samedi 9 août 2014

Lundi soir



Il y a des lundis soirs où j'arrive pleine d'entrain, la journée a été bonne. Et puis, sans savoir pourquoi, la banalité prend le dessus.

Il y a des soirs où je suis fatiguée, je me pousse pour venir, j'ai promis d'être là. Et puis, miracle, la communication passe, j'écoute les textes des autres, je prends mon stylo, j'oublie tout le reste, deux heures dans un autre monde, en marge du quotidien.

Il y a les soirs où l'on est nombreux et différents, quelle richesse; mais comment les autres peuvent-ils avoir tout cela dans la tête?
Il y a les soirs où l'on est peu mais sur la même longueur d'ondes, nos textes se répondent.

Il y a eu ce soir merveilleux, je n'en sais plus la date, où sur une consigne simple chacune a donné un peu du plus profond d'elle-même, avec beauté et simplicité; et l'on s'est toutes regardées, étonnées d'un tel partage.

Il y a les soirs où je me sens très sage, je voudrais écrire comme d'habitude, tranquillement, parler de moi, par exemple, c'est plus facile. Et puis Patrick lance une ou deux consignes un peu folles, et entrainées les unes les autres on rentre dans l'ambiance, on se laisse faire, on ressort un peu éblouïes.

Il y a les soirs où je me sens prête à écrire en jouant, en batifolant, et ce soir là, la consigne m'entraine vers quelquechose de plus intime, de plus construit.

Ecrire, ici, c'est toujours une surprise.

vendredi 8 août 2014

Mots - ments d' enfance


Je suis petite et sans soucis. Je ne marche pas, je saute, constamment, je saute, à la corde, à la marelle, sur le chemin de l'école. Tous les matins je pars avec Christiane, elle saute aussi, moins que moi.

La guerre est finie mais dans mon assiette ce n'est pas encore l'abondance. Je dévore tout ce qu'on y dépose, sauf la raie au beurre noir, je déteste la raie au beurre noir.

L'hiver, il fait froid le matin sur le chemin de l'école, même en sautant. J'ai une grande écharpe en laine enroulée jusqu'aux yeux mais vite, je la soulève, pour souffler de la vapeur par la bouche, par le nez.
Je sais que ma mère me regarde de sa fenêtre, jusqu'à ce que j'ai tourné le coin de la rue. Je n'enlève le cache-nez que quand elle ne me voit plus, elle ne plaisante pas avec les soins à apporter à la santé.

Je plisse les yeux face au soleil, surtout quand il vient de pleuvoir, et toutes sortes de couleurs apparaissent. J'aime l'oranger, le rouge, le violet.

Quand il neige, ce sont les moufles que j'enlève aussi, c'est si bon la neige qui fond sur la langue, le froid, le chaud, la brulure.
Pourquoi toutes les bonnes choses sont elles interdites? Heureusement on peut se cacher, les adultes n'ont pas les yeux partout, ni les oreilles.

Moi, j'aime le silence. Eux, ils parlent tout le temps. Parfois j'écoute, ce n'est pas intéressant. Ils parlent des voisins, rarement en bien, du coût de la vie. Ah bon, ça leur coûte, de vivre? De la guerre froide. Moi j'imagine que la guerre est chaude. Je vois du feu, des bombes qui éclatent.

Souvent mon grand-père raconte sa guerre, celle d'avant, la vraie; il remonte son pantalon, me montre une petite tache blanche en creux sur le coté de son genou, me dit: J'ai reçu un éclat d'obus. Je ne sais pas ce qu'est un obus, je ne demande pas, j'aurais l'air bête. Mais je comprends que la guerre c'est affreux, que ça sent la poudre et le sang, la souffrance et la mort.

J'écoute pourtant leurs conversations. Le soir, je redescends sans bruit l'escalier, je me blottis derrière la porte, j'écoute. J'aime écouter, surprendre ce qui est défendu aux enfants.

De temps en temps ma mère m'emmène à la poste; on fait la queue, elle demande un jeton, me soulève, m'assoit sur la tablette près du gros téléphone noir. C'est moi qui glisse le jeton dans la fente, c'est elle qui parle dans l'appareil. Je n'entends pas ce qu'on lui répond, juste un grésillement grave.

La nuit, je rêve que c'est moi qui téléphone, je ne sais pas à qui. Je caresse mon oreiller d'une main, je suce mon pouce, je m'endors...

vendredi 1 août 2014

Le jeu des 7 familles

Pendant la classe de neige, les enfants jouaient le soir au coin du feu, ils jouaient au jeu des 7 familles:
"Dans la famille Boulanger donne moi le père.
Dans la famille Plombier, je voudrais la fille..."
Ainsi se formaient les familles, sauf qu'un soir la partie dégénéra.
"Dans la famille coiffeur, il me faut la mère " demanda Jeannette à son copain Romain.
"J'ai pas, j'ai pas ..."
Et la partie continuait, on se trouva devant une énigme.
Après plusieurs tours, Jeannette s'exclama:
"C'est lui qui a la mère coiffeur, c'est obligé!Il ne veut pas la donner!"
Je fis le tour de la table de jeu. En effet Romain gardait la mère coiffeur contre lui.
"Tu triches Romain."
"Non je ne triche pas, c'est la mienne, c'est ma maman, on me l'a déjà prise, alors cette fois je la garde!"
Romain sanglotait.
Depuis, j'ai fait le tri dans tous ces clichés: grand mère, grand père, fils, fille.... Mon regard sur la famille a bien changé, j'ai découvert les vertus des nouvelles tribus.
Et je cherche une nouvelle règle pour ce jeu  stupide des 7 familles.

Mr Tournemire

En cette fin de journée d'hiver, Mr Tournemire avait fini sa tournée des ventes à domicile, il vendait des chaussettes Mr Tournemire, il se déplaçait dans la campagne autour du Havre. Pour passer ses soirées tranquilles il avait choisi un hôtel en bord de mer, une sorte de pension de famille. Pour rejoindre ce petit nid douillet tenu par une femme ressemblant à une cartomancienne, il empruntait une départementale peu fréquentée, il ne voulait pas être remarqué Mr Tournemire, il était marié, vous comprenez, il ne voulait pas faire jaser sur ses liens avec Mme Jeanne, une grande tendresse s'était établie entre eux et les cancans vont vite!Il suffit d'un chauffeur malveillant dans une voiture qui passe pour que tout dérape.
Ce soir là, tout a dérapé, un orage a éclaté et Mr Tournemire qui longeait le chemin menant à l'établissement a fait un pas de côté pour éviter un piéton ivre, il s'est retrouvé dans la mare et ne sachant pas nager , il s'est noyé.
Elles sont deux à le pleurer Mr Tournemire.

rencontre perturbante

Je rentrais comme d'habitude aux environs de 17 h. Je marchais tranquillement, le pas alourdi par la fatigue de la journée, je regardais mes pieds en attendant le signal pour traverser, je relevai la tête pour guetter le bonhomme vert, c'est alors que je vis sur le trottoir d'en face une femme portant la même robe que moi, l'avait elle achetée sur le même marché? La réponse m'importait peu tant j'étais interloquée par la coiffure, les lunettes, les yeux derrière les lunettes, moi, moi en face de moi, m'aurait on caché une jumelle? Elle ne semblait pas gênée de me rencontrer, elle me regardait , tout comme moi, on se regardait. Le feu passa au rouge, on se regardait toujours, d'où venait elle? Pas de la même école que moi, je l'aurai déjà vu. Où allait elle? Chez moi? Ce serait sympa à deux chez moi, pas possible, elle traverse dans l'autre sens!, me serai je dédoublée?, je me serai sentie déchirée tout de même, me serai je décalquée en douceur comme un décalcomanie sous la pluie? Sûrement pas , il fait beau! Aurai je perdu  la tête? ça c'est possible. Où peut être que j'ai envie de marcher dans l'autre sens, d'aller ailleurs. C'est ça, je me vois aller ailleurs. Alors tourne les talons et pars ailleurs, ce sera plus sain!
Le bonhomme est vert, je traverse, on se rencontre, plus exactement les images se recollent, on verra demain sur quel chemin je mettrai mes pas.
En tout cas ,ce jour là, j'ai bien failli me faire écraser et depuis j'ai changé de passage clouté.

le grand Jean

Le grand Jean se promène dans le village, il est grand par sa taille mais nous ne savons pas si c'est un grand personnage, ce n'est pas Jean de la Fontaine qui écrivait des fables, il n'observe pas suffisamment hommes et animaux, il ne fréquente pas la société, il est toujours seul. Ce n'est pas non plus Jean de la lune, pas assez poète, il a même un langage grossier, ce n'est pas Jean des évangiles, il crache sur le parvis de l'église tous les matins. Jean Rochefort, encore moins!, il n'a aucune élégance, il traine les pieds, et Jean Jaurès, n'en parlons pas, il se promène avec une cane ornée d'une fleur de lys en maugréant"le roi ici, c'est moi!"Jean valgean alors, pas tout à fait , on ne l'a jamais vu maltraiter un enfant mais le grand Jean, on l'a tout de même surpris menaçant nos petits en brandissant sa cane et en vociférant:"salle marmaille!"