jeudi 16 septembre 2021

Madame Panicot au vaccinodrome

 De bon matin, Madame Panicot trottine sur le boulevard de la Pugette. Ne vous fiez pas à son allure décidée. Elle est rongée de doutes, d’hésitations, de craintes, de contrariétés… Des mois qu’elle tergiverse mais ce matin, elle est décidée, elle va se faire vacciner ! De nature prudente, depuis le début de la campagne de vaccination, elle observe le Grand Barnum qui agite la planète sans aucune envie d’y participer. Maintenant, elle n’a plus le choix. Le Président, adepte du « En même temps » l’a bien dit : « La vaccination n’est pas obligatoire mais il est obligatoire d’être vacciné sinon pas de pass sanitaire ». Sans ce sésame, plus de vie associative, plus de cinéma, de théâtre, de concerts … C’est la punition pour les non-vaccinés, ceux que l’on qualifie d’empêcheurs de tourner en rond, d’irresponsables, de complotistes, d’anti-démocratiques, d’antivax dangereux. Autant de catégories auxquelles Madame Panicot ne s’identifie pas du tout. Toujours patraque, jamais malade, elle se sentait de taille à résister au virus. Maintenant, vexée, humiliée, elle marche vers le Palais des Sports où les pompiers sont en charge d'un vaccinodrome. Elle avance sur des jambes en coton. Le sol vacille. Courageuse mais pas trop. Terrible envie de faire demi-tour. Sur le pont de l’Huveaune, elle est distraite par un grand héron aux plumes grises qui se meut avec élégance dans l’eau croupissante. Il soulève lentement ses longues pattes fines qui ressortent toujours propres de cette eau infecte. Il est d’une beauté parfaite. L’Huveaune à cet endroit, canalisé, chargé d’immondices est d’une laideur à vomir. L’ensemble forme un oxymore saisissant. Le bec fin et pointu du héron rappelle à Madame Panicot qu’une piqure l’attend.

Elle met son masque et, sans plus réfléchir, se hâte vers la foule massée aux abords du Palais des Sports. Ensuite tout va très vite avec lenteur dans le silence cotonneux des mauvais rêves. Madame Panicot suit le mouvement erratique des gens masqués qui, comme elle, sont un peu hagards. D’ilot en ilot, après quelques formalités, elle est devant un médecin affalé au fond d’un box éphémère. Il lui rappelle d’une voix lasse que le vaccin n’empêche ni d’attraper la Covid ni de la transmettre, qu’il faudra continuer à appliquer les gestes barrières. Timidement, elle avance que l’appellation de vaccin est peut-être inappropriée. Un haussement d’épaules est la seule réponse qu’elle obtient. Puis c’est la dernière étape, le box de vaccination. Madame Panicot s’y sent comme un chat chez le vétérinaire, elle regrette de ne pas avoir de griffes. Pourtant la dame qui l’accueille est charmante, la piqure est indolore. Voilà c’est fini… Enfin fini… pas tout à fait. « Maintenant l’ARN va transporter la protéine Spike dans mes cellules » se dit Madame Panicot à la fois soulagée, contrariée et inquiète.

Quand elle repasse sur le pont de l’Huveaune, le héron n’est plus là. Elle espère que ses grandes ailes l’ont mené vers une eau claire et saine.

Quelques jours plus tard, lors d’une promenade, Pépé et Briochon discutent entre eux, à quelques pas devant elle. Ils parlent fort exprès pour qu’elle les entende. « Je ne comprends pas que des gens refusent de se faire vacciner » dit Pépé  « Moi non plus répond Briochon, c’est une telle chance d’avoir un vaccin pour éviter d’aller en réanimation. »

Amusée, Madame Panicot sourit. Ses amis s’inquiètent pour elle et ça lui plaît. Elle n’a pas du tout l’intention de leur raconter sa visite au vaccinodrome.