mardi 31 mars 2020

incipits:

Au petit matin, Anouchka, échappée de la ferme familiale, marche le long de la nationale. Des voitures passent, aucune ne s'arrête. Anouchka désespérée s'assoit dans le fossé...

Au cours d'une randonnée botanique, Peter Boukanief récolte une plante non répertoriée au musée d'histoire naturelle. En parler aux autres? La garder pour lui? découvrir seul ses secrets? Il continue à marcher en réfléchissant à la suite à donner...

Au bord de la rivière, Jeannot prépare son tabouret, ses cannes à pêche, ses hameçons. Jeannot est heureux, enfin seul...

Valentin, jeune homme diplômé, sans emploi finit livreur de pizzas. Il livre margharita,  siciliennes tout ce qui est commandé. Toutes les semaines, il livre une royale à la même adresse, coup de sonnette, personne, il rentre...

L'atelier de menuiserie de Petrus a fermé. Chômeur, Pétrus n'avait jamais imaginé. L'odeur du bois, il ne peut pas s'en passer. Il se rend tous les jours sur son lieu de travail avec un sac et subtilise des copeaux qu'il ramène chez lui...
Yellow River

Au fond de la vallée, après le grand canyon, le campement s'éveille. Quelques femmes sont déjà à la rivière. Le grand chef salue solennellement le soleil. Les chevaux s'ébrouent dans la prairie verdoyante .
Le silence de la nuit, pas tout à fait effacée, fait place à un grondement lointain, une sorte d'ouragan sans nuage approche. "Fils de lune écoute le sol". Il a l'air inquiet. Une machine infernale semble lancée à toute vitesse. Un déchainement innommable se prépare. Une menace sournoise, invisible dont on ignore l'origine, du moins pour le moment, un roulement sourd et profond se rapproche. un danger imminent menace. Un souffle nauséabond se fait sentir. Soudain, un nuage de poussière en haut de la falaise. Une cavalcade. Les sabots de chevaux au galop font trembler le sol. Le son d'un cor et la charge s'abat sur le village. Des tirs en rafale, des balles qui sifflent. Aigle noir est à terre, les femmes crient, courent, leurs bébés dans les bras. Dans tous les sens , des enfants tentent de s'échapper, certains se jettent dans la rivière dont ils ne ressortiront pas. La terreur, l'horreur. des hommes sont décapités et gisent dans leur sang. Les tipis sont en flammes, une odeur de brûlé dans toute la vallée, des corps carbonisés. Des anciens hurlent leur douleur, on les fait taire, une balle dans la tête. Un carnage. Même les plateformes funéraires sont détruites. En quelques heures, il ne reste plus rien. La mort. Une odeur âcre se répand. Les cheyennes sont exterminés. Au milieu de cette désolation effrayante, un indien, assis en tailleur, le dos droit appelle la terre mère à son secours, il sait qu'elle contient son histoire. Le chant des disparus en son sein monte dans les montagnes autour de Yellow River.
Retour d'exploration

Cher monsieur,
j'ai entendu votre impatience à propos du rapport de voyage auquel vous avez généreusement participé. Je vous remercie pour cet effort financier mais mes propos vont sans doute vous faire regretter cet investissement. Vous allez être déçu, je vous fais part de la profonde blessure que je porte en moi.
Comme convenu, je vous envoie en bloc le suivi de cette expédition qui au départ m'avait mise en joie. J'étais très heureuse de découvrir d'autres civilisations, j'avais le souvenir d'ouvrages m'informant, m'enthousiasmant devant les autres vies possibles sur cette terre. Je partais donc heureuse.
Mon premier contact me remplit de joie, j'entrai en relation avec des femmes joyeuses aux vêtements colorés, aux bijoux sophistiqués. Leur chevelure m'étonnait, leur corps dénudé affichait une féminité sans gêne. Nous avons échangé par gestes, par rires. Toutefois certains regards étaient méfiants. Je me disais qu'au fil des jours nous nous serions apprivoisés. Pour mon plus grand bonheur, c'est ce qui arriva, nous avons été acceptés au village, nous avons partagé des repas, des danses et autres rites jusqu'au jour où le chef du groupe nous conduisit sur une voie de chemin de fer, nous nous sommes alors enfoncés plus avant dans la forêt en emmenant avec nous quelques hommes de la tribu, volontaires m'a-t-on dit.
La bête de fer nous déposa non loin d'un lac. Sur ses rives, des groupes d'indigènes vivaient paisiblement. J'aurais aimé les aborder mais on me fit comprendre que cela ne faisait pas partie du programme. Nous avons embarqué sur des pirogues pour descendre la rivière Après quelques remous, nous avons atteint un genre de laboratoire où travaillaient un scientifique et son boy? Je fis l'inventaire des étagères et des soupçons commencèrent à germer dans mon esprit. Je découvris des griffes, des lambeaux de peau, des dents, des organes dans des bocaux, bref toutes sortes d'éléments extraits du vivant. Le patron des lieux, me trouvant un air suspect, me pria de sortir. Pour me distraire, on m'offrit un pique-nique somptueux, ce qui accrut ma curiosité.
Le soir, je quittai discrètement le campement et m'approchai de la rivière. Je découvris l'horreur, des éléphants massacrés, ligotés, les défenses sectionnées, le sang giclait, l'eau était rouge. Les habitants exécutaient les ordres, le regard triste mais les sommes offertes faisaient oublier l'horreur.
J'assistais à un traffic pour lequel je n'avais pas été préparé, je n'avais eu aucune information à ce sujet. J'étais complice en dehors de ma volonté.
Le pire, c'est qu'au petit matin tout avait retrouvé la normalité. Les palmiers ombraient la plage, hommes et femmes vaquaient à leurs occupations premières.

Vous comprendrez, Monsieur, que je ne croiserai plus votre chemin sauf au tribunal où je l'espère la sentence sera à la hauteur de mon offense.

Il faut partir

Je suis chez mon psy. Il vient de me poser une question qui m'embarrasse:
Vous devez quitter votre maison précipitamment qu'emportez-vous?

Tout!... Ou rien plutôt que choisir.
Mon sac? Peut-être , avoir mes papiers m'éviterait sûrement des démarches administratives ennuyeuses.
Mon téléphone? J' oublierais le chargeur, il serait vite inutile. Non pas le téléphone, j'ai appris par cœur les numéros de mes enfants, c'est suffisant.
Mes bijoux? Je ne possède de précieux que mon alliance, large, en or blanc, comme ça se faisait dans les années soixante dix. Je l'ai portée uniquement pendant la durée de la cérémonie puis rangée dans une boîte. Mes autres bijoux n'ont aucune valeur. Non je ne les emporterai pas.
Un vêtement? Oui si il fait froid, la doudoune rouge suspendue dans l'entrée.
Des photos? Sûrement pas. Je n'aime pas les photos, n'en ai aucune dans mon sac. Les photos représentent toujours ce qui n'est plus, elles me rendent nostalgique et triste.
Mon fennec en peluche? Oui, j'aimerais l'emporter, je l'ai depuis si longtemps! Il est bien vieux, sale, il n'a jamais été beau, il ne tient pas debout, ni assis, il a quelque chose de gauche, d'imparfait, de fragile qui me touche, il a besoin de moi.
Quoi d'autre?
Mes souvenirs, mes rêves, mes amours, mes amis, vous, vous tous, je vous emporterai, tant pis pour le reste.
Départ en catastrophe:
Il faut partir. Urgence absolue ont dit les pompiers dans le haut parleur. Une chance , je suis habillée donc prête. Enfin , presque.Un jean,ça fait la semaine.
Mon sac, je l'aime bien, un beau cuir, bien tanné, bien usé, un beau décor affiche son origine andalouse, bien connu, une grande poche, deux petites, bien pratique pour classer l'indispensable. L'indispensable, c'est bien de cela dont il s'agit:
mes papiers, mon portefeuille avec carte bleue et un peu de liquidité, mes ordonnances vitales et la carte qui va avec,des kleenex, un stylo,quelques biscuits. Il est toujours opérationnel, sans doute les traces laissées par les évacuations précédentes. J'ajoute une bouteille d'eau.
Il est le premier sur mon dos, ses bretelles libèrent mes mains pour les objets accompagnateurs de détresse.
Dans l'une, une petite valise avec mes petites culottes, ma brosse à dents, des tee-shirts roulés, un pull, un kway, faut penser aux intempéries.
dans l'autre, un sac où je jette en vrac:
mon nounous, ton dernier cadeau
ma tirelire en porcelaine, toujours vide mais souvenir de papa
des petits objets, des bijoux qui trainent, il y en aura toujours un pour me rappeler quelqu'un
un poupée en bois, ma vie dans le Jura
mes flûtes pour la beauté et les heures partagées, la possibilité de les faire chanter
F.Sheng, C.Bobin,P.Jaccotet, je ne les sais pas encore par coeur
Quelques petites photos ce serait bien mais je n'en ai pas, pas grave, mes êtres chers sont dans ma tête
Allez, il faut partir, le téléphone dans une poche, le chargeur dans l'autre, on sera peut-être encore relié. On verra


Ça a commencé comme ça


Il aura fallu que je rate le train

Il pleuvait, il pleuvait des cordes, ma rue en pente était transformée en torrent

J'avais toujours rêvé de jouer du piano

Ce matin-là elle avait le pressentiment qu'elle n'aurait pas dû sortir

Tout d'un coup les chiens du quartier se mirent à aboyer, tous ensemble, furieusement

Si seulement je ne m'étais pas mariée avec cet homme-là

Il heurta une caillou, tomba lourdement sur le trottoir, face contre terre, ses lunettes lui avaient échappé

Valise d'urgence


Il faut partir, partir, partir, vite, tout de suite.

Une valise, ouf, elle est ici, à sa place.

Mon Thermomix, je ne sais plus cuisiner sans.

Une photo de toute la famile, là, dans son cadre.

Mon Bouquin préféré, un gros, Les Hommes de bonne volonté, de Jules Romains, le premier volume suffira, j'en aurai pour longtemps.

Mon téléphone portable et son chargeur: mon accès à internet et aux amis.

Quelques billets que je glisse à côté de la carte bleue dans mon portefeuille.

Mon Doudou, il me rassure encore, mon petit chat gris en peluche.

Mon vieux pull préféré, un anorak.

Il reste de la place... Mon duvêt, prêt à dormir n'importe où.

Ah, oui, une boite de Doliprane, ça peut servir...

dimanche 29 mars 2020

L' AUGUSTINE


Je savais que tous les gosses du quartier escaladaient le mur pour aller jouer dans le parc.

C'était la plus grande propriété du quartier, elle occupait, à elle seule, la même superficie que les cinq maisons qui lui faisaient face de l'autre côté de la rue.

A part le grand mur de clôture, je ne connaissais de l'Augustine que son majestueux portail noir surmonté de flèches à pointes dorées. La maison était invisible aux passants.
Marco me raconta que, de l'autre côté du mur c'était fantastique. Ce n'était pas un jardin, il n'y avait ni fleurs, ni pelouse mais des arbres, des arbustes, des buissons qui poussaient en toute liberté. La végétation était si touffue que le soleil ne s'infiltrait que parcimonieusement entre les branches entremêlées. Sous le couvert des houppiers régnaient l'ombre et la fraîcheur.

Ismaël me dit que la maison apparaissait d'un coup, en pleine lumière après l'ombre du parc. C'était une grande maison blanche. Une double volée de marches amenait à une longue terrasse qui s'étendait sur toute la longueur de la façade.

Mon père savait que le vieux monsieur qui habitait la grande maison blanche était un ancien colonel de la Marine Nationale. Dans ma famille, personne ne connaissait son nom, on l'appelait "Le Colonel". C'etait un homme solitaire et taiseux.

Ma grand-mère avait connu Augustine, sa femme, son grand amour, celle qui avait donné son nom à la propriété. Une très belle femme, d'une grande distinction, au passé trouble. Elle avait disparu un jour, laissant le Colonel dans un grand état de tristesse.

D'après ma tante, qui avait occupé quelques temps la place de gouvernante à ses côtés, le Colonel vivait avec un grand perroquet bleu à bec jaune ramené d'une de ses missions et avec Gina, une adorable guenon chimpanzé qu'il habillait avec des vêtements de fillette.

Marco avait vu la tombe de Gina dans un coin reculé du parc. Une simple croix entourée d'un collier de perles multicolores sur un monticule de feuilles sèches. Il n'avait jamais vu le perroquet. Une fois, par un lourd après-midi d'été, le Colonel était sorti de la maison. Il était entièrement vêtu de blanc. Marco caché derrière un fusain l'avait vu se promener lentement en parlant à ses arbres, Il était allé jusqu'au portail, l'avait regardé longuement avant de revenir vers la maison.

 Ismaël a soupiré, un sourire aux lèvres. C'est vraiment relou là-bas mais c'est mystérieux et attirant, je ne peux pas m’empêcher d'y retourner."

samedi 28 mars 2020

de la fenêtre, jour de confinement

Le chien loup fait pipi.
Le jogger au maillot jaune fluo passe au petit trop.
La feuille vert tendre du platane a grandi.
La pie toujours à la cime du cyprès fait fi du covit.
Le jogger au maillot jaune fluo passe, deuxième tour de parc.
La fillette du dessus a chaussé les escarpins à talons de sa maman.
L'arbre de Judée essaie de rendre un peu de gaieté.
Les jeux du jardin d'enfants s'ennuient.
Le jogger au maillot jaune fluo passe, troisième tour de parc.
Un homme encore au travail vide les poubelles.
Les perruches se bécotent sur une branche.
Le buraliste ouvre sa boutique, tabac oblige.
Le jogger au maillot jaune fluo passe, quatrième tour.
Pas la peine de compter, il a sûrement une montre connectée.
Elle lui indique, quand il doit se reposer, quand il doit boire, quand le nombre de pas est effectué.
Mamie Jeanne tire sa charette, elle va s'approvisionner.
Elle laisse passer le jogger au maillot jaune fluo, il a la priorité, sa montre lui a dit de ne pas s'arrêter.
Pauline, chapeau noir,costume Chanel et sac Vuitton, se promène, tout semble normal pour elle.
Elle salue le jogger au maillot jaune fluo.
Cinquième tour de parc, il a épuisé sont temps autorisé, sa montre va lui signaler.
Plus de jogger au maillot jaune fluo.
Cette fois, c'est le cocker qui fait pipi.




mercredi 25 mars 2020

Petites filatures :

J’ai toujours aimé les terrasses de café. Pas pour la saveur de l’arabica mais pour observer mes congénères. Depuis peu, je suis passée à un état de curiosité supérieur, je les suis.
Dans un premier temps, j’occupe ma place habituelle au café des confluences non loin de mon domicile, je savoure mon expresso allongé et repère ma proie du jour. Je remarque un homme élégant qui se tient au bar, il a l’air pressé, avale le contenu de sa tasse d’une traite, dépose ses pièces, n’attend pas la monnaie, il doit avoir de bons revenus ; rasé de près, un long manteau noir sortie d’une boutique de luxe, une écharpe rouge pure mohair met en valeur une chevelure argentée malgré son âge pas très avancé. Je lui laisse un peu de distance, pas trop, il a le pas alerte et je vais le perdre de vue. Malgré l’absence d’attaché case on pourrait le penser homme d’affaire, genre gérant de grande société ou banquier. Il longe le quai, ne regarde rien, il file droit devant lui. Etonnant, il quitte le quartier animé, emprunte des ruelles désertes. Nous arrivons dans un square, pas d’enfants en cette heure matinale. Il choisit un banc, tire un livre de sa poche, il fait semblant, il ne lit pas, il a peut-être besoin de lunettes et ne veut pas nuire à son élégance. Je me tiens tapie derrière un arbre et stupeur ! Il sort de l’intérieur du manteau un sac en plastique. Il jette des feuilles de salade, des grains de riz en appelant : « Caroline, caroline… » Et voilà que s’approche, une oie, un peu méfiante elle avance en dandinant, picore. Il lui sourit, une larme coule de ses yeux gris.
Je rebrousse chemin en me demandant qui est Caroline.

Le lendemain , je choisis une femme, la coiffure en vrac, jolie malgré tout. Elle avale un chocolat fumant, elle semble avoir besoin de se réchauffer l’âme. Elle s’absente un moment, aux toilettes sans doute, elle revient maquillée, lèvres rouges, cils peignés. Elle a remis de l’ordre dans ses cheveux noirs. Elle mets son sac doré en bandoulière, se lève. Elle est immense, perchée sur des talons hauts, sa poitrine déborde d’un chemisier rouge, on aperçoit des dessous en dentelles bordeaux ; Elle part d’un pas fatigué, la nuit a dû être longue. Je l’imagine dans un costume de plumes, elle a de belles longues jambes musclées. Je la suis de loin, je ne veux pas déranger ce début de sommeil qu’elle ne peut dissimuler. J’emprunte derrière elle les rues sombres malgré le soleil. Elle s’arrête devant un immeuble à la façade décrépie, odeur d’urine, des préservatifs jetés ça et là. Un homme ivre l’interpelle, elle ne répond pas.. Elle pousse la lourde porte, elle doit monter le grand secalier, elle va dormir pendant que les autres s’activent. Pas vraiment danseuse.

Depuis plusieurs jours, je suis intriguée par une gamine, on peut dire ça, une ado plutôt. Rousse bouclée, des taches de rousseur pointillent ses joues, des yeux verts cerclés par des lunettes bleues. Son regard balaie la terrasse, elle ne s’arrête pas, elle n’a pas l’argent pour un café, elle n’est pas triste pour autant, au contraire, elle a quelque chose d’enjoué, de pétillant. Elle a toujours l’air enchanté. Salopette bordeau, chemisier vert, baskets au bout de jambes frêles, les manches du gilet trop long cachent ses mains. Elle a un petit air malicieux, parfois un casque de moto sous le bras ce qui me fait dire qu’elle n’habite pas là.
Je me décide à lui emboîter le pas, elle sautille, elle chantonne, qu’est-ce qui la met de si bonne humeur ? Un rendez –vous amoureux ? pas du tout. Après une longue périgrination, elle arrive devant un garage, sur le rideau de fer, un écriteau, je ne pourrai pas le lire , elle va ouvrir, en effet, elle sort une lourde clef de son sac en tissu et lève la grille. Je ne saurai jamais, je m’apprêtais à rebrousser chemin quand j’entendis un sifflement, un de ces sifflets que je ne suis jamais arrivé à faire. Je me retourne, elle m’invite :  «Entrez, des écriteaux, il y en a partout à l’intérieur, tous les mêmes » J’entrai, des couleurs , des objets, des marionnettes, des fils, des terres bref un monde de rêves et partout ces mots : « atelier du sert à rien, c’est la liberté, essayez…  
-«ça mérite bien un petit café »
  
Connaissance d’un lieu :

Voici ce que j’ai recueilli en poussant mes recherches. Ma monture et moi avons atteint des marais infranchissables non signalés sue ma carte. Sous peine d’enlisement, nous nous sommes arrêtés là. De la nature au-delà de ce bourbier je n’en connais que quelques éléments rapportés par des scientifiques aventuriers passés avant moi. D’après leurs écrits, les eaux seraient saumâtres, ce qui me semble erroné au regard de la végétation que j’ai pu apercevoir à travers les bouleaux. Les spécialistes de la toundra pensent plutôt à un lac alimenté par des sources souterraines, le lac en question serait en voie d’assèchement d’où cette infâme boue qui monte jusqu’aux genoux. Je n’ai pas la sensation de tarissement des sources, plutôt d’un changement de nature de l’eau. Je voudrais bien savoir d’où vient cette humidité pas prévue sur mon parcours. J’ai pu obtenir d’un musée d’histoire naturelle des échantillons de végétation retraçant l’évolution des sols dans la région. Ceux-ci confortent mon idée d’un changement mais personne n’est d’accord sur le sujet. Je pensais cesser mes investigations quand j’ai entendu à la radio un politique annoncer un incident de pipe-line dans la région de Barakali. L’écoulement n’étant pas inquiétant à ses yeux, les autorités n’interviendraient pas. Un endroit si peu habité ne méritait pas le moindre déplacement. Je compris alors la couleur irisée de cette étendue mystérieuse et l’absence des plantes renseignées par le musée.
Tout reste à vérifier. Je repartirai sans mon cheval pour n’engager que ma vie et je jugerai par moi-même. 









Lieux en flash

La place :
La porte de l’église ouverte. Pas de curé, pas de fidèles. La fleuriste bien triste devant son étalage. Sur le banc, un homme et son chien. Derrière les bambous, à la terrasse, deux habitués devant une bière. Le glouglou de la fontaine. La boucherie fermée. La circulation ininterrompue sur l’avenue, si le feu rouge, un piéton et le serpent repart, indifférent à la place.

L’immeuble :
Imposant dans le paysage. Des lignes horizontales, verticales. Un grand damier. Les lignes avant tout. Quelques plantes sur les balcons tous pareil, résille de béton. Les couleurs à un rythme régulier, couleurs primaires. Au -dessus de l’horizontalité soulignée, les cheminées. Un grand bateau dans le quartier. Des marins à bord ? Sans doute, à cette heure, personne sur le pont. Quelques voix.

Le parc :
Au fond, une vieille bâtisse, retour aux siècles passés. Des carrés de pelouse tous occupés, le frais. Des buis replantés, des tulipiers, des allées, des sculptures en bordure. Des pique-nique, des ballons, des rires, l’été, des poussettes aussi. Un lapin dans les fleurs, des poules incongrues, une tortue. Gouttelettes d’un jet d’eau. Deux grands bassins provençaux vides, des volets délabrés. Abandon ? Pas tout à fait, le chant d’une clarinette.

Terrain de tennis :
Terrain propre, rectangulaire, cerné de bandes blanches. Une haute barrière, au milieu un filet, au -dessus le sifflement d’une balle. Des halètements, des efforts sans doute, des cris de satisfaction :15-30
Un beau jeune homme, bandeau sur le front, genoux fléchis, sue, œil fixe, raquette tenue à deux mains, attente du projectile.
Une jolie brunette, jupette blanche, queue de cheval, appui sur un pied, torsion du buste et pan :3à partout.

Coucher de soleil :
Des arbres élancés dans le ciel, au sommet des pies. Balancement au gré du vent. Une croix au-dessus d’un toit. Une cloche immobile. Au loin les îles. La brume aujourd’hui. Une mouette. Des lignes d’avion. Le soleil à l’horizon. L’embrasement. 

mardi 24 mars 2020

Suivre, survivre



Quand je m'ennuie, je vais marcher dans les rues de la ville.

Un jour où il y avait foule, où je ne savais plus où aller, avec l'impression de connaître déjà chaque quartier, je suis sorti quand même, j'ai regardé tous les piétons, au hasard, j'ai voulu savoir si je pouvais en suivre, par jeu, combien de temps, jusqu'où.

Discrétion, mon maître mot, j'ai un peu peur de me faire repérer.

Je choisis deux dames assez jeunes, très gaies, joliment habillées. Elles bavardent, elles bavardent, elles sont bien trop occupées pour me remarquer.

Elles s'arrêtent pour regarder une vitrine je les attends trois magasins plus loin, elles repartent, je m'approche jusqu'à entendre leurs propos, elles veulent faire des achats, se donnent des conseils. Quand elles rentrent dans une boutique, je fais le pied de grue en guettant leur sortie, je passe d'un pied sur l'autre quand c'est très long. Aux Galeries Lafayette je parcours les rayons à quelque distance, je m'amuse bien. Robes, corsages, chaussures de femmes, on peut croire que j'attends la mienne. Au rayon lingerie je renonce, une vendeuse me regarde déjà de travers.

Un ado roule en trottinette. Ça va me faire faire du sport, c'est bon pour ma santé, je cours à quelque distance derrière lui, sans essoufflement. Il roule jusqu'au bout du Vieux Port, je le suis. Il met pied à terre, jette un oeil à droite, à gauche, je me renfonce dans un coin de mur, il jette sa trottinette à la mer, je n'avais pas remarqué que c'était un engin de location. Je suis outré, je ne peux plus rien dire, moi, le retraité de la police municipale.

Je reviens vers le centre-ville, c'est plus gai. Je remarque un vieux bonhomme en loques, sacs plastique sur le dos et à bouts de bras. Un SDF à la recherche d'un lieu un peu discret où se poser, passer la nuit abrité sous un porche; le ciel est gris, la pluie menace. Il a mon age à peu près et pour la première fois j'ai de la compassion. La solitude je connais, mais pas la misère.

Il s'arrête dans un recoin, s'assoit par terre entouré de ses sacs, une timbale posée devant lui. Je le guette, épie les gens qui passent devant lui. Un euro, deux euros, qu'il récupère vite avant qu'on les lui vole. Je m'approche, au fond de la timbale il n'a laissé que des pièces jaunes. Je fouille ma poche, lui laisse trois euros, il me regarde, me dit merci, il me sourit. Il parle français. Je n'ai jamais fait ça, je lui parle, avec cordialité, il me répond. Il n'a pas beaucoup l'occasion de parler. Je m'assois à côté de lui et le laisse raconter, le quotidien, la déchéance. Je ne lui montre pas que j'ai les larmes aux yeux. Si mes anciens collègues me voyaient...

Paradis


D'après ce que les prêtres ont enseigné, le Paradis est ce lieu de bonheur absolu auquel chacun aspire sans même oser l'imaginer.

Dans le Livre des croyants est décrit ce Paradis quand il régnait sur notre terre, à la naissance de l'humanité.

Les hommes l'auraient détruit par manque de sagesse et d'obéissance.

Maintenant il existerait ailleurs, au ciel disent la plupart.

Il faut mourir pour y aller. Personne ne peut en témoigner.

Mais certains racontent l'avoir approché dans leur univers intérieur. On les appelle des mystiques. Ils ont décrit de magnifiques expériences.

Beaucoup y aspirent, pensent qu'après leur mort ils pourront le découvrir et retrouver leurs êtres chers, goûter enfin la joie et la paix sans nuages.

Je ne sais pas quoi en penser.

Un homme en serait revenu, il s'appelait Jésus, des proches qui étaient ses disciples disent l'avoir vu ressuscité. Il n'a pas donné beaucoup de précisions sur cet avenir qu'il a promis aux hommes.

Il aurait juste dit qu'on y vivrait le bonheur éternel.

J'ai beaucoup de respect pour ceux qui mettent leur espérance dans cette croyance mais qu'ils me pardonnent, ça ne me parait pas possible, le Paradis. Je rejoins Woody Allen quand il a dit "C'est long, l'éternité, surtout à la fin".

Le bureau

SUR MON BUREAU il y a des crayons, des stylos, des pinceaux entassés dans des pots disparates, la lumière qui vient du ciel,un stick de colle, un taille-crayon, un rouleau de scotch bleu.
SUR MON BUREAU il y a des tubes de peinture, de vieilles toiles encroûtées, une odeur mêlée de colle et de bois, un carnet noir, des photos, un peu de fouillis, un morceau de papier noir, un vieux buvard, des ciseaux, un chouchou pour les cheveux, un petit carnet rouge, un dessin de chat.
SUR MON BUREAU il y a une lampe noire à long cou qui ressemble à un oiseau sans ailes, sur mon bureau patientent des projets en dormance,des rêves, des désirs et un peu de poussière.

Un jardin

Ici il y a un pêcher en fleurs
Une douce lumière
Une tortue dans les fraisiers
Une porte entrebaillée
Des volets peints en bleu
La brise qui frisonne
Et les fleurs du pêcher

Ici il y a quatre fleurs aux pétales froissés
Un bourdon à cul blanc
Il volette en silence
Le chant d'un oiseau invisible
Deux notes stridentes comme un appel
Des effluves sucrées
Et le rose des fleurs du pêcher.

De cité en cité


La cité où je travaille: Des tours, très hautes, moins hautes, dix étages minimum tout de même. Des centaines de fenêtres, des balcons encombrés, vélos, motos, linge qui sèche, meubles entassés. Peu de gens. Du gris, du gris, du gris. Les allées, grises, noires, jonchées de détritus, de matériel abandonné là depuis longtemps, gazinières, carcasses de vélos, matelas troués. Des gens vont, viennent, toutes teintes de peau, toutes teintes de vêtements, seuls les foulards et boubous africains comme taches de couleur, d'un peu de gaité. Des gens sont adossés aux murs, des jeunes, des garçons seulement. La fumée de leurs cigarettes. L'accablement dans leur attitude, dans leurs yeux. A l'entrée une école. Les cris des jeux d'enfants à l'heure de la récré. A l'entrée un commissariat. Aucun policier dehors. La peur. Ça sent la peur.

La cité où je demeure: Deux longues barres d'immeubles, quatre étages. Des balcons, des balcons fleuris. Sur certains des gens déjeunent au soleil. Des voitures bien alignées sur le parking. D'autres qui vont et viennent tranquillement. Des gens qui passent, pressés ou en promenade. Ils se saluent, s'interpellent. Des enfants qui font des tours, en vélos, skates ou trottinettes. Tout autour la pinède, les rochers, les collines. Des petits sentiers pour s'échapper directement dans le Parc national des Calanques. Le chant des oiseaux. Les pies qui traversent la route sans crainte, volettent d'arbre en arbre. Un homme qui promène son chien. Un chat allongé sur le toit d'une voiture. Les pins. Ça sent les pins.