dimanche 29 mars 2020

L' AUGUSTINE


Je savais que tous les gosses du quartier escaladaient le mur pour aller jouer dans le parc.

C'était la plus grande propriété du quartier, elle occupait, à elle seule, la même superficie que les cinq maisons qui lui faisaient face de l'autre côté de la rue.

A part le grand mur de clôture, je ne connaissais de l'Augustine que son majestueux portail noir surmonté de flèches à pointes dorées. La maison était invisible aux passants.
Marco me raconta que, de l'autre côté du mur c'était fantastique. Ce n'était pas un jardin, il n'y avait ni fleurs, ni pelouse mais des arbres, des arbustes, des buissons qui poussaient en toute liberté. La végétation était si touffue que le soleil ne s'infiltrait que parcimonieusement entre les branches entremêlées. Sous le couvert des houppiers régnaient l'ombre et la fraîcheur.

Ismaël me dit que la maison apparaissait d'un coup, en pleine lumière après l'ombre du parc. C'était une grande maison blanche. Une double volée de marches amenait à une longue terrasse qui s'étendait sur toute la longueur de la façade.

Mon père savait que le vieux monsieur qui habitait la grande maison blanche était un ancien colonel de la Marine Nationale. Dans ma famille, personne ne connaissait son nom, on l'appelait "Le Colonel". C'etait un homme solitaire et taiseux.

Ma grand-mère avait connu Augustine, sa femme, son grand amour, celle qui avait donné son nom à la propriété. Une très belle femme, d'une grande distinction, au passé trouble. Elle avait disparu un jour, laissant le Colonel dans un grand état de tristesse.

D'après ma tante, qui avait occupé quelques temps la place de gouvernante à ses côtés, le Colonel vivait avec un grand perroquet bleu à bec jaune ramené d'une de ses missions et avec Gina, une adorable guenon chimpanzé qu'il habillait avec des vêtements de fillette.

Marco avait vu la tombe de Gina dans un coin reculé du parc. Une simple croix entourée d'un collier de perles multicolores sur un monticule de feuilles sèches. Il n'avait jamais vu le perroquet. Une fois, par un lourd après-midi d'été, le Colonel était sorti de la maison. Il était entièrement vêtu de blanc. Marco caché derrière un fusain l'avait vu se promener lentement en parlant à ses arbres, Il était allé jusqu'au portail, l'avait regardé longuement avant de revenir vers la maison.

 Ismaël a soupiré, un sourire aux lèvres. C'est vraiment relou là-bas mais c'est mystérieux et attirant, je ne peux pas m’empêcher d'y retourner."