mercredi 24 novembre 2021

J'ai vu une main

 

J’ai vu une main

Aujourd’hui, j’ai vu une main sortir à une fenêtre de la prison, du côté de la mer.

Une main rose, aux doigts courts, écartés les uns des autres. Des doigts boudinés, tendus vers le ciel. La main s’est mise à tourner sur elle-même comme une antenne qui chercherait à capter des ondes. J’ai pensé que la personne à qui appartenait cette avait le poignet très souple. A ce spectacle, insidieusement, la tristesse m’envahissait jusqu’à ce que, chose inouïe, la main s’envole, tombe un peu, plane doucement. J’ai couru, couru le long du mur épais de la prison. La main volait déjà au-dessus de la mer, lentement elle s’est posée sur la crête d’une vague puis elle a disparu. 

Lilou

mardi 23 novembre 2021

Je pourrai l'attraper

                                                                                                                                        

Je pourrais l'attraper

Je sauterai

Et cela sera suffisant

Je fermerai ma main dessus rapidement

Je sauterai à nouveau si nécessaire

Je sais que c'est possible

Je déplace l'ampoule gênante

Et la place libérée

Je me réjouie

Je vais l'avoir


Je saute pour voir

 
Je balaie l'espace de mon bras en sautant

Et rien

Je saute à nouveau pour voirifier

Et ce n'est pas tout à fait à la place envisagée

 
Je saute à nouveau

Et c'est là

Et mon cerveau élabore un plan d'action

Et la position précise

Et la profondeur

Et sa hauteur

Et la vitesse du geste

Et les doigts qui ne doivent pas cogner le rebord

Et l'objet qui ne doit pas être cogné non plus

Et cet escabeau qui serait pratique quand même

 

 


                                                                                                                                                        Aurore



 Vieilles photos

« Il pleut grand-mère, on regarde les vieilles photos ! »

 



         « Qui est-ce grand-mère ? »

« Je crois que c’est la dernière des filles Morelli, tu sais celles dont le père travaillait à l’usine Coignet. Elle avait déjà ce regard volontaire, chaque fois que sa mère tournait le dos, elle s’échappait, elle allait trainer vers les chaudières. La belle robe, le nœud dans les cheveux, elle s’en souciait guère, elle voulait rester avec son père, non pas pour sa présence mais pour expliquer son absence, elle voulait savoir ce qui lui effaçait son sourire, ce qui assombrissait le bleu de ses yeux, ce qui pinçait ses lèvres de colère, ce qui malgré tout musclait ce corps si beau. Elle voulait connaitre ce monde dont on ne parlait pas à la maison. Tu vois, elle n’a pas le regard résigné de son père, elle sait déjà, elle se battra à ses côtes, elle relèvera la tête, elle apprendra, elle s’en sortira, elle les aidera. Si tu la rencontres, tu verras, malgré les cheveux blancs et les rides, elle a gardé ce visage à la fois doux et déterminé »


 


   « Et elle, je la connais ? »

« Bien sûr, c’est Maud ! Là, elle se montre sous son plus beau jour, bien coiffée, la lourde chevelure maintenue par un peigne d’ivoire je pense. Sa tante Alice avait dû venir aider aux préparatifs. Pourquoi ? A ce moment- là, vois-tu Maud ne le sait pas. Elle s’est prêtée à l’habillage, elle aimait les dentelles comme toutes les filles de son âge. Pourquoi ce dimanche ? A ce moment -là, Maud ne le sait pas. Sa mère a fermé le précieux collier qui se transmet de génération en génération. Pourquoi ?  Maud ne le sait pas. Elle apprécie, c’est rare qu’on s’occupe de son apparence, comme dans beaucoup de famille à cette époque ma petite. Pourquoi cette photo ? Maud ne le sait pas, elle ne la verra pas, elle sera envoyée au fils de la fonderie en bas du village. La semaine suivante, il est venu la demander en mariage.

Maud ne savait pas, elle ne voulait pas, c’est pour ça qu’elle m’a donné cette photo quand elle la trouvée dans les armoires.

Elle a eu cinq enfants, elle a gardé cette allure figée qu’elle a adoptée comme une seconde peau. Elle a toujours ce regard un peu vide mais il est la barrière de sa liberté. Elle écrit je crois, demande à la libraire, elle te montrera un exemplaire de ses dernières nouvelles. »

 

 

 

 


   « Lui, je ne l’ai jamais vu ! »

« oh que si, lui tu ne le reconnaitrais plus ! Jeannot belle gueule, on l’appelait. Il savait se faire beau pour le bal du samedi soir, il passait sa journée à se débarbouiller, à se parfumer. Il s’appliquait à faire disparaitre les odeurs de fumier. Il lissait ses beaux cheveux, brossait sa casquette qu’il plaçait juste au-dessus de son oreille, il repassait lui-même sa chemise à col marin et sifflotait dans les rues du village. Ce beau visage que tu admires, il ne l’avait pas souvent. Il faut dire qu’il aimait la castagne, le Jeannot, il avait souvent l’œil au beurre noir ou la lèvre fendue. Susceptible, il cognait à la moindre remarque et jaloux avec ça ! Il ne gardait pas longtemps ses conquêtes ! invivable qu’il était Jeannot. Pourtant il avait du succès, sa belle bouche charnue attirait les belles. Il a marié la fille du fermier suisse, son voisin , elle avait du bien. La prospérité l’a transformé, il a perdu son regard triste et sombre, il est devenu doux comme ses agneaux. Si tu le rencontres sur la draille, il te fera gentiment la conversation » 

 

 


 « Quel air sévère ! »

« Ce n’était qu’un air ma belle. Il n’était pas du coin, Mr Imbert. Il est arrivé à l’usine un lendemain de grève. Il avait acheté l’entreprise, une grosse fortune sans doute. On ne savait rien de lui. Il était très soigné, une brosse toujours impeccable, pas un cheveux rebelle, une moustache taillée de près. Il portait un costume noir, en velours de belle qualité, il l’égayait d’une cravate, d’un nœud papillon ou d’un foulard de soie. Seul le col d’un blanc douteux montrait l’absence féminine dans sa vie. Il était veuf. Son aspect rigide cachait une belle âme. Nous n’avions jamais été aussi bien traitées, il se souciait de notre santé, de nos ennuis. Il avait toujours un mot gentil quand il passait dans l’atelier. Certaines gloussaient, moi je m’enivrais de son parfum. Je l’aimais bien Mr Imbert, je crois que c’était réciproque, il y a des regards qui ne trompent pas, tu sais, ma belle, tout est dans le regard. Mais des barrières infranchissables te pourrissent la vie, pas des nôtres ! qu’ils disaient tous. Ne les écoute jamais ma belle. »

 

Grand –mère a refermé la boîte. 

« Le gâteau est prêt, viens goûter »

J’ai vu une larme couler 

lundi 22 novembre 2021

Houssée Mousse

 
HOUSSÉE MOUSSE


Allô jour de mousse si tu es dispo
Cette mousse trop grande qu'elle t'as dit. Mais tu n'en crois pas un mot ; du moins tu souhaites ne pas y croire. Il n'est pas question d'y croire, car cela voudrait dire que tu te serais trompée, et franchement pour cette fois tu n'en as pas envie.
Amusée, on va quand même commencer par essayer pour voir, tu lui dit avec un calme apparent.
Et ses yeux surpris voient la mousse s'effacer petit à petit dans la housse, et apparaît un résultat ajusté à souhait.

mercredi 3 novembre 2021

  

Je danse..et

 

Je danse sous la pluie

J’ai ôté mes souliers

J’ai libéré mes cheveux.

 

Et le saxo joue

Et les fenêtres se ferment

Et les éclairs se déchainent.

 

Je danse sous la pluie

Je bois les gouttes sur mon visage

Je tourne, tourne, j’épouse l’orage.

 

Et le saxo pleure

Et l’eau éclabousse mes cuisses et mollets

Et le tonnerre gronde, sa violence me plait.

 

Je danse sous la pluie

Je soulève la jupe à volants

J’offre ma poitrine au vent.

 

Et le saxo accélère le tempo

Et les éléments se déchainent

Et la musique m’entraine.

 

Je danse sous la pluie

Je suis dans le monde des sens

Je suis emportée dans la transe.

 

Et le saxo s’éloigne

Et la tempête peu à peu se calme

Et la lune se mire dans les flaques.

 

Je danse sous la pluie

Je danse d’un pied léger

Je danse dans la nuit apaisée.

 

Et le saxo se tait

Et les gouttières pleurent à petits cris

Et triste, j’ouvre mon parapluie

 

La fête est finie…