jeudi 28 mai 2020

Me suis perdu

Je marche depuis une bonne heure sur ce chemin forestier. J’ai suivi les points jaunes comme indiqué sur la brochure mais là je me trouve en bas d’une restanque et plus aucune marque sur les pierres. J’en profite pour m’asseoir dans un creux de roche pas très naturel.
Au premier bord de mes rêves, je sens une tape sur mon épaule, j’ouvre l’œil, devant moi se tient un homme au visage buriné, coiffé d’un chapeau de paille usagé, il porte une salopette et une chemise de laine, il doit avoir chaud !
« eh petit, sais –tu que tu dors dans une voie à ornières, là, on ne se reposait pas, on emmenait les pierres de la carrière vers la ville, tu dors sur le passage des roues de chariots »
L’homme suit le tracé avec sa canne.
« Si tu le suis, tu arriveras à la carrière abandonnée, y avait pas de béton ! »
Il se tait et me regarde d’un air à la fois amusé et interrogateur.
« C’est bien que vous soyez là, j’ai perdu le fil de ma promenade, pouvez- vous m’indiquer le chemin ? »
« Pas compliqué » L’homme s’éponge le front avec un mouchoir à carreaux sorti d’une besace.
« A droite, un peu plus loin quitte le chemin de rails, à 600 m . environ, tu trouveras le chaudron » Il rit. « Le chaudron, les touristes l’appelle ainsi, rien à voir avec un chaudron, c’est un carbonisateur, tu connais pas, petit, c’est plus d’époque, on fabriquait du charbon de bois ici. Il y avait un camp de chinois qu’on l’appelait, pauvres gars, ils alimentaient les véhicules, pas de pétrole !»
Il continue à marmonner, je ne comprends plus ce qu’il raconte. Il se tait, perdu dans ses pensées, le regard sur ses croquenots.
Devant mon air ébêté, il poursuit :
« Tu continues, le chemin descend dans le creux du vallon, c’est pas bien débroussaillé mais tu verras une entrée de tunnel, si tu as une lampe de poche, tu peux l’emprunter. Je te dis le tunnel, c’est pas un tunnel dit le vieux en levant les yeux au ciel, c’est un aqueduc romain et il éclate de rire.
« Et oui, petit, tout inventé ces romains, l’eau coulait ici, petit, ils emmenaient l’eau jusqu’à Aix les romans »
Il secoue la tête.
« Tout inventé ces romains, tu regarderas la voûte »
« Bref, à la sortie du tunnel, tu prends à gauche, tu pénètres dans les sous-bois, tu longes la barre rocheuse, tu trouveras sur ta droite « la grande baume »
Il sourit.
« T’es pas d’ici , tu sais ce que c’est une baume, je vais dire grotte, ça te parle ? demande –t-il en soulevant le menton.
« Ah oui, c’est un abri sous roche, je sais y repérer les traces d’animaux »
L’homme s’énerve, gesticule.
« De quels animaux tu parles ? J’étais berger, petit. Mes moutons, je les mettais à l’abri par temps d’orage dans cette baume, on savait ce que c’était la belle ouvrage, c’était pas des écrans, du vrai j’te dis »
Le vieux s’agite de plus en plus, la canne voltige, il s’échauffe, transpire, salive puis soudain s’assoie et pleure.
Je le laisse à ses émotions et commence à noter les explications.
Il renifle, s’approche.
« Petit, si tu me prêtes ton bras, je viens avec toi, ce sera mieux que des à droite, à gauche, tu verras, je te raconterai les bories, les sourciers, j’étais sourcier aussi »
Après trois heures de marche, on retrouve le parking, je le conduis au village, lui promets de refaire le guide des sentiers, je ne me conterai pas des points jaunes.

Je cherche une phrase

J'ai un projet, écrire un roman. Le plus difficile c'est de le commencer. Il est important de happer le lecteur dès l'incipit. Cette première phrase est déterminante, elle donne le ton, le rythme, l'ambiance. C'est une invitation.
Je ne l'ai pas encore trouvée, j'y travaille depuis onze ans. Les mots je les ai empruntés à Marguerite Duras: VASE- MORT- VENTILATEUR- OISEAUX EFFAROUCHES- VOLEUR.

Première tentative:  Mon père est mort au printemps en poussant un terrible cri, les oiseaux effarouchés se sont envolés dans un grand bruissement d'ailes, le vase qui contient ses cendres sont devant moi à côté du ventilateur, elles m'appartiennent pourtant je me sens comme un voleur.
Trop lugubre...

Deuxième tentative:  Les oiseaux effarouchés m'ont alerté, un voleur était en train de se sauver, cassant le vase contenant mon bonsaï, je n'ai pas réfléchi, j'ai tiré, il est raide mort au milieu de l'allée, il n'y a plus que le bruit du ventilateur.
Trop morbide...

Troisième tentative:  Il était mort de rire, les oiseaux effarouchés se cognaient aux barreaux de leur cage, ce voleur de rêve se moquait de moi, j'avais dans la bouche comme un goût de vase et frissonnait sous le ventilateur qui tournait, tournait, hypnotique...
Trop bizarre...

Quatrième tentative:  Ce n'était pourtant pas la mort de me présenter à lui, j'étais entré comme un voleur, sur la pointe des pieds, tremblant et paralysé comme les oiseaux effarouchés qui se figent dans un coin de leur cage, sur le bureau luxueux, un rayon de soleil ricochait sur un vase en cristal, j'eus un éblouissement puis tout devint noir.
Oui mais après...

Je ne tiens pas encore ma phrase, demain peut-être... 

Lilou
Petit clin d’œil

On nous rend un peu de liberté. Les rencontres vont être de nouveau possible !
Pas facile, on ne peut pas se croiser, des flèches pour nous guider, des flèches à suivre, un seul sens possible dans les magasins, dans les escaliers montant à la Bonne Mère, dans certains immeubles. De véritables défilés masqués. Alors la rencontre…
Si, j’ai fait une belle rencontre, pourtant je ne l’ai pas vu, il n’avait sûrement pas de masque, il se foutait de moi mais moi je l’ai adoré, un pic vert dans la forêt, dans cette forêt, mon réconfort depuis  toujours. J’ai rencontré aussi deux jeunes gens, ils m’ont demandé le nom des arbres, ils avaient l’air heureux de l’insouciance et de l’envie de vivre. Cette jeunesse me ravit, je me sens moins cataloguée dans la série « à risques ».
« La chapelle est fermée là-haut » leur dis-je
« Pas grave, la chapelle , c’est ici  sous cette voûte de verdure »
Un bonheur de partager cette sensation entre générations, une vraie rencontre.
« Je cherche une phrase, des mots dont je me souviens y étaient pris :
Vase, mort, ventilateur, oiseaux effarouchés, voleur. »
Le soir, quand la nuit tombe, l’angoisse me sert encore la gorge, je le revois, le voleur, mon vase sous le bras, ils se tient dans l’encadrement de la porte. Les oiseaux effarouchés se cognent contre les volets entr’ouverts et sur le rebord de de la fenêtre mon ara préféré git, mort. Le ventilateur tourne, tourne…
Je sens encore l’air déplacé par ce ventilateur affolé, en mode accéléré, une odeur de mort envahit la véranda, celle de mon Coco, le gardien du précieux vase acheté sur un marché. Je me vois encore ouvrir la fenêtre aux oiseaux effarouchés par le voleur sans doute.
Il me semble reconnaitre cette silhouette, ce n’est pas lui, le voleur, il m’a guidé dans l’achat de ce magnifique vase, ce n’est pas lui qui a donné la mort à mon compagnon, il le nourrissait tous les jours, ce n’est pas lui Palao qui se tient là comme un épouvantail devant le ventilateur, indifférent aux oiseaux affolés par ces courants d’air inhabituels.
Je n’ose y croire, Palao, voleur de mon vase. Il porte sur un bandeau les plumes colorées de Coco, il lui a donné la mort. Il arbore un sourire vengeur, vengeur de quoi, je ne sais pas. Soif de liberté. Il a effarouché les oiseaux pour leur offrir la forêt. Il fait voler ses cheveux défaits devant le ventilateur. Il rit, lance le vase contre le mur, il est comme possédé. Les yeux exorbités, il me fait peur.
Il me fait encore peur. 

mercredi 27 mai 2020

Ode aux végétaux

Je t’aime bien plantin 
Tu te revendiques diurétique, thérapeutique
Je te trouve esthétique
Mauvaise herbe dans les cultures                                                           
Ennemi des jardins citadins
Herbe au cinq coutures
Fou du roi, tu agites ta tête couronnée
Au- dessus des pelouses policées
Je t’aime bien plantin

Surtout dans mes gratins.






On te dit folle Avena, peut-être.
Sans autorisation, tu envahis les champs de blé.
Sans précaution, tu investis les vieux murs.
Sans prétention, tu avances courbée.
Sous ton aspect fragile, tu es une dure,
 Tu résistes aux pesticides
Loin d’être timide
Tu te moques des rendements.
Tu livres tes panicules au vent
Sous le soleil, elles sont ailes d’argent.













Elle est tombée, la boîte aux multiples facettes.
A l’intérieur, la maturité, une tension insoupçonnée.
Une énergie cherche la sortie, la faille qui fera exploser la vie.
Encore un effort et les membranes craqueront, les fissures s’élargiront .
Les graines suivront le chemin tracé vers ce qu’on appelle liberté.
Reste alors la structure, forme architecturale incomparable.
Mathématique ou botanique ?




Envol d'écrivain


Mon chien hurlait à la mort, je ne comprenais pas pourquoi, mais les oiseaux effarouchés s'élançaient vers le ciel tandis que le ventilateur tournait inlassablement près du vase vide, un voleur avait emporté les fleurs.

Un voleur convoitait mon plus beau vase, celui que je fleurissais chaque jour, posé à côté du portrait de mon mari mort, rafraîchi au cœur de cet été torride par les pâles d'un ventilateur qui faisaient fuir les oiseaux effarouchés.

Je crois que mon animateur d'écriture veut ma mort quand il me demande de piocher comme un voleur des mots inscrits sur de petits papiers blancs déposés au fond d'un vase et qui s'envolent comme des oiseaux effarouchés quand je les lâche sous les pâles d'un ventilateur.

Je n'ai pas l'ombre du début du talent de Marguerite Duras, comment pourrais-je trouver ce qu'elle avait oublié, trouver le voleur qui emporterait mon vase favori sous le regard des oiseaux effarouchés par le ronflement de mon ventilateur, je ne vais pas chercher jusqu'à ce que mort s'en suive.

Avena Fatua




 Jolie et  aérienne ma chère folle avoine
S'épanouit partout des villes jusqu'aux pôles
Avena fatua dans la langue des moines
Sœur de la liberté insolente et fofolle

Compagne des enfants elle en a des milliers
Le long des tiges fines balancées dans le vent
Agrippés tendrement les fragiles épillets
Petits anges riant dans le vent frivolant

Aucune extravagance chez cette graminée
De longues feuilles vertes mais aucune corolle
Artifice inutile pour la beauté innée 

Quand je m'en vais l'été le long des chemins blancs
Je sais qu'elle m'attend ma chère avoine folle
Je la trouve toujours au soleil se dorant










lundi 25 mai 2020

Véronica

Tu m'émeus petite fleur
Tu sembles douce, fragile,
d'une teinte délicate, presque transparente.
Est-ce pour te protéger que tes feuilles sont poilues,
ou pour te caresser?
J'aimerais m'approcher,
te découvrir dans l'herbe,
effleurer tes poils,
savoir s'ils sont aussi doux qu'il me semble.
Tu t'appelles Véronique, un prénom de femme,
je te sens encore plus  proche et gracieuse,
une toute petite fleur
une jeune-fille, un miracle.
 
 
 

Echos de la semaine

Lundi: Journée plan-plan sous un ciel orageux et poisseux. Un peu (beaucoup trop) joué au solitaire sur l'ordinateur,un peu (beaucoup trop peu) jardiné, un peu (vraiment très, très peu) regardé la télé. J'ai distraitement vu que Macron était en visioconférence avec Merkel. Il m'a semblé que Macron parlait beaucoup et que Merkel s'endormait. Je crois qu'il parlaient de la création d'un fonds européen pour aider les entreprises.

Mardi: "Déplacez-vous en France, dans le respect des distances autorisées" Ça me donne l'autorisation d'aller voir ma mère très angoissée par le virus mais pas ma fille qui habite à 300kms. Depuis le plan Vigie Pirate chaque citoyen est potentiellement un délinquant ou un terroriste maintenant chacun d'entre nous est un agent contaminant possible et irresponsable. Pour faire respecter les contraintes, une seule stratégie: contrôles, verbalisations, punitions.

Mercredi: Après un soleil en surchauffe toute la journée, bref orage dans la soirée. De beaux éclairs ont illuminé le ciel.
Vifs et aériens
ils volent au-dessus de l'herbe
les coquelicots

Jeudi: Pauvre journée pendant laquelle je ne fais pas grand-chose. Envie de voir mes filles mais, à l'idée de la gène imposée par les gestes barrière la  tristesse me tombe sur le cœur. Les infos concernant la pandémie sont toujours aussi inquiétantes: "Le virus est toujours là". "Il est dangereux". " Doit-on rendre le port du masque obligatoire partout?".
Je crois que nous sommes dans une civilisation gangrénée par le doute . Finie la civilisation sûre de ses valeurs. La France tranquille, sûre de son droit et de sa force. Nous sommes maintenant dans la France du doute, de l'anxiété, de l'angoisse, de la vulnérabilité puisqu'elle est, plus que jamais, exposée à la destruction comme tous les pays du monde.

Vendredi: Depuis 2 jours les moustiques sont de retour. Je suis déjà piquée à plusieurs endroits. Pff... La vie est dure . Je suis retournée pour la première fois à la librairie. Tout le monde était masqué sauf Jean et moi mais ça n'a pas posé problème.Comme d'habitude je n'ai pas trouvé les livres que je voulais . Je suis revenue avec une interview de Romain Gary, un recueil de nouvelles de Steinbeck( là je n'ai pas pris de risques) et un livre de John Fante qui est, pour moi, un illustre inconnu.

Samedi: Soleil estival. Journée lisse .Les courses alimentaires et les repas sont notre principale occupation. Contacts téléphoniques avec la famille. Il paraît que ces merveilles technologiques nous permettent de rester en lien avec ceux qu'on aime.Peut-être mais quelle frustration quand on raccroche!

Dimanche: Pendant ma sortie de ce matin, j'ai trouvé qu'il y avait moins de gens masqués. Il est possible que la chaleur rende le port du masque plus inconfortable. Pour entrer chez le boucher jusqu'à hier, il fallait faire la queue sur le trottoir en respectant la distance de 1m et entrer un par un mais ce matin il y avait foule à l'intérieur. Les contraintes sanitaires trop strictes, anti-naturelles ne peuvent être tenues longtemps. Chers élus, faîtes-nous confiance, nous sommes tous conscients de la dangerosité du virus mais arrêtez de nous infantiliser, responsabilisez-nous.
A midi, 5minutes sur WattsApp avec ma fille... Ils vont tous bien, pour l'instant il faut s'en contenter.
Lilou

samedi 23 mai 2020

Le chien, la petite-fille et le garde-champêtre


Pauline est une petite fille bien sage. Elle a neuf ans. Elle habite un petit village dans le Vaucluse, ses parents sont boulangers, son père pétrit dès 4 heures le matin, sa mère sert les clients. Pauline travaille bien à l'école, fait tous ses devoirs avec soin. Mais elle s'ennuie, elle s'ennuie sans frère ni soeur. Elle s'ennuie parce que ses parents la surveillent trop et qu'elle n'a pas la liberté de jouer sur la place et de courir les chemins comme ses camarades d'école. Alors elle lit, elle lit beaucoup, mais elle rêve aussi, elle rêve d'aventures et un soir, sur un coup de tête, quand ses parents sont couchés (un boulanger ça se couche tôt) elle renfile un pantalon, un pull, saute par la fenêtre et part un peu à l'aveugle...


Jules le chien est berger. Tous les étés, il garde les moutons que son maître a emmenés dans de gros camions vers les alpages. Mais cette année il a eu un accident, s'est fait heurter par une moto, a une patte cassée. Quand il a préparé le voyage, le maître a dit : « On n'emmène pas Jules, il ne nous servira à rien, il ne peut pas courir. Je le laisse ici, à la ferme, il rendra de menus services, et puis il est vieux, il a bien droit à un peu de repos. » Et le troupeau est parti sans lui, le maître ne lui a même pas dit au revoir, il n'a pas vu les larmes dans ses yeux, les hommes ne savent pas que les chiens pleurent.


Gustave est garde-champêtre, l'un des derniers garde-champêtres en exercice dans les villages. Il sait que quand il aura l'age de la retraite, bientôt, il ne sera pas remplacé, et ça lui crève le cœur. Il a l'impression que dès maintenant il est payé à ne rien faire, qu'il n'est pas utile, même si on lui donne encore des messages à annoncer sur la place après avoir lancé quelques roulements de tambour. C'est de plus en plus rare. Gustave s'ennuie. Il n'a pas de femme, pas d'enfants, pas de petits enfants. Heureusement il aime aller à la pêche, mais l'hiver, que fera-t-il l'hiver ? La télé en continu, quelques coups au bistrot pour parler à d'autres hommes qui s'ennuient aussi ? Gustave évite de penser à l'avenir.


Ce soir-là, un soir de printemps, Paulette est dehors, dans la nuit, pour la première fois de sa vie. Elle a un peu peur mais a l'impression de commencer une grande aventure. Les rues du village ne ressemblent pas à ce qu'elle connaît, la nuit. Elle entend une ombre se rapprocher d'elle, une ombre à quatre pattes, mais une ombre qui boîte. Elle s'arrête, c'est un chien. Elle n'avait pas pensé à cela, elle a peur des chiens. Il s'approche d'elle, il aboie un peu, elle hurle, un hurlement comme elle n'en a jamais poussé.
Gustave est devant la télé quand il entend ce cri désespéré : une voix d'enfant, à cette heure-ci, dehors ! Il décroche son fusil, on ne sait jamais, rajuste ses bretelles et se précipite. Il reconnaît Paulette, qu'est-ce qu'elle fait là ? Il s'approche, la prend dans ses bras, elle se débat, il lui parle doucement, tente de deviner ce qui lui a fait si peur. Elle désigne le chien. Jules ! Le chien le plus brave du village! Gustave éclate d'un bon gros rire, s'accroupit avec Paulette dans les bras, caresse Jules, prend la main de la petite fille et lui montre comment le caresser aussi. Elle se calme, et d'un coup le sommeil la prend. Gustave la porte jusqu'à la boulangerie, le chien sur ses talons. Il va tambouriner pour réveiller les parents et aperçoit la fenêtre entrebâillée. Si on le surprend, il aura un blâme, il perdra son poste, sa retraite peut-être. Mais c'est tellement plus simple de ne réveiller personne, il enjambe la fenêtre, pose Pauline dans son lit, elle dort.
Il retrouve Jules dans la rue, le regarde, ces deux là se comprennent. Jules va rester ici jusqu'au réveil du boulanger pour être sûr que Paulette ne fera plus de bêtise.
En s'en retournant chez lui tout seul, Gustave pense qu'avec le chien une amitié vient de naître. Et Pauline ? Est-ce qu'elle se souviendra de lui ? Est-ce qu'elle pensera qu'elle a rêvé ?
Rencontres

Une famille aisée, un père conseiller financier, une mère attachée culturelle, François a tout pour réussir, des études brillantes à Sciences Po lui promettent un bel avenir. Un appartement luxueux où il peut recevoir les copains pour des fêtes bien arrosées. Seule ombre au tableau, l’exigence, la performance, pas droit à l’erreur, des parents qui contrôlent études et fréquentations, peu importe les factures, ils assurent. Pas d’autres opinions possibles, pas d’autres vues sur le monde, le mot d’ordre, l’élite. François répond parfaitement à l’attente de papa et maman. Puis il fait des stages à l’autre bout du monde, l’Inde, l’Afrique… Chacun de ses séjours ébranlent ses certitudes, ouvrent des horizons inattendus. Il devient amer en famille. Les disputes éclatent, les portes claquent, un vocabulaire nouveau fait son apparition dans les conversations, économie solidaire, redistribution. On s’irrite, les ponts se coupent, on s’éloigne jusqu’à la décision fatale. Quitter le domicile familial , construire sa vie ailleurs vers le sud. Un matin de Décembre, François prépare son sac à dos, quelques affaires, ses papiers et se rend à la gare, à pieds, personne pour l’accompagner. Le voyage semble long, il s’en veut, se reprend, se dit qu’ils finiront par comprendre.

Adélaïde, après un parcours chaotique a décroché le concours d’entrée à l’école de danse de Marseille. Depuis son plus jeune âge, elle ne rêve que de danse, de corps de ballet. Elle a travaillé sa silhouette pour lui faire épouser la musique sans effort, comme une évidence.
La vie en ville n’a pas été très facile au début, elle a quitté son village. Le plus dur a été de laisser sa mère, elle lui doit tout à sa mère, elle l’a élevée seule, payé les cours grâce aux heures supplémentaires. Elle a toujours été là pour elle, dans les réussites comme dans les découragements. « Tu seras danseuse ma belle, tu iras au bout de tes rêves ».
Adélaïde se remémore cette phrase murmurée à son oreille le soir au coucher.
Cette fois, ça y est, elle est danseuse.

La Marinette est à la retraite. Elle a travaillé toute sa vie à la buvette de la gare. Elle adorait écouter les récits de voyage, servir en vitesse les retardataires, consoler les esseulés, renseigner les égarés. Elle aimait le bruit des trains, la voix dans le haut -parleur, la foule qui envahissait le hall. Elle rêvait à l’annonce des destinations. Elle avait l’impression de voir du pays pourtant, elle n’est jamais partie, pas le temps, pas l’argent.
Elle s’ennuie maintenant, alors, elle revient à la gare, observe les gens, engage la conversation. Elle retrouve l’ambiance de sa vie.

Elle était là depuis quelques heures quand une panne d’électricité arrête tout le traffic. Un affolement général sur les quais. Certains vocifèrent, d’autres courent, affolés. Les agents tentent de rassurer.
Marinette qui ne cède jamais à la panique, repère une demoiselle en larmes.
« Ce n’est pas grave ma petite, tout va repartir, c’est juste un incident. Allons, allons remettez- vous, où allez vous ?
« Je dois accompagner ma mère pour son entrée en maison de retraite, je vais arriver trop tard, c’est terrible, je ne peux pas lui faire ça, c’est une catastrophe. » 
« Venez approchez - vous du bar, écoutez ce jeune homme au piano, il va vous faire du bien »
François, arrivé en gare par le dernier TGV, joue une sarabande de Haendel. Adélaïde, consolée pour un moment, se met à danser. Les passagers en rade applaudissent mais dès la dernière note, elle s’effondre en sanglots.
François s’approche, Marinette raconte.
« Dans quelle ville vous rendez –vous ? »
« Sisteron, c’est d’une importance capitale, comprenez –vous ? »
« Je rêve de visiter Sisteron » s’exclame Marinette
« Pardon mademoiselle, ce n’est pas des choses à vous dire en ces circonstances »
« Attendez -moi un instant »
François ferme le piano, s’éclipse et revient quelques instants plus tard  en balançant des clefs au bout de ses longs doigts.
« Montez, je vous emmène, vous aussi madame. »
 Adélaïde, François et Marinette  ont accompagné Georgette à sa maison de retraite.
 Depuis, le troisième dimanche du mois ils boivent un verre au buffet de la gare, montent dans le TER et rendent visite à Georgette. 
  

jeff, le banquier et la grenouille


1er chapitre
A chacun de mes passages, il était là, toujours indifférent à ce qu’il se passait autour de lui. Jamais il n’a relevé la tête. Il lisait. On était en automne, les feuilles jaunes des micocouliers tombaient autour de lui sans qu’il semble les remarquer. C’était un vieux monsieur, les cheveux longs, grisâtres comme les poils de sa barbe. Il était vêtu d’une grosse veste matelassée.
 Puis j’ai vu la tente Quechua derrière la haie de lauriers roses.

Je fais semblant de lire pour me donner une contenance, je sais que j’intrigue les passants. Ma vie est pourtant d’une tragique banalité. Je m’appelle Jeff, j’ai cinquante-cinq ans. Je suis né dans les Ardennes, dans un bled paumé d’une tristesse absolue. Toutes les usines fermaient les unes après les autres. Mon père travaillait dans une fabrique d’accessoires pour salles de bain et sanitaires. Des objets de bonne qualité dont le coût de production était trop élevé, l’usine a fermé. La misère ordinaire est devenue notre quotidien. Mes parents se disputaient souvent, chacun accusant l’autre du naufrage de leur vie. Un jour, j’avais six ou sept ans, quand je suis rentré de l’école mon père avait quitté la maison. Après, ma mère s’est laissée couler. Dépression, médicaments, alcool. Je n’allais plus à l’école et les services sociaux s’en sont inquiétés. Foyers, familles d’accueil, fugues. J’ai beaucoup fugué, je ne supporte plus d’avoir un toit au-dessus de la tête.

Chapitre 2
Anatole Legall vient de garer sa Porsche Cayenne à l’emplacement qui lui est réservé sur le parking du siège social de la banque dans laquelle il est directeur du service des contentieux. Il est né à Marseille d’une mère auvergnate et d’un père breton, tous deux pharmaciens. L’ainé d’une fratrie de trois garçons, il a passé son Bac au lycée Thiers avant d’aller à Aix-en-Provence poursuivre avec facilité des études d’économie. C’est un garçon simple, gentil, d’un physique banal mais sans défaut rédhibitoire. Son charme tient à son amabilité naturelle et son optimisme inaltérable. Hier au soir, sa femme était chez une amie, il a passé une délicieuse soirée télé-pizza avec ses deux enfants. Il soupçonne sa femme d’avoir un amant mais il n’est pas jaloux, elle a bien meilleur caractère ces derniers temps. Comme tous les matins, avant d’attaquer la journée, il va boire un café au dernier bistrot du quartier qui vivote encore et qui s’appelle « Le Point Bar ». Bernard le patron est devenu un ami.


Chapitre 3
Je m’appelle Nénette, je suis une petite grenouille verte, une rainette. Je suis née dans l’eau de l’Huveaune et c’est là que j’ai vécu ma période têtard. Comme tous mes frères et sœurs je ne connais pas mes parents. Nous, les batraciens apprenons vite à nous débrouiller seuls.
J’habitais dans une petite cour sombre et humide d’une fraîcheur exquise à l’arrière d’un bistrot. D’une nature simple et discrète je passais le plus clair de mon temps à chasser les mouches puis à les digérer en somnolant, rêveuse, à l’ombre des feuillages. C’était le bon temps ! Il y a quelques jours un garçonnet m’a attrapée alors que je faisais ma sieste sur une branche de saule. Sa main s’est refermée sur moi comme un lourd couvercle, j’ai bien essayé de m’échapper, j’ai gesticulé dans tous les sens, parfois cela suffit pour effrayer les enfants mais ça n’a pas marché.
Maintenant je suis dans un bocal. L’enfant— j’ai entendu qu’on l’appelait Gaspard— a placé au fond de ma prison deux doigts d’eau, quelques cailloux et une échelle en plastique. On a dû lui raconter que les grenouilles montent en haut de l’échelle quand il va pleuvoir. Quelle idiotie ! Comment pourrais-je savoir le temps qu’il va faire alors que je suis enfermée dans un bocal posé sur un comptoir.

Chapitre 4
 Jeff a vaincu sa timidité et s’est décidé à entrer dans ce petit bistrot devant lequel il passe si souvent. Il déguste à petites gorgées un chocolat fumant et odorant quand Anatole Legall vient s’assoir sur le haut tabouret à côté de lui et se présente :
   Bonjour Anatole Legall, banquier. Je travaille dans la grande tour bleue à deux pas d’ici.
Jeff ne serre pas la main que lui tend Anatole. Il a honte, ses mains sont sales, ses ongles noirs. L’amabilité du banquier le déconcerte. Aurait-il des peaux de saucisson devant les yeux ? Ne voit-il pas son pantalon douteux et sa doudoune qui perd l’ouatine par plusieurs trous ? Jeff n’a pas envie de parler, il est fasciné par la grenouille plaquée contre la paroi de verre. Il voit la peau de son ventre blanchâtre qui bat doucement. Il voit les pattes longues et fines, les doigts terminés par de minuscules ventouses. Il voit ses gros yeux à demi fermés. Elle est si parfaite, si fragile, cela le trouble et il s’en étonne.
Pendant ce temps, Anatole boit son café en bavardant avec Bernard. L’enfant entre précipitamment son poing refermé sur une mouche qu’il vient d’attraper :
   Papa ! Vite, entrebâille le couvercle, je veux lui donner la mouche que j’ai dans la main.
En bougonnant un peu pour la forme, le père s’exécute, entrouvre précautionneusement le couvercle. Alors Jeff semble faire un faux mouvement, tombe à moitié sur le comptoir, chavire le bocal. La grenouille aussitôt saute de partout, sur les tables, les chaises, sur les vitres. L’enfant hurle, Son père aussi pour le faire taire, Jeff et Anatole poursuivent la grenouille. Le banquier à quatre pattes sous les tables coasse en riant, il s’amuse bien et ne craint pas de salir son costume. C’est Jeff qui la repère en train de reprendre son souffle collée à un pied de chaise, il la saisit doucement, glisse la main dans sa poche et sort. Il marche vite. Il est ému de sentir dans sa main cette petite chose vivante, il fait attention de ne pas trop serrer ses gros doigts. Il connaît un endroit retiré sur la promenade, un endroit herbeux et frais, c’est là qu’il libère la petite rainette qui ne demande pas son reste et se sauve en bonds maladroits.
Quand il se redresse, il voit Anatole Legall qui a dû le suivre. Ils se regardent sans parler puis soudain, peut-être à cause de l’absurdité de la situation ou parce que la matinée est radieuse, ils éclatent de rire. Un bon gros fou rire qui fait pleurer les yeux et qui coupe le souffle. Un fou rire qui, venu sans raison, n’a aucune raison de s’arrêter. Quand, un peu calmés, ils sont sur le point de se séparer, Jeff, cette fois, ne refuse pas la main que lui tend Anatole.











jeudi 21 mai 2020

Espère rencontre


Jeune femme divorcée, deux enfants en bas age, habile de ses mains, souhaite rencontrer homme 35 à 45 ans, bonne situation, qui apprécierait confort familal avec femme au foyer. Enfants bienvenus, mariage possible.

Veuf, 91 ans, sportif et vigoureux, très bonne retraite, ne supportant pas la solitude, espère rencontrer dame age indifférent mais bonne condition physique, pour goûter ensemble le temps qui passe.

Quel jeune homme grand, aimant les rondeurs, voudrait partager quelques jours ou toute une vie avec jeune fille 25 ans, 1m69, 95kg, très romantique.

J'ai 18 ans, je voudrais tenter première expérience avec un homme habile et doux, sans projet d'avenir. Photo indispensable.

Dame 35 ans, sans charge familiale, déçue par les hommes, voudrait rencontrer jeune femme age en rapport, lesbienne expérimentée, pour nouvelle découverte. Je préfère les blondes à cheveux courts.

Qui voudra partager le temps qui nous reste dans les rires et la tendresse? J'ai 72 ans, mince , allure élégante, longs cheveux blancs. Je suis une dame, on dit que j'ai de la classe.

Homme 45 ans espère offrir vie heureuse dans villa sur la Côte d'Azur à jeune femme gaie, sérieuse, fidèle, si possible bonne cuisinière. Amour des chiens exigé, je tiens un chenil.
Annonces matrimoniales

Jeune homme, la trentaine, sympathique accepte tous styles de vie, à la campagne, à la ville. Une seule exigence, accepter mes collections encombrantes de Père-Noël surtout l’été. Il faut aussi une jeune fille souriante en toutes circonstances. Fonderais volontiers un couple de grands enfants.

Dame, la cinquantaine, brune, yeux verts, taille moyenne, veuve de capitaine cherche un compagnon, pas stricte, pas maniaque, pas rigide, de la légèreté enfin… De même pour le poids, 70 kilos maxi.

Jeune femme brune de 32 ans, vétérinaire, partagerais plaisirs de la vie avec un homme plus âgé, style nounours. Un seul impératif, pas d’allergie, je vis avec 10 chats. 

Retraitée avec de bons revenus, encore élégante aimerait partager mes soirées à l’opéra avec un homme généreux appréciant les bons restaurants. La nuit pourra se prolonger dans ma belle villa si affinités. Ronfleur s’abstenir.

Sportif aux grands yeux bruns, toujours bien coiffé, situation correcte, bonne morale, rigoureux souhaite rencontrer pour mariage une jeune fille blonde de préférence, de bonne famille. Peux offrir maison à qui saura la tenir et désirera des enfants. Femme libérée impossible.  

Jeune fille en fleurs de 26 printemps cherche pot assorti. Blonde, teint doré, vêtue de couleurs vives aimerait tendrement un artiste amateur de nature et portant les cheveux en broussaille, roux de préférence et plutôt grand.

Ingénieur en agronomie sans fortune ni terre voudrait s’unir à jeune fille ayant du bien pour monter société horticole, bref un mariage d’affaires pour le reste on verra plus tard.

Me sens seule dans les manifs, cherche un syndicaliste donnant de la voix pour partager mes idées .Tout syndicat accepté, les soirées seront plus animées avant de passer à autre chose si on se plait.

Le mystère des clefs



Celle-là ouvre un placard discret tapissé comme le reste de la pièce, presque invisible. La porte s’ouvre en gémissant. A l’intérieur, il n’y a qu’un vide profond et sur une étagère unique, juste à hauteur d’yeux, trois petits pots de confiture joliment coiffés d’un tissu provençal. Chacun porte, bien visible, une étiquette blanche sur laquelle est dessinée une tête de mort. Odeur de salpêtre.

La deuxième est celle d’un appartement dont je pousse la porte. Dans l’entrée plongée dans la pénombre, flotte un étrange halo de lumière et trois notes de musique. Odeur surannée.

Elle est petite avec une grosse tête, cette clef ouvre un coffret en métal rouillé, un peu cabossé, de la taille d’une boîte de sucre. Au fond brillent trois osselets blancs. Odeur de renfermé.

Avec la quatrième, j’entre dans l’atelier de mon grand-père. La lame d’une tronçonneuse en barre l’entrée, une araignée se balance au bout d’un fil invisible et trois clous sont alignés sur le seuil. Odeur de sang.

C’est la clef de la vieille voiture rouillée abandonnée dans la remise poussiéreuse. Des campagnols y ont élu domicile. Quand j’ouvre la portière, ils s’éparpillent et trois passent entre mes jambes en couinant. Odeur pestilentielle.

La sixième est la clef de l’armoire à glace de mémé. A l’intérieur, trois chemises de nuit en coton blanc avec de la dentelle à l’encolure et autour des emmanchures pendent comme des peaux de fantôme. Forte odeur méphitique.

Avec la septième je m’apprête à ouvrir le portillon du jardin de la maison abandonnée. La végétation a tout envahi, les herbes sont aussi hautes que moi, des ronces enchevêtrées forment un obstacle infranchissable, un rosier exubérant m’offre trois roses rouges. Parfum envoûtant.

 La dernière, la huitième, est la clef d’une cave fermée par une lourde porte métallique. Il y fait sombre, un rond de lumière tombe d’une ampoule sale. Sur une étagère qui s’étend sur toute la longueur du mur du fond, trois petits pots de confiture coiffés d’un tissu provençal coloré. Sur chacun une étiquette noire sur laquelle on peut voir deux os blancs qui dessinent une croix. Odeur de caveau.