mardi 31 mars 2020

Retour d'exploration

Cher monsieur,
j'ai entendu votre impatience à propos du rapport de voyage auquel vous avez généreusement participé. Je vous remercie pour cet effort financier mais mes propos vont sans doute vous faire regretter cet investissement. Vous allez être déçu, je vous fais part de la profonde blessure que je porte en moi.
Comme convenu, je vous envoie en bloc le suivi de cette expédition qui au départ m'avait mise en joie. J'étais très heureuse de découvrir d'autres civilisations, j'avais le souvenir d'ouvrages m'informant, m'enthousiasmant devant les autres vies possibles sur cette terre. Je partais donc heureuse.
Mon premier contact me remplit de joie, j'entrai en relation avec des femmes joyeuses aux vêtements colorés, aux bijoux sophistiqués. Leur chevelure m'étonnait, leur corps dénudé affichait une féminité sans gêne. Nous avons échangé par gestes, par rires. Toutefois certains regards étaient méfiants. Je me disais qu'au fil des jours nous nous serions apprivoisés. Pour mon plus grand bonheur, c'est ce qui arriva, nous avons été acceptés au village, nous avons partagé des repas, des danses et autres rites jusqu'au jour où le chef du groupe nous conduisit sur une voie de chemin de fer, nous nous sommes alors enfoncés plus avant dans la forêt en emmenant avec nous quelques hommes de la tribu, volontaires m'a-t-on dit.
La bête de fer nous déposa non loin d'un lac. Sur ses rives, des groupes d'indigènes vivaient paisiblement. J'aurais aimé les aborder mais on me fit comprendre que cela ne faisait pas partie du programme. Nous avons embarqué sur des pirogues pour descendre la rivière Après quelques remous, nous avons atteint un genre de laboratoire où travaillaient un scientifique et son boy? Je fis l'inventaire des étagères et des soupçons commencèrent à germer dans mon esprit. Je découvris des griffes, des lambeaux de peau, des dents, des organes dans des bocaux, bref toutes sortes d'éléments extraits du vivant. Le patron des lieux, me trouvant un air suspect, me pria de sortir. Pour me distraire, on m'offrit un pique-nique somptueux, ce qui accrut ma curiosité.
Le soir, je quittai discrètement le campement et m'approchai de la rivière. Je découvris l'horreur, des éléphants massacrés, ligotés, les défenses sectionnées, le sang giclait, l'eau était rouge. Les habitants exécutaient les ordres, le regard triste mais les sommes offertes faisaient oublier l'horreur.
J'assistais à un traffic pour lequel je n'avais pas été préparé, je n'avais eu aucune information à ce sujet. J'étais complice en dehors de ma volonté.
Le pire, c'est qu'au petit matin tout avait retrouvé la normalité. Les palmiers ombraient la plage, hommes et femmes vaquaient à leurs occupations premières.

Vous comprendrez, Monsieur, que je ne croiserai plus votre chemin sauf au tribunal où je l'espère la sentence sera à la hauteur de mon offense.