vendredi 25 décembre 2020

La Prisonnière

 

Je ne partage ma prison avec personne.

Ma prison ne pèse pas bien lourd mais elle est très pesante.

Je suis prisonnière de mon corps.

Mon corps fonctionne, il n'a aucune tare. Pourtant, lui et moi, avons du mal à cohabiter. C'est un corps à états d'âme qui a sans cesse son mot à dire. Chaque jour, nous nous combattons sans pitié, un jour je gagnerai.

Alors je serai légère, sans entrave. Le matin, je me lèverai sans boule au ventre. Mes jambes ne seront pas en coton. La peur soudaine et sans raison ne me paralysera pas. Le jour pâle qui se lève au-dessus des toits frissonnants ne sera plus comme une montagne abrupte à escalader. Je serai forte, musclée, tonique. Exit la fatigue, je randonnerai de l'aube à la nuit. Finies les crises d'angoisse dans le métro quand il stoppe brusquement entre deux stations et s'éteint. Plus de sueurs froides mais du sang froid! Je monterai jusqu'au dernier barreau d'une grande échelle sans avoir le vertige. J'irai caresser les nuages. J'oserai prendre la parole en public sans avoir les oreilles qui bourdonnent, les mains moites et le cerveau aux abonnés absents.

Enfin, j'aimerai les fêtes. Je n'y ferai plus tapisserie. J'oserai, je danserai! J'irai au beau milieu de la piste et je danserai. Mon corps ne se raidira pas, ne pensera pas aux regards posés sur lui. Mes bras et mes jambes seront parfaitement coordonnés et s'abandonneront à la musique. Oh comme je danserai! Oh comme j'aimerai ça!

dimanche 20 décembre 2020

 Tissage entre phrases et tableau

Toute l’équipe s’est installée dans une contrée inconnue, un peu de repos sera bienfaisant pour la troupe, la fatigue se faisait sentir. Acrobates, clowns et magiciens ont franchi la frontière de nuit par des chemins de montagne. Ils ignoraient l’état d’urgence de ce pays inconnu. Ils se trouvèrent confinés sur le territoire.Les contrôles étaient fréquents. « Rien à offrir à la patrie, alors vous devez partir ! »Chaque visite de la gendarmerie finissait en cris, vociférations et insultes.

Pour échapper à ces agressions, Fiona décrochait son cerceau et filait au bord de mer, la distance n’était pas insurmontable, elle trouvait toujours la direction qui accentue la pente.Un matin, au détour d’une rue, elle rencontra un homme complètement vêtu d’un simple pantalon, elle s’approcha, il lui demanda son pain, elle n’osa pas refuser, il l’impressionnait mais quand elle croisa son regard, elle ressentit au creux du ventre une vague pareil à l’ouragan, ils s’embrassèrent, plus rien ne la forçait à continuerson chemin, serrés l’un contre l’autre, ils se réconfortaient, acceptaient ces temps troublés. Ils étaient dans l’éblouissement de la rencontre. Ils oubliaient le temps pourtant elle devait rentrer. « Peut-être qu’ils prendront mal que nous ayons été  ensemble cette nuit »lui murmura l’inconnu au creux de l’oreille.En voyant arriver le patriarche, elle posa son doigt sur sa bouche, elle lui demanda gentiment de ne plus rien dire. En quelques secondes, le chef fût sur le couple enlacé, le coup de couteau dans le dos la fit sursauter, trembler de la tête aux pieds. Une goutte de sang tomba de ses lèvres, il s’écroula sur les pavés.

« Tu ne crois pas aux anciens, idiote, pourtant, la vieille ne t’avait rien caché,tu savais que ça arriverait, tu as rencontré le diable, tu es contente ! Mauvaise fille, marche devant moi, désormais tu ne sortiras pas »

Fiona a été mariée quelques années plus tard à un homme de la roulotte voisine, elle a eu une fille qui ne ressemble à personne de la tribu. Cette belle enfant a grandi, souvent elle demande à sa mère : « je sais que tu ne dois rien dire, mais conte moi quand mêmele secret de ma naissance, c’est une si belle rencontre. »

 Libération

Les applaudissements, elle salue, elle sourit, de ce sourire forcé qu’elle ne supporte plus. Encore une heure et ce sera fini, elle sortira. Elle a tout prévu, elle sortira par la porte de derrière, elle passera par l’arrière- cour pour être certaine de trouver une poubelle. Elle les jettera ses patins, elle les recouvrira de cette dernière tenue pailletée, elle ressentira certainement un pincement au creux de la poitrine mais c’est le prix à payer pour sa liberté. Elle partira en courant vers la plage, elle se déchaussera, elle marchera dans le sable, elle laissera ses pieds s’enfoncer, se faire chatouiller, ils ont tant souffert, elle remuera ses chevilles, elle caressera ses orteils meurtris, elle chassera de sa tête ces injonctions quotidiennes : « Reprends, pas assez d’élan, qu’as-tu fait de ta nuit ? Encore une fois, que diable applique toi, tu n’y es pas ! ». Là, elle y sera, elle sautera sans compter ses pas, sans se soucier de toucher le sol à la mesure 33, elle écoutera la musique du vent. Le soir, elle ira au pub avec ses copines, elle boira quelques bières sans se soucier de l’effet sur son régime, elle rentrera au petit matin, elle ne calculera pas ses heures de sommeil. Elle se promènera avec son amoureux, dans son regard, elle oubliera les gestes douteux de son entraineur, ils se baigneront de soleil, plus de chute sur la glace, de la douceur, rien que de la douceur. Elle savourera sa nouvelle vie à la terrasse d’un café, elle aura une petite pensée pour Gérard, elle l’imaginera criant dans les vestiaires, elle a la clef au fond de sa poche.

Quand il sera libéré…il ira…  

dimanche 13 décembre 2020

 Phrases en petites histoires

Il enseignait dans ce village depuis vingt ans, il avait consacré sa vie à son école, il avait conduit la plupart de ses élèves au certificat d’études. Tout le monde semblait l’apprécier et pourtant un matin, il est parti, meurtri par les rumeurs qui circulaient sur lui, il n’a jamais compris.

 

 Ce matin de décembre, la petite famille Plantin part en forêt, il est temps d’aller couper le sapin qui décorera le salon pour les fêtes de Noël. Ils avaient déjà les lumièreset les décorations fabriquées maison. Ils cheminaient dans la neige quand l’arbre convoité se présenta devant eux, tout fier sur le talus givré. Le père leva sa hache pour mettre à terre le jeune arbre quand il aperçut au creux des branches, un nid, il laissa tomber son outil et expliqua aux enfants la valeur de la vie. Depuis, chez les Plantin, quand arrive la fin d’année, on cueille des branches sèches, on les peint aux couleurs de l’arc en ciel et les oiseaux chantent autour de la maison.

 

Poucette a grandi. « Il est temps de marier notre fille » déclara le roi Arthur. « C’est la plus jolie, la mieux éduquée du royaume, nous lui trouverons facilement un prétendant »On commençait les convocations, les jeunes hommes affluaient, les préparatifs des noces animaient le château quand Gontran du royaume d’Octavie déclara la guerre aux frontières. Il fallut mobiliser les forces vives du pays. Tout adulte en âge de guerroyer fut envoyé sur le champ de bataille.

« Ouf ! »s’écria la petite princesse, «  la guerre c’est pas drôle mais le mariage l’est encore moins ! »

 Entre ciel et terre

La pierre, il a toujours aimé cette matière. Petit déjà il allait dans les carrières, se couchait sur les blocs pour écouter le son de la terre, il caressait les veines, s’imprégnait de ce monde premier. Puis il voulut la faire parler, extraire ce qu’elle a dans ses profondeurs. Il voulut dégager son âme de la gangue enveloppante. Il commençait en douceur, la caressait, l’admirait puis quand il se sentait en harmonie avec elle il la travaillait pendant des jours et des jours, quand elle résistait, il la brusquait. Au petit jour, quand l’essence des entrailles se révèlait, il passait sa main rugueuse sur les formes naissantes et là elle apparaissait, ils se rencontraient, un vrai bonheur. Il a beaucoup exposé, il a connu quelques échecs parfois la pierre était muette. A tant sculpter, il se sentit prisonnier, il était en elle, il fondait son corps avec elle. Un jour, il entendit gémir, était-ce elle ou lui ?

Il eut envie de légèreté, envie de voir l’horizon, le ciel, le lointain, les nuages là-bas. Il voulut flotter dans l’espace mais se sentit incapable de quitter cet élément qui l’avait façonné, usé. Il devait garder le contact. Il entra dans le monde des rêves, il se surprit à ne rien faire, à rester dans son imaginaire, il a écrit des chansonnettes pour des rondes enfantines mais il avait besoin de s’ancrer pour rester lui-même. Il ne voulait pas décoller. Il finit par trouver l’équilibre entre ciel et terre.  Suivant son humeur, il choisit le barreau de l’échelle, plus ou moins près du sol, plus ou moins près du ciel.

 Une vie ailleurs

Des mois qu’Anna fait des cauchemars, elle se réveille toutes les nuits, terrorisée, des ombres veulent l’étrangler, la perforer, l’embrocher, la cuisiner aux petits oignons et la dévorer. Au moment d’être croquée, elle sursaute et tombe en panique.

Elle a tout essayé, l’hypnose, les psychiatres, les massages, les médicaments, rien n’est efficace. Elle essaie les bains aux huiles essentielles accompagnés d’un joint de cannabis. Pas habituée à ces vapeurs, elle hallucine rapidement, elle voit des poissons rouges dans la baignoire, s’envole entre deux mondes, tout ça est agréable mais elle que devient - elle ? les mégots s’entassent, l’atmosphère de la maison devient irrespirable, elle perd pied. S’en aller, fuir, s’éloigner de tout, elle n’avait pas envisagé cette solution mais un soir de pleine lune, sans bagage, elle part, elle erre dans la campagne, atteint la forêt. Dans une clairière, elle aperçoit une soucoupe, elle est éberluée, elle n’a jamais rencontré de tel engin pourtant elle n’est pas droguée cette nuit, elle n’a rien pris. Un charmant jeune homme descend, l’invite à monter à bord. L’angoisse l’étreint. « je ne partirai jamais vivre dans cet espace confiné ». Bruno, c’est son nom, la réconforte « Regardez ma belle, il y a tout ce le nécessaire, des victuailles, le téléphone, des livres, des séries télé, détendez vous. Demain on décolle, vous verrez, là-haut, on oublie tout, nos petites vies d’humain sembleront ridicules, on fera la fête dans l’apesanteur, on jouera à se prendre la main, on prendra un vrai bain de lumière, peut-être qu’on ne rentrera pas tant la vie sera belle, on essaie ? »

Des étoiles filantes passent dans le ciel. Bruno nous salue, Anna fait de beaux rêves.

  

 Le concours

Elle s’est levée tôt ce matin, jour de l’examen. Elle a préparé stylos, cartable et dossiers la veille. Elle est prête, ce concours, elle doit le réussir, elle suivra les traces de son idole, elle connait tout de sa vie, de ses travaux, elle a même visité sa maison. Elle a travaillé les équations, pris connaissances des virus, elle a révisé consciencieusement, elle s’est entrainée à la résolution de problèmes compliqués, elle s’est parfois endormie sur les devoirs, tard le soir. Elle est prête, elle monte par les traboules pour atteindre la grande bâtisse grise. Elle lit le fronton : institut Pasteur. Elle est fière, elle est prête. Après vérification d’identité, elle s’installe au bureau désigné, n° 4 de la deuxième rangée, un bureau qui sent bon la cire, des feuilles blanches, des éprouvettes, des lames de microscope. Son voisin de droite, elle ne le connait pas, celui de gauche lui sourit, son grand rival. Elle sera la meilleure, elle est prête. Devant le tableau noir, un surveillant en blouse et petites lunettes scrutent les candidats, elle l’oubliera, elle est prête. La cloche sonne, les sujets sont dévoilés. Elle enchaine les exercices sans difficultés. Juste au moment de conclure, un rayon de soleil traverse la pièce, s’attarde sur les éprouvettes, un arc en ciel joue sur le parquet. La lumière, le souffleur de verre, des formes ondulent, la magie de la transformation, le feu, la chaleur font oublier le froid des lieux. Des gouttes, des boules, des rubans se détachent, montent au plafond, se bousculent dans un cliquetis cristallin. Elle se perd dans la féerie du scintillement.

Soudain, un nuage, la salle retrouve le gris, elle se ressaisit. Il était temps, on ramasse les copies. En descendant le grand escalier, elle sait, elle a réussi. Elle poursuivra dans la chimie, tout est chimie mais peut-être pas ici, elle a découvert un autre agencement de molécules, une autre fenêtre s’est ouverte.

lundi 7 décembre 2020

Qui est-il?

 Bien que ce ne soit pas dans mes habitudes, j'ai ramené à la maison une pile de vieux Beaux Arts magazines ramassée au pied du conteneur de recyclage spécial papier. Il était évident que la personne qui avait l'intention de les jeter y avait renoncé au dernier moment parce qu'ils représentaient  plus que des vieux papiers. On les avait déposés sur le trottoir dans l'espoir que quelqu'un les récupère.

Ils sont là, près de moi, bien classés par date de parution. Un numéro hors série légèrement écorné a été soigneusement scotché. A qui avaient bien pu appartenir ces magazines? En les feuilletant, j'ai découvert avec étonnement que de nombreux textes étaient surlignés au Stabilo jaune. Certains passages étaient même annotés d'une écriture élégante aux lettres allongées et légèrement inclinées. Une personne âgée certainement, plus personne n'écrit comme ça. Pourquoi une lecture si approfondie? S'agissait-il d'un amateur d'histoire de l'art, d'un professeur, d'un journaliste?

C'est dans le deuxième magazine que j'ai trouvé le premier "marque-page": un ticket d'un cinéma de Marseille. Il fut le premier d'une longue série. Il - ou elle - marquait ses pages avec ce qui lui tombait sous la main: tickets de caisse ( le 18/10/91 achat d'un morceau d'Appenzel d'Alpage), Fragments d'enveloppes ou de papier d'emballage et, dans le numéro de mars 1992, pour marquer le début d'un article sur Claude Monet, il y avait une petite carte de vœux qui s'adressait à " Mon cher Armand ". Armand! La personne qui commençait à se dessiner entre les pages avait maintenant un prénom, il était âgé, aimait l'art, le bon fromage, allait au cinéma, était méticuleux, peut-être un peu maniaque.

Ces magazines, je les ai feuilletés un à un , page à page. J'y ai trouvé un emballage de thé Breakfast aux notes de fruits mûrs, un morceau de papier d'emballage avec une inscription en lettres grecques, des tickets de métro, des billets d'entrée dans différents musées. J'ai aussi trouvé, plié en accordéon, un électrocardiogramme qui m'a inquiété. Armand était peut-être malade. J'ai passé beaucoup de temps à faire connaissance avec Armand, devenu au fil de mes trouvailles, un véritable ami au point de rendre ma femme jalouse des heures que je passais "avec lui et ses revues dégoutantes" comme elle disait.

Elle n'avait pas tort. j'étais devenu obsédé par Armand et son mystère. Un matin, j'ai porté les magazines au recyclage mais, dans une boîte, j'ai gardé tous les " marque-pages ". Cette boîte, je l'ouvre de temps en temps. Je pioche au hasard une petite trace de la vie d'Armand et je le fais revivre. Aujourd'hui, j'ai tiré une moitié de carte postale: un pan de ciel intensément bleu, des ruines brunes, le  Forum de Rome. Armand est en Italie, élégamment vêtu, attentif à tout ce qu'il voit, il prend des notes dans un petit carnet moleskine noir. Certains jours je lui fais manger une glace, parfois il photographie la jolie femme qui l'accompagne. Il est heureux.  

 

vendredi 4 décembre 2020

 Tom Gaouier

 

 

Je m'appelle Tom Gaouier et je n'ai jamais eu de grand-père paternel. C'est ce que disait mon père, qu'il n'avait pas de père. Quand j'étais petit, ça ne me gênait pas: deux grand-mères, un seul grand-père, tous affectueux, ça m'allait très bien.

Mais en grandissant j'ai posé des questions. Tout le monde ne connaît pas son père, mais tout le monde en a un. Ce qui m'intriguait, c'était le nom : mon père m'avait légué le sien : Gaouier, mais d'où le tenait-il ? Ce n'était pas le nom de ma grand-mère, elle portait celui de sa naissance, qu'elle n'avait pas donné à son fils. Pourquoi ? Mon père comme elle ne voulaient pas me répondre, me faisaient comprendre qu'il ne fallait pas insister.

Ma grand-mère est morte, emportant son secret, j'étais encore trop jeune pour participer aux démarches.

Et un jour ce fut le tour de mon père de s'en aller, et à moi de m'occuper de tout. J'ai ouvert la chemise où il rangeait ses papiers et j'ai découvert le livret de famille de ma grand-mère. Elle avait été mariée, avec un dénommé Magloire Gaouier et deux ans après était né mon père, puis plus rien. Magloire, pour un homme qui n'aurait plus eu d'existence ça ne s'invente pas.

Alors j'ai commencé à fouiller dans  quelques documents que je n'avais jamais vus.

Le livret de famille a été le premier à me parler : ce Magloire, c'était bien mon grand-père manquant, pas de doute. J'ai trouvé deux photos d'un  homme assez jeune et présentant bien : une en costume de ville, l'autre en uniforme de gendarme, son numéro matricule était lisible, j'ai écris à la gendarmerie, on m'a convoqué pour me dire qu'il n'y avait aucune trace de lui. Bizarre, dans la gendarmerie. Sa carte d'identité, avec une photo, un peu plus agé, son empreinte digitale, sa taille :1m 85, fichtre, je tenais donc de lui, seul « grand » dans la famille, alors que mon père était plutôt petit.

J'avais sa date de naissance, mais aussi le lieu, un village en Bretagne. Aux premières vacances je suis allé là-bas, il figurait bien dans le registre d'état civil, dernier né d'une famille de cinq enfants, dans un hameau de quatre masures que j'ai prises en photo : laquelle était la sienne ? Personne au village ne semblait se souvenir de cette famille là.

J'ai laissé passer du temps, j'avais ma vie, bien remplie, alors quelle importance ?

Mais plus tard, l'age venant pour moi aussi, un dimanche de pluie j'ai ressorti les papiers de ma grand-mère, je n'avais rien jeté. Il y avait une vieille lettre presqu' indéchiffrable tant l'encre avait bavé. C'était une lettre à l'en-tête du ministère de l'intérieur où il écrivait à mon père qu'il voulait renouer les liens, quarante ans après, qu'il était riche, qu'il couvrirait ma mère de bijoux. Lettre rageusement barrée d'un : « pas répondu », mais conservée tout de même.

Et puis deux feuilles de paie, il n'était pas si riche que cela, une quittance de loyer, il habitait à Paris près du Jardin des Plantes, je ne suis pas allé voir.

Pas de trace d'un divorce, pas de trace de sa mort.

Je suis retourné dans le village breton, dans le pauvre hameau, et là j'ai noué connaissance, posé beaucoup de questions, j'avais atteint l'age où il est temps de savoir. J'ai fini par rencontrer de petits neveux à lui, d'abord gênés pour me parler, et puis qui m'ont raconté ce qu'ils savaient, peu de choses mais qui ne le flattaient pas, son départ à quatorze sur un coup de tête, ses parents laissés sans nouvelles et qui n'ont jamais su qu'ils avaient un petit fils, son retour pendant la guerre de quarante pour se procurer gratuitement de la nourriture à la campagne, son retour définitif à un age avancé et sa mort dans le village voisin où il s'était installé, avec une de ses nièces célibataire qui avait été sa femme à tout faire, à vraiment tout faire...

Voilà, c'était mon grand-père, ce n'était pas un bien joli monsieur, mais il avait existé, je savais d'où je venais.

On m'a emmené sur sa tombe qui existait encore, dans un si beau petit cimetière planté dans la dune en bord de mer.

La région est magnifique, j'ai visité, je suis entré dans la cathédrale de la ville toute proche, je me suis assis au hasard sur un banc, pour penser... le prie-dieu  en bois, devant mes yeux, portait la trace d'une gravure maladroite, très ancienne : Magloire Gaouier. Et bien malgré moi, j'ai essuyé une larme.

 Hotel de France

 

 

L'Hôtel de France, situé dans le quartier  de La Joliette, juste à la sortie du Port de Marseille, ne porte pas son nom par hasard. Il est petit, ancien, un peu délabré, mais toujours plein à craquer.

Un gardien se tient quelquefois derrière un comptoir dans une petite pièce du rez de chaussée. Il n'y a pas de téléphone mais on peut le joindre sur son portable, si on connait son numéro.

Et son numéro est connu à travers le monde, pas le monde entier, mais les pays pauvres, les pays en guerre, les pays dont il faut s'enfuir.

Car l'Hôtel de France ne reçoit pas les touristes venus visiter la ville et ses magnifiques alentours. Il "accueille", si l'on peut dire, les étrangers arrivés clandestinement ou pas, débarqués par bateau et ne connaissant de Marseille qu'une adresse: la sienne. On ne sait pas comment ils l'ont eue, mais ils arrivent, et trouvent toujours de la place puisq'ils acceptent d'être deux ou trois familles par chambre, ce qui peut faire près de deux dizaines de personnes dans moins de vingt mètres carrés. Heureusement il y a des enfants très jeunes qui ne prennent pas beaucoup de place et les pères de famille ne font que passer, ils apportent un peu de lait, un peu de nourriture, et vont dormir dehors.

C'est terrible? Oui, c'est terrible, mais moins que de vivre sous les bombes de leurs pays en guerre.

Le tarif n'est pas exagéré, les services sociaux qui financent ne sont pas tès riches. Mais il ya beaucoup de clients, le tenancier s'y retrouve.

 

PS: Ma description date de plus de vingt ans, c'était la guerre en Bosnie, l'hôtel a peut-être bien amélioré ses conditions d'accueil depuis, mais il y a la guerre en Syrie...