jeudi 28 mai 2020

Me suis perdu

Je marche depuis une bonne heure sur ce chemin forestier. J’ai suivi les points jaunes comme indiqué sur la brochure mais là je me trouve en bas d’une restanque et plus aucune marque sur les pierres. J’en profite pour m’asseoir dans un creux de roche pas très naturel.
Au premier bord de mes rêves, je sens une tape sur mon épaule, j’ouvre l’œil, devant moi se tient un homme au visage buriné, coiffé d’un chapeau de paille usagé, il porte une salopette et une chemise de laine, il doit avoir chaud !
« eh petit, sais –tu que tu dors dans une voie à ornières, là, on ne se reposait pas, on emmenait les pierres de la carrière vers la ville, tu dors sur le passage des roues de chariots »
L’homme suit le tracé avec sa canne.
« Si tu le suis, tu arriveras à la carrière abandonnée, y avait pas de béton ! »
Il se tait et me regarde d’un air à la fois amusé et interrogateur.
« C’est bien que vous soyez là, j’ai perdu le fil de ma promenade, pouvez- vous m’indiquer le chemin ? »
« Pas compliqué » L’homme s’éponge le front avec un mouchoir à carreaux sorti d’une besace.
« A droite, un peu plus loin quitte le chemin de rails, à 600 m . environ, tu trouveras le chaudron » Il rit. « Le chaudron, les touristes l’appelle ainsi, rien à voir avec un chaudron, c’est un carbonisateur, tu connais pas, petit, c’est plus d’époque, on fabriquait du charbon de bois ici. Il y avait un camp de chinois qu’on l’appelait, pauvres gars, ils alimentaient les véhicules, pas de pétrole !»
Il continue à marmonner, je ne comprends plus ce qu’il raconte. Il se tait, perdu dans ses pensées, le regard sur ses croquenots.
Devant mon air ébêté, il poursuit :
« Tu continues, le chemin descend dans le creux du vallon, c’est pas bien débroussaillé mais tu verras une entrée de tunnel, si tu as une lampe de poche, tu peux l’emprunter. Je te dis le tunnel, c’est pas un tunnel dit le vieux en levant les yeux au ciel, c’est un aqueduc romain et il éclate de rire.
« Et oui, petit, tout inventé ces romains, l’eau coulait ici, petit, ils emmenaient l’eau jusqu’à Aix les romans »
Il secoue la tête.
« Tout inventé ces romains, tu regarderas la voûte »
« Bref, à la sortie du tunnel, tu prends à gauche, tu pénètres dans les sous-bois, tu longes la barre rocheuse, tu trouveras sur ta droite « la grande baume »
Il sourit.
« T’es pas d’ici , tu sais ce que c’est une baume, je vais dire grotte, ça te parle ? demande –t-il en soulevant le menton.
« Ah oui, c’est un abri sous roche, je sais y repérer les traces d’animaux »
L’homme s’énerve, gesticule.
« De quels animaux tu parles ? J’étais berger, petit. Mes moutons, je les mettais à l’abri par temps d’orage dans cette baume, on savait ce que c’était la belle ouvrage, c’était pas des écrans, du vrai j’te dis »
Le vieux s’agite de plus en plus, la canne voltige, il s’échauffe, transpire, salive puis soudain s’assoie et pleure.
Je le laisse à ses émotions et commence à noter les explications.
Il renifle, s’approche.
« Petit, si tu me prêtes ton bras, je viens avec toi, ce sera mieux que des à droite, à gauche, tu verras, je te raconterai les bories, les sourciers, j’étais sourcier aussi »
Après trois heures de marche, on retrouve le parking, je le conduis au village, lui promets de refaire le guide des sentiers, je ne me conterai pas des points jaunes.