Elle
est assise en tee-shirt et jean devant son ordinateur. Elle sourit à
l’écran. Derrière elle, son lit défait. Dans un coin, un
nounours, dans l’autre une guitare. Elle écrit sur son
clavier : sa chambre
est
une bulle et son monde est ailleurs.
Il
y a un comme un parfum qui flotte. C’est sûr, la vie est passée
par là. Dehors, à travers les rideaux entrouverts,
miroite la ville et ses immeubles en mille petites lumières.
Voilà, elle a fini. Elle clique sur « envoyer ». Le message est parti. Les bips électroniques passent de la mémoire au réseau et arrivent comme des milliards d’autres dans un gigantesque data center. Là, ils attendent gentiment que son destinataire l’ouvre.
Elle sourit, sa lettre est envoyée. Elle pense au temps d’avant, celui du papier et des enveloppes. Elle n’est pas nostalgique : Son plaisir de correspondre est toujours aussi grand. Distraitement, elle se lève. La pendule marque deux heures du matin, elle ne veut pas dormir.
Pourtant, elle préfère s’allonger. Son jean est trop serré. Elle le quitte et c’est un soulagement. Quel est ce monde si virtuel aux sensations et aux émotions si réelles ? A coté d’elle, soudain les objets se mettent à respirer. Elle aussi peut maintenant se détendre : dans sa chambre, elle est dans sa bulle et son oreiller lui tend gentiment les bras
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Voilà, justement une histoire que l’on rapporte sur cet appartement 117 : Il y eut dans cet endroit pendant de nombreuses années une sorte de groupement mystérieux que l’on appela sans trop savoir pourquoi « la secte des trois hommes libres »
Elle ne fit jamais parler d’elle directement. On entendit seulement sur elle des échos, des rumeurs, des suppositions sans que jamais quoi que ce soit fut prouvé par des faits réels. Elle était comme la matière noire qui justifie seulement sa réalité par les effets gravitationnels indirects sur les astres
visibles
de l’univers.
C e qui est certain, est que là, habitaient trois hommes que rien normalement aurait dut réunir : pas d’intérêt financier, de pouvoir, de sexe, rien de tout ce que les gens imaginent normalement. Pas, non plus de lien de famille, au sens ou on l’entend communément.
Ce que la concierge de l’immeuble avait remarqué est que ces trois personnes se réunissaient tout les mardis soir alors que seulement un seul des trois à tour de rôle habitait là haut pendant une semaine. Jamais, malgré quelques tentatives infructueuses, elle ne put pénétrer à l’intérieur. De temps en temps, l’esprit tiraillé par la curiosité, elle montait (par les escaliers, pour ne rencontrer personne et éviter le bruit de l’ascenseur) et collait son oreille indiscrète à la porte. Souvent, elle n’entendait rien. Quelquefois de la musique. C’était du classique, c’est tout ce qu’elle put dire. Je vous épargne les détours un peu sombres dans la pensée de cette dame. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle remplissait sans fin le vide de sa vie avec celle des autres, et que, comme ce vide était intersidéral, elle ne finissait jamais de le remplir. En vain.
On suppose, dans les milieux bien informés, qu’il y aurait eu dans cet endroit une sorte de groupement secret, une secte, puisqu’il faut bien lâcher le mot. La définition de cet univers est d’être parallèle, un peu comme une bulle, à coté, impénétrable au commun des mortels. Leur code de communication reste secret et mystérieux. Dans l’esprit de la concierge, l’idée d’un groupe
terroriste
plana, bien sûr ! Un des individus avait la tête d’un arabe mais
les deux autres
ressemblaient
à des européens tout à fait normaux. En plus, ils n’avaient
pas de barbes, ce qui, à la réflexion, lui enleva tous ses doutes.
Ils s’habillaient de la façon neutre et grise de ceux que l’on croise habituellement dans la rue sans
jamais
les remarquer. Ils portaient toujours avec eux, une sorte de
petit attaché case qui semblait d’un poids normal.
Les
suppositions auraient pu continuer indéfiniment : il
manquait indiscutablement des faits, des objets, n’importe
quoi sur lequel une réalité aurait pu construire sa
représentation. Rien que cela était une sorte de souffrance,
un doute qui se creusait dans le silence dans l'esprit des voisins
de
l’immeuble ; Il manquait une case à leur réalité : c’était l’appartement 117 !
l’immeuble ; Il manquait une case à leur réalité : c’était l’appartement 117 !