vendredi 15 mai 2020

Foules


Une foule d’idées
Son cerveau était en perpétuelle ébullition, une foule d’idées s’y pressait. C’était comme un nid de serpents enchevêtrés et grouillant  dans lequel il espérait trouver un jour l’idée de génie qui ferait de lui un être hors du commun. Voilà l’idée qu’il avait derrière la tête. Elle était bien au chaud, enfouie sous les drôles d’idées qu’il avait chaque jour. Des idées multicolores qui sautillaient de-ci-delà, passaient puis s’effaçaient. Ces flashes étincelants lui donnaient parfois une idée de peinture mais une idée de derrière les fagots sabotait toujours le travail.
Il arrivait que cette masse d’idées devienne confuse, inextricable, alors apparaissaient les idées noires. C’était terrible ! Visqueuses, monstrueuses, elles s’étalaient comme une méduse agonisante, envahissaient tout l’espace, recouvraient les idées neuves, les riches idées à exploiter. Dans sa tête ça ressemblait à l’Outrenoir de Pierre Soulages. Magnifique et terrifiant. Plus rien n’allait et il lui fallait un énorme effort de volonté pour convoquer l’idée lumineuse qui, peu à peu, relèguerait les idées noires à l’arrière-plan, tout au fond avec les mauvaises idées. Alors revenaient les idées claires, les idées folles, les idées farfelues. Des idées rouges, bleues, jaunes, des idées de personnages, des idées d’arbres… Ça lui donnait un peu la migraine mais il avait une idée fixe, il la trouverait dans cette foule insensée, son idée de génie !

Une foule à la fête foraine
C’est une foule dense qui se déplace lentement. C’est une houle lourde qui flâne paresseusement. D'abord, il semble qu’elle se déplace d’un seul mouvement vers un même but mais quelques individus remontent le flux et créent un frémissement, un désordre vite résorbé. C’est une foule plutôt jeune, gourmande qui a le parfum de la barbe à papa, de la guimauve, des pommes d’amour et des premiers baisers. Quelques rebelles se détachent parfois du groupe attirés par une attraction aguicheuse. C’est une foule bruyante et colorée dont les rires et les éclats de voix se mêlent à la musique et aux bruits de la fête.

Une foule de choses
 Le lieu faisait penser à la caverne d’Ali Baba. Ce brocanteur avait accumulé au rez-de-chaussée de sa maison, une foule de choses. Disparates. Sans lien entre elles sinon qu’elles avaient dû susciter chez lui un intérêt singulier.  Pourtant l’ensemble réussissait à créer une ambiance envoutante, il s’en dégageait une harmonie, un étrange parfum suranné. Les poupées en porcelaine dans leur robe à froufrous, les brocs et bassines émaillés, les verres dépareillés mais charmants avec leurs gravures fines, les vieux miroirs au mercure, piquetés de tâches brunes comme une peau âgée, tout cela était disposé sur des tables, des consoles, des socles  et composaient de charmantes Natures Mortes Sur une minuscule chaise paillée un ours en peluche mité vous regardait d’un seul œil. Il y avait aussi des dentelles empilées, des cannes, des parapluies et, au milieu de ce fouillis, soudain, le regard était attiré par un grille-pain rouge flambant neuf, étincelant, insolite, qui faisait, par contraste, ressortir la beauté stupéfiante des objets qui l’entouraient.