dans un grand supermarché. Je m’appelle Abdelkrim, j’ai trente-huit ans. Ma femme travaille à la maison, elle est nounou. Tous les deux adorons les enfants, nous en avons trois, avec ceux qu’elle garde, la maison est toujours pleine de vie.

Ne présenter aucun intérêt procure quelques avantages, je mène la vie la plus tranquille qui soit.  La Fontaine a essayé en vain de me rendre célèbre. Je suis un moucheron heureux.  

jeudi 23 avril 2020

Quel temps fait-il?


Au lever du jour il régnait un brouillard épais, un brouillard rare dans notre région. Les arbres à trois mètres se devinaient à peine. Plus que dans le brouillard on semblait être dans un gros nuage gris. Il faisait très humide mais il ne pleuvait pas. Fabrice s'étira


Le soleil écrasait tout. Il régnait depuis des jours et des jours sans que le moindre nuage ne traverse le ciel. Les courtes nuits de juillet ne suffisaient pas à apporter la moindre fraicheur. Suzanne soupira


La montagne, encore verte hier soir, était recouverte d'une épaisse couche de grêlons. Ils n'étaient pas très gros, comme des billes, mais si nombreux que tout autour du lac on n'apercevait plus un brin d'herbe, on ne devinait plus le chemin. Et le soleil brillait dans un ciel bleu limpide, les faisait scintiller. Jules et Rose se frottèrent les yeux


Depuis trois jours la pluie tombait en rideau serré. La terre ne pouvait plus l'absorber et les chemins s'étaient transformés en ruisseaux. Il devenait dangereux de sortir, prendre la voiture était impensable. Par bonheur la toiture de la cabane avait tenu bon. Joseph était au sec mais
Climats

On ne peut dire si c'est le jour ou la nuit. Plus de lune, plus d'étoiles, pas de soleil, le rendez vous est manqué. Tout est encore noir malgré la matinée avancée, un noir inquiétant. pas un souffle d'air, tout étouffe, tout est immobile. La nature attend, la ville attend, une atmosphère de fin des temps. Soudain, un déchirement du décor, un éclair ouvre le ciel, le feu en zig zag sur les toits. Quelques minutes et un grondement venu des enfers fait trembler les fenêtres, claquer les portes. Le scénario se répète et d'un seul coup, des trombes d'eau, la pluie enfin, l'atmosphère respire, les gouttes éclatent sur le bitume, des ruisseaux dans les gouttières, des ruisseaux sur la chaussée, la fraicheur ! Albert...

Du bleu, que du bleu, aucune nuance, un bleu uniforme, un bleu éclatant, un bleu qui efface les contrastes, qui écrase, qui avale les formes, un bleu qui veut tout aplanir, user les reliefs. Et au zénith, le soleil brûlant dans toute sa puissance. La température monte, dessèche, assoiffe. Le chapeau de...

Rien n'est distinct ce matin, la brume enveloppe tout. Une douceur ouatée se répand sur les collines. Elle coiffe les sommets, habillent les arbres d'un voile de fantôme, suspend ses gouttelettes sur les brins d'herbe. Tout est flou, seule la flèche de l'église perce le manteau de coton, un bateau dans les nuages. Une sorte de fumée accompagne la rivière, elle semble vouloir ralentir son cours. Le pont n'a plus de piles, il flotte. Il fait doux, un calme étrange sur la vallée, rien ne parait éveillé, apaisement généralisé. Au bout du chemin, deux lumières diaphanes, le tracteur de...

 Le crissement de la glace sous la coque du bateau.  Le pont brillant de gelée. Les stalactites en décor de lucarnes. le blanc immaculé des terres, le blanc bleuté des icebergs, le blanc partout pour éclairer la nuit sans fin des pôles et ce vent qui siffle sur les vagues...

La fraicheur dynamise la montagne. le soleil monte, radieux. La rosée s'évapore doucement. la brume s'effiloche et libère le chant du ruisseau. Une légère brise réveille la cîme des arbres. Les nuages imitent les moutons de la pature et jouent avec les ombres. L'atmosphère est d'une pureté absolue, tout respire. Les feuilles secouent les dernières gelées du petit matin. Des cris d'animaux et les tentes...

mercredi 22 avril 2020

Chez moi



A l'intérieur de chez moi, c'est assez grand pour y faire des pas, des allers et venues, se dégourdir les jambes. Ce que je préfère, c'est l'extérieur. De mon quatrième, en limite du Parc des Calanques, la vue est grandiose, les pins exhalent leur odeur chaleureuse, le soleil couchant illumine souvent les rochers blancs et le ciel, d'un rose à oublier tout ce qu'on a à faire, à s'asseoir sur la terrasse et à contempler. J'oublie le parking et ses voitures, le grand immeuble dressé plus loin, et je profite de la nature qui m'est offerte, du chant des cigales l'été.

De mon lit la nuit, par beau temps, fenêtre grande ouverte, je contemple aussi les étoiles, juste troublées par le passage d'un avion ou de tous les satellites trop lents pour les confondre avec des étoiles filantes et trop nombreux pour  oublier que nous avons colonisé le ciel.

Quand je ferme la fenêtre je déambule au gré des pièces et de mes occupations. Le lit, dans ma chambre, c'est pour rêver, endormie ou éveillée, pour lire aussi. Et sur le petit bureau de bois fabriqué par mon père j'écris des lettres, à la main, ça m'arrive encore, je dessine parfois, ou je fais mes comptes, c'est moins poétique.

Dans l'autre chambre, celle des petits enfants, des amis, je vais peu, elle ne m'appartient pas vraiment. Mon fils y est souvent de passage et dépose à chaque fois de nouveaux objets, des livres en quantité, des bouteilles offertes par ses élèves, des boites de gourmandises auxquelles je ne touche jamais sans y avoir été invitée. Le piano noir des ses études n'a plus été accordé depuis longtemps, il lui arrive d'en jouer pourtant, en sourdine pour épargner les voisins.

Le plus souvent je me tiens dans le salon, j'aime mon coin audio et vidéo : télévision, ordinateur, chaine hifi, collection de CD et DVD. Tout n'est pas du dernier cri, mais ça marche et m'occupe beaucoup.

Les livres sont partout, dans toutes les pièces, même dans les toilettes où l'on trouve la collection complète d'Agatha Christie et quelques BD. Ceux de la cuisine je les ouvre de moins en moins. Il y en a même dans mon lit, ceux en cours ou en projet de découverte. Avec eux je me sens moins seule. Ils ne ronflent pas, mais si l'un d'eux tombe par terre en pleine nuit, ça me réveille aussi!
 
Et puis il y a un fauteuil, un canapé, je vais de l'un à l'autre pour boire un thé, lire, coudre, téléphoner, regarder des photos.
 
C'est plein de photos chez moi : celles que j'ai faites, celles qu'on m'a données, et des dessins d'enfants, tous encadrés. Mes petits enfants, bientôt très grands, je les vois moins mais ils sont là, avec moi, toujours, où que je regarde.

La pinède dehors, la famille dedans, je suis la seule habitante, mais je ne me sens jamais solitaire dans mon appartement, il est peuplé de ceux que j'aime.
Voyage de chambre

Moi, la chambre, je suis plutôt déconfinée. Elle ouvre la grande baie plus souvent, je profite du balcon, l'odeur des aromatiques se répand en moi, un bonheur.Elle me regarde de l'extérieur, c'est troublant. je ne l'avais jamais vu prendre le café sur cette table de jardin, elle a l'air bien.
Elle est beaucoup moins distanciée , elle est avec moi une grande partie de la journée. Il faut vous dire que l'architecte qui m'a conçue m'a nommée "suite parentale". Ce n'est plus d'actualité, elle est seule. Je suis devenue une pièce un peu spéciale, ni salon, ni chambre, j'ai des fonctions différenciées.Je suis garnie d'objets, pas d'objets souvenirs, elle n'aime pas trop. On pourrait dire que je reflète un chemin de vie, j'abrite des moments en mouvement. C'est ainsi que la commode à couture retrace la vie des femmes, de celles qui brodaient à la veillée à celles qui ne savent pas coudre un bouton, on va de l'oeuf à repriser à la bande collante pour les ourlets, ce meuble n'est pas à l'abandon, en ce moment elle confectionne un abécédaire au points de croix. Sur les étagères fraichement peintes en vert, trônent des dictionnaires, il y en a un de 1914. Il ne sert pas, quand elle veut vérifier l'orthographe d'un mot, elle ouvre son téléphone. Là aussi, il s'agit d'évolution, de la langue écrite cette fois, je l'ai surprise à lire un gros ouvrage "l'histoire de l'écriture". Tout en haut on peut retrouver des petits classiques, elle ne les regarde plus, ils sont le symbole de sa traversée du lycée. Tout comme ces poupées en bois, venues du Jura représentent un pan de sa vie, il lui est arrivé de les habiller de neuf pour les inscrire dans la durée. Je suis comme traversée par des fils qui déroulent les ans, le plus récent c'est celui qui joint deux tableaux, un de la Ste Victoire , l'autre de la Bonne Mère, le dernier chemin parcouru, je ne vous parlerais pas des cailloux de sentiers, je n'y connais rien, le Petit Poucet peut-être. En ce qui concerne le présent, je suis un peu encombrée de ces nouvelles créations, elle travaille l'argile même ici, elle s'est installée un petit atelier sur le vieux bureau du papé, je vous passe les affres de mon parquet. Quand elle a les mains dans l'argile, elle dit qu'elle est à la fois dans le passé, le présent et l'infini, toujours cette question de temps ininterrompu. Une de ses théories c'est que le bonheur se trouve dans la création, elle a déjà écrit ça à l'épreuve de philo du bac, fidèle au déroulement.
A l'abri d'un grand meuble, je surveille son lit, pas grand chose à en dire depuis qu'il n'est plus partagé, juste pour ses nuits, bien douillet avec ses chers nounours. Au dos du meuble, une girouette immobile, elle s'est arrêtée de tourner, elle s'est figée là avec le temps quand elle est arrivée chez moi.
Je suis d'autant plus ravie de la sentir vivre enfin avec moi. je lui offre mes espaces ouverts sur l'extérieur, elle les occupe, elle me joue un peu de musique, elle laisse traîner les partitions, elle vit. On peut même prendre le thé, pas manger, pour cela vous me quitterez par l'escalier.
Mais avant de rejoindre l'étage, installez vous dans le grand fauteuil jaune et regardez la tapisserie qui orne mon mur, on dirait la situation d'aujourd'hui. Une barque fracassée, au fond le soleil toujours là et un oiseau qui s'envole. Je pense qu'elle la regarde plus attentivement maintenant et que ses yeux se portent sur les débris, sur l'horizon ou sur l'envol en fonction de ses humeurs. Elle regarde plus que les couleurs, je ne serai pas étonnée qu'elle se mette à écrire une histoire.
Il se fait tard, elle est encore là avec moi, je n'en reviens pas, elle allume le lampadaire, lui aussi il trouve sa fonction. la lampe bleue de sa mère éclaire l'échiquier, elle ne sait pas jouer, lui, l'échiquier il est souvenir. Elle va fermer les rideaux, un autre chemin de lumière sur notre intimité. Il se termine au dessus de la commode où on peut lire:"Je vous donne ma paix..."
Je suis enfin une pièce de la maison. C'est bon.
Il me reste une question:"toutes ces boites, que cachent elles au fond?"