Il jouait souvent près du puits, à côté du cimetière. Je le
voyais car je passais par là chaque jour à vélo pour me rendre à l’école. N’y
allait-il pas, lui, à l’école ? Nous nous y retrouvions tous, les enfants
du village, et nous connaissions tous. Mais lui n’y allait pas et cela m'intriguait. J’imaginais alors qu’il fréquentait l’institut St Joseph à
Marsans, que sa mère l’y menait en voiture, comme d’autres enfants des villages
alentour, et qu’il l’attendait près du puits. Lorsque je revenais de l’école il
était déjà là, alors que je rentrais bien vite pour me mettre aux devoirs et
aller jouer ensuite. Lui, semblait commencer par jouer. Cela aussi m’étonnait
et aiguisait ma curiosité pour ce garçon chargé de mystère.
Je fis sa connaissance le jour où le chat de la boulangère
me fit tomber. Ce vagabond de chat ne trouva pas mieux que de traverser subitement
la route devant mon vélo. Je freinai brusquement pour l’éviter, alors que je
passai près du puits, et mon vélo ripa sur les graviers. Je me retrouvai par
terre, à peine écorchée, un peu abasourdie, nez à nez avec l’enfant qui riait.
Je me mis à rire aussi et osai le questionner. « où est ta
maison ? » ? Le garçon pointa son doigt vers la maison grise aux
volets bruns, à l’angle de la rue. Je ramassai prestement mon vélo et sautai
sur ma selle.
Je m’éveillai soudain et me redressai d’un bond. C’était
l’heure de se lever.
En allant à l’école, je vis le garçon qui jouait près du puits, à côté du
cimetière. Et le soir en rentrant, il était encore là. Mon regard se tourna
vers la maison grise aux volets bruns, toujours fermés, comme si elle était
vide ou si les gens étaient partis en vacances. Était-ce vraiment sa
maison ?
L’orage grondait ce matin là. Maman m’emmena à l’école en
voiture. La pluie se mit à tomber très fort et les essuies-glaces à osciller
très vite. Il pleuvait tellement que c’est à peine si on voyait la route. On ne
distinguait pas le puits à côté du cimetière. En passant près de la maison
grise aux volets bruns, je questionnai :
-
« qui habite là ? »
-
« Ce sont des gens qui sortent très peu.
Ils sont malades », répondit maman.
-
«Quelle sorte de maladie, pour qu’ils
n’ouvrent jamais leurs volets ? », poursuivai-je ?
Je ne comprenais pas davantage quelles étaient ces sortes de
maladie mais ne posai pas plus de question ; les adultes s’expriment
parfois de façon incompréhensible lorsqu’ils n’ont pas envie de parler. Cela
semblait être le cas et je savais que questionner davantage ne servirait à rien.
Il plut toute la journée et le soir encore, lorsque maman
revint me chercher. La pluie ne s’arrêtait pas de tomber, il tonnait à grand
fracas, les éclairs striaient le ciel et le vent faisait ployer les arbres en
rugissant. L’enfant était près du puits.
-
« N’as-tu pas peur ? » lui
demandai-je ?
-
« J’ai toujours peur dans le noir. Il faisait
noir dans le placard », commença-t-il à raconter.
Un coup de tonnerre assourdissant retentit dans la nuit.
-
« J’ai cassé la porte et me suis
enfuis »
Un éclair illumina la rue et le puits à côté du cimetière
-
« Il m’a rattrapé près du puits »,
continua-t-il. « j’ai ressenti un coup qui me fit très mal, suis tombé, et une
lumière éblouissante m’a aveuglé. »
Maman venait d’allumer la lumière ; je devais me lever.
La pluie avait creusé des crevasses au bord de la route, des
fossés avaient débordé, inondant la chaussée, des murets s’étaient effondrés et des branches jonchaient la route.
Mieux valait ne pas prendre le vélo et maman m’accompagna de nouveau à
l’école. Nous vîmes une ambulance s’éloigner de la maison grise aux volets
bruns et devant, un attroupement. Maman s’arrêta et descendit de voiture pour
dire bonjour et demander ce qu’il se passait. Je la suivis, voulant savoir
aussi.
-
« Il a reçu une tuile sur le crâne. Il a
une belle entaille et ça saignait bien. » Expliqua l’une des femmes qui
étaient là. « Ils l’ont emmené à l’hôpital », poursuivit-elle.
-
« Pauvre homme, l’orage lui aura apporté encore
bien du malheur », reprit une autre
-
« Oui,
pauvres gens, pauvre homme. Il a déjà bien du mal d’avoir perdu son fils », acquiesça
une troisième, accompagnant ses paroles d’un triste hochement de tête.
C’est alors que de ma bouche jaillirent les mots de la Vérité : « c’est lui qui l’a tué » !