samedi 23 mai 2020

Rencontres

Une famille aisée, un père conseiller financier, une mère attachée culturelle, François a tout pour réussir, des études brillantes à Sciences Po lui promettent un bel avenir. Un appartement luxueux où il peut recevoir les copains pour des fêtes bien arrosées. Seule ombre au tableau, l’exigence, la performance, pas droit à l’erreur, des parents qui contrôlent études et fréquentations, peu importe les factures, ils assurent. Pas d’autres opinions possibles, pas d’autres vues sur le monde, le mot d’ordre, l’élite. François répond parfaitement à l’attente de papa et maman. Puis il fait des stages à l’autre bout du monde, l’Inde, l’Afrique… Chacun de ses séjours ébranlent ses certitudes, ouvrent des horizons inattendus. Il devient amer en famille. Les disputes éclatent, les portes claquent, un vocabulaire nouveau fait son apparition dans les conversations, économie solidaire, redistribution. On s’irrite, les ponts se coupent, on s’éloigne jusqu’à la décision fatale. Quitter le domicile familial , construire sa vie ailleurs vers le sud. Un matin de Décembre, François prépare son sac à dos, quelques affaires, ses papiers et se rend à la gare, à pieds, personne pour l’accompagner. Le voyage semble long, il s’en veut, se reprend, se dit qu’ils finiront par comprendre.

Adélaïde, après un parcours chaotique a décroché le concours d’entrée à l’école de danse de Marseille. Depuis son plus jeune âge, elle ne rêve que de danse, de corps de ballet. Elle a travaillé sa silhouette pour lui faire épouser la musique sans effort, comme une évidence.
La vie en ville n’a pas été très facile au début, elle a quitté son village. Le plus dur a été de laisser sa mère, elle lui doit tout à sa mère, elle l’a élevée seule, payé les cours grâce aux heures supplémentaires. Elle a toujours été là pour elle, dans les réussites comme dans les découragements. « Tu seras danseuse ma belle, tu iras au bout de tes rêves ».
Adélaïde se remémore cette phrase murmurée à son oreille le soir au coucher.
Cette fois, ça y est, elle est danseuse.

La Marinette est à la retraite. Elle a travaillé toute sa vie à la buvette de la gare. Elle adorait écouter les récits de voyage, servir en vitesse les retardataires, consoler les esseulés, renseigner les égarés. Elle aimait le bruit des trains, la voix dans le haut -parleur, la foule qui envahissait le hall. Elle rêvait à l’annonce des destinations. Elle avait l’impression de voir du pays pourtant, elle n’est jamais partie, pas le temps, pas l’argent.
Elle s’ennuie maintenant, alors, elle revient à la gare, observe les gens, engage la conversation. Elle retrouve l’ambiance de sa vie.

Elle était là depuis quelques heures quand une panne d’électricité arrête tout le traffic. Un affolement général sur les quais. Certains vocifèrent, d’autres courent, affolés. Les agents tentent de rassurer.
Marinette qui ne cède jamais à la panique, repère une demoiselle en larmes.
« Ce n’est pas grave ma petite, tout va repartir, c’est juste un incident. Allons, allons remettez- vous, où allez vous ?
« Je dois accompagner ma mère pour son entrée en maison de retraite, je vais arriver trop tard, c’est terrible, je ne peux pas lui faire ça, c’est une catastrophe. » 
« Venez approchez - vous du bar, écoutez ce jeune homme au piano, il va vous faire du bien »
François, arrivé en gare par le dernier TGV, joue une sarabande de Haendel. Adélaïde, consolée pour un moment, se met à danser. Les passagers en rade applaudissent mais dès la dernière note, elle s’effondre en sanglots.
François s’approche, Marinette raconte.
« Dans quelle ville vous rendez –vous ? »
« Sisteron, c’est d’une importance capitale, comprenez –vous ? »
« Je rêve de visiter Sisteron » s’exclame Marinette
« Pardon mademoiselle, ce n’est pas des choses à vous dire en ces circonstances »
« Attendez -moi un instant »
François ferme le piano, s’éclipse et revient quelques instants plus tard  en balançant des clefs au bout de ses longs doigts.
« Montez, je vous emmène, vous aussi madame. »
 Adélaïde, François et Marinette  ont accompagné Georgette à sa maison de retraite.
 Depuis, le troisième dimanche du mois ils boivent un verre au buffet de la gare, montent dans le TER et rendent visite à Georgette.