jeudi 14 mai 2020

Foules sur le Vieux Port


2 Février 2010 (ou 11, ou12...) 5 heures du matin

Il fait nuit, il fait froid, la foule est compacte sur le Quai de la Fraternité. Femmes de tous ages en manteaux, écharpes, bonnets souvent. Hommes de tous ages, nombreux jeunes, chaudement vêtus, beaucoup en chasubles blanches sur leurs vêtements épais. Ils paraissent tous gros mais ils gardent un air digne. La plupart, hommes et femmes, portent une torche faite d'un cornet en papier blanc au bout d'un baton, avec à l'intérieur une grosse bougie dont la flamme vascille, ce qui éclaire le quai d'une lumière tremblante.
Tous guettent l'entrée d'un bateau dans le port, se massent au bord de l'eau pour mieux voir. Ils chantent des psaumes
Quand le batteau accoste, ils s'écartent pour laisser se positionner en tête de cortège la statue en bois de la vierge noire avec son enfant sur le bras. Elle est portée à l'épaule sur un plateau par quatre hommes, en bois sombre, revêtue de riches étoffes et coiffée d'ue couronne dorée. La foule appaudit Les prêtres assis à l'avant du bateau expliquent au micro le sens de cette fête. Le premier descend en présentant à la foule un livre saint richement orné, un autre le suit avec une grande croix de bois. C'est un peu la cohue et puis tout s'ordonne, les chants reprennent, la statue de la vierge noire s'ébranle en tête, suivi par le porteur du livre et celui de la croix puis de nombreux hommes et et jeunes garçons, tous en chasuble blanche.
Le prêtre continue à parler dans le micro, il clame la gloire de Dieu, chante des prières reprises par la foule. Le cortège se dirige vers l'abbaye St Victor, à quelques centaines de mètres de là, suivie par tout le peuple. Une femme chuchote à sa voisine: "Cette vierge, elle a échoué sur le port au XIIIème siècle, elle venait de terre sainte". Une autre:"elle portait une couronne d'or", et une troisième:" Ça fait deux siècles que les marseillais se réunissent là, le matin de la Chandeleur, avant le lever du jour.
Il est tôt, il fait froid, ils marchent, ils chantent, ils ont un but, un espoir.

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Dimanche 21 avril 2013, 15 heures

C'est dimanche, il fait beau, les marseillais se promènent, les touristes aussi. Il y a foule sur le Quai de la Fraternité. Tous sont venus admirer le nouvelle structure dressée là, l'ombrière, vaste miroir de 1000m² supportée par 8 piliers à 6 mètres du sol. Elle a été inaugurée il y a un mois et les gens s'y pressent .
Il y a les marseillais, toutes origines confondues, ils sont chez eux, ils sont fiers. Ils se promènent seuls ou en famille, jeunes, vieux, robes légères ou jeans moulants, pantalons de toile et canotiers. Il y a les touristes, on les reconnaît à leurs vêtements plus chics, à leur accent parisien ou leur langue étrangère, et surtout leurs appareils photos en bandoulière.
Tous ont la tête levée, renversée en arrière, il y aura des torticolis ce soir. C'est tellement drôle de se voir par dessous, dans ce miroir qui vous surplombe. Les enfants s'allongent par terre, font des concours de grimaces, se montrent du doigt : « Regarde, je suis là, là-haut, je suis là ». Et tous admirent le reflet de la mer, des bateaux qui ondulent au gré du vent léger dans le miroir.
C'est drôle, le quai est bien plus grand  mais il est presque vide.
Tous sont sous l'ombrière, tête levée, et dans la foule de plus en plus dense, poussent des cris de joie : « Là, là, c'est moi ! » Les portables se déchaînent pour immortaliser cette promenade dans un petit monde à l'envers.
Tous sont là, mêlés, fraternels presque, heureux de l'avoir, leur photo sous l'ombrière.

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 Jeudi 14 avril 2019, 10 heures

Sur le Vieux Port les nuages recouvrent en partie le soleil. C'est jour de semaine mais la foule arrive par petits groupes sur le Quai de la Fraternité. Des hommes, des femmes, ni très jeunes ni très vieux. Presque tous ont enfilé sur leurs vêtements une blouse blanche, ou au moins un tablier, parfois un calot, mais du blanc, du blanc, du blanc.
Ils portent des pancartes, des tas de pancartes, en tissus, en carton, en bois.
Une grande banderole se déploie sur toute la largeur de la Canebière, portée par huit hommes et femmes . Elle proclame en immenses lettres rouges sur fond blanc  NOTRE SANTÉ EN DANGER . Elle commence à remonter lentement la Canbière et derrière les manifestants se rangent, les pancartes se lèvent, porte paroles du monde des soignants

Grève des urgences

En grève pour l'hopital public

L'hopital c'est la galère

CGT FO CFDT Solidaires

Prenons soin des Soignants

Urgences cœur de l'Hopital

Hopital poumon du Territoire

Notre combat, votre Santé


Ils avancent en foule serrée. Des policiers sont postés aux carrefours, casques, boucliers parfois, très calmes, détendus. Des médecins, des aides soignants, des infirmiers, ça ne peut pas être bien violents.
Je suis sur le trottoir, j'essaie de tout lire. Mais qu'est-ce que je fais, plantée là sur le trottoir ? J'aperçois une collègue retraitée depuis longtemps, qui a placardé sur sa poitrine « Bd 100% Sécu »
Le cortège remonte la Canebière, le Quai de la Fraternité est vide, moi aussi je l'ai déserté.
Un an après, les gens seront à leurs fenêtres, tous les soirs à 20h en l'honneur des soignants, bien plus nombreux que sur le Vieux Port ce matin là. Trop tard ?