jeudi 13 juin 2019

Rêve 6- La petite fille

« Ohé »

Une petite fille courrait vers nous. Elle descendait la dune, cheveux blonds et boucles rondes, pieds nus dans une robe claire.

«Tu viens d’arriver ? »

« Oui, venez, je vous montre »

Nous avons remonté la dune ensemble. De l’autre côté courrait une rivière. L’eau claire nous invitait à nous baigner. Elle était calme et nous nous sommes penchés pour y regarder le reflet de nos visages. On y voyait aussi des silhouettes, un pont de pierre, et nous avons plongé. Quelques brasses suffirent à nous conduire de l’autre côté. Des badauds étaient là, une ambulance aussi et une voiture accidentée. La petite fille se retourna vers nous avec un doux sourire puis disparut. Deux hommes en blouse blanche étaient penchés sur un petit corps inerte, massant le cœur et tentant de le ranimer. Ils prirent délicatement l’enfant à la robe claire et l’emportèrent dans l’ambulance.

Je revins le lendemain près du puits. Il était là, il jouait. Il jouait avec une feuille d’alise et une petite fille que je reconnus aussitôt.

«  Tu es revenue ? »

« Oui . Mais toi, que fais-tu là ? »

«  Moi, je suis là pour apprendre »

Nous sommes allés tous les trois pour le pays de la connaissance et du savoir. Là, assis dans le sable et regardant la mer, nous écoutions.

Les cheveux de la petite fille étaient d’écume et ses yeux reflétaient les nuages. La mer rejetait des larmes et des cantiques s’élevaient vers le ciel.

«  C’est beau » dit-elle. « Ça les rassure. Ils sont dans l’église, maintenant. »

Je voulais comprendre : « Mais que font-ils ? »

«  Ils prient. Les adultes ont inventé Dieu pour les rassurer et les consoler. Ils sont très malheureux, tu sais. Alors ils prient, parlent au Dieu, puis ils vont un peu mieux. »

mardi 14 mai 2019

Soir de tristesse

Reconstruire,  avec douleur, et désespoir. Comment?
Devenir indolore.  Comment?
Trouver le sommeil, la quiétude, quand la vie n’apporte que cauchemars. Comment?
Me reste-t-il encore un peu de sève, massacrée par tant de coups de hache ?
Massacre inutile, âmes déchiquetées, gâchis.
Repartir. « Tu seras un homme, mon fils ».
Tu seras une femme et tu reconstruiras.
Femmes oubliées, mères, filles, sacrifiées, œuvrant et souffrant dans l’ombre.
Hommes solaires, visibles, exposés, à qui tout incombe.
Nous serons deux et nous reconstruirons.
Je repartirai car j’ai la force des femmes qui portent la vie, la protègent et la sacralisent.
Ecrire, écrire pour faire le point, ordonner les pensées, apaiser, libérer.
Et ces larmes qui coulent, cette gorge serrée, cette profonde tristesse.

vendredi 10 mai 2019

Instructions pour faire son lit

Faire son lit n'est pas une tâche ménagère comme les autres.
Si le proverbe "Comme on fait son lit, on se couche" paraît désuet, il n'en est pas moins on ne peut plus vrai.

D'abord aérer le lit. Inutile de le faire tout de suite, il faut laisser les humeurs, les cauchemars, les miasmes s'évaporer doucement.
Ne changez la literie qu'en cas de nécessité absolue. C'est quand elle est un peu sale, qu'elle est la plus souple, la plus odorante, la plus familière.
Ceci étant, tirez bien le drap de dessous, il ne doit y avoir aucun pli puis rabattez drap et couverture ou couette selon les goûts.
Bien tapoter l'oreiller, jetez- le un peu en l'air, rattrapez-le, malaxez-le, jouez avec lui. C'est un compagnon de nuit. C'est à lui que vous confiez vos rêves, vos soucis, vos fantasmes.
Si faire votre lit vous a donné sommeil, c'est que vous avez réussi l'opération

mercredi 8 mai 2019

Une photo de famille

Tu vois là?
C'est lui.
Il ne pouvait plus la supporter. Jamais contente. Il travaillait trop, ne gagnait pas assez d'argent, n'était pas assez ceci, trop cela... Un matin, il venait ,comme chaque jour, de lui apporter son petit déjeuner au lit, elle lui a dit avec dédain que le café était froid.
Il n'a pas répondu, a jeté quelques affaires dans un sac de toile et a claqué la porte derrière lui. Pendant vingt ans on n'a eu aucune nouvelle de lui et puis une lettre est arrivée d'un homme qui l'avait connu. Il ne savait pas où papa était maintenant, il avait trouvé notre adresse sur une enveloppe qu'il avait certainement préparée pour nous écrire mais ne l'avait jamais fait. Il nous a envoyé cette photo qui fait froid dans le dos. La lettre disait que c'était un homme terriblement malheureux. Regarde. Il vivait dans une pauvreté extrême. Il était devenu une sorte de Diogène dans une contrée sauvage de la Mongolie, la civilisation n'est pas loin mais on peut l'ignorer, elle vous fiche la paix.
Papa avait pour seul ami un goret qui s'appelait Irma ...Comme maman, c'est étrange.Un goret pour un peu de chaleur animale, un tronc d'arbre pour maison, un sac de jute pour vêtement. Ses yeux sont levés vers le ciel, ses mains sont jointes mais il ne prie pas. Il insulte le monde, la vie, le ciel, la terre et notre mère. Il est assis en boule, recroquevillé sur une colère et une déception qui ne le quitteront jamais.

mardi 7 mai 2019

La boite aux sept objets

Nous savions tous que notre grand-père avait été épris d’une femme, avant de rencontrer celle qui devint notre grand-mère. Cette femme était mystérieuse ; il n’en parlait jamais. De temps à autre une bribe de phrase, une allusion, un souvenir, évoquait furtivement cette liaison passée. Nous ne posions pas de question car savions instinctivement qu’elle eut été vaine. Des femmes, au cours de ses voyages lorsqu’il était marin, il avait dû en rencontrer aux quatre coins du globe, le supposions nous. Cela ne nous intéressait guère, en fait. C’était sa vie d’avant, d’avant notre famille, et par pudeur autant que par respect pour notre grand-mère, nous préférions ne rien savoir sur le sujet.

Quelques jours avant sa mort, je lui tenais compagnie en terminant ma lecture à haute voix de la Recherche du temps perdu. Après les derniers mots du Temps retrouvé, grand-père se mit à me raconter.

C’était une Geisha. Elle s’asseyait toujours sur un petit coussin d’or pour animer la cérémonie du thé. Elle faisait elle-même chauffer l’eau dans une sorte de casserole en fonte, toujours la même. Après la cérémonie, elle prenait son éventail qu’elle agitait avec grâce. Sa coiffure était joliment structurée et ornée de peignes d’écaille qu’elle rangeait dans une boite de bois précieux.

En prononçant ces mots, il prit la boite qui était posée près de lui et que je n’avais pas remarquée. Il l’ouvrit devant moi en poursuivant son récit.

Avec les peignes, elle avait disposé dans la boite une longue mèche de ses cheveux d’un noir profond, qu’elle avait dû couper avant l’opération. Elle savait qu’elle ne pourrait plus officier comme Geisha. L’œil de verre qu’elle devrait désormais porter lui ôtant la douceur de son regard et risquant de gêner celui des invités.

Tout était là, dans la boîte en chêne rouge, posé sur un coussin d’or : l’éventail de soie, la petite casserole, la mèche de cheveux, un peigne d’écaille,  et l’œil de verre. Ces vestiges d’un temps perdu, témoins d’un funeste destin, présentés à mes yeux comme pour rendre plus crédible le récit de mon grand-père, eurent pu m’enchanter, me faire voyager et rêver, s’il n’y eut l’œil de verre, qui du fond de la tombe de la Geisha, regardait mon grand-père.

Il mourut quelques jours plus tard et j’enterrai la boite et son contenu bien au fond du jardin. Je protégeais sa paix et celle de ma grand-mère en gardant le secret tout au fond de mon âme. 



dimanche 10 mars 2019

Des vies en une phrase

Joana K. aimait le vélo mais pédalait dans la semoule, elle tourna en rond toute sa vie jusqu’à ce qu’elle se noie à la suite d’une tempête dans un verre d’eau.

Björn F. perdit un bijou, prit un avion et rencontra un Brésilien, c’est tout.

Aurèle M., fils de boulanger, distribuait des pains à la récré, des marrons à la sortie du lycée, des tatanes à la fac, puis se prit un parpaing en pleine poire et finit à bouffer des pissenlits par la racine.

Laetitia A. avait un écrou carré, Joël B. une mare avec un lézard ; ça n’avait aucun sens, ça n’en a toujours pas aujourd’hui, mais ça rend la Faucheuse suffisamment perplexe pour qu’elle les laisse tranquille.

Autobiographie

Tout ce qui suit est subjectivement scientifique. Ça ne veut rien dire, mais c’est comme ça.

Il ne se souvient pas de quand ça a commencé, mais il sait que ça a duré un certain temps, trop longtemps peut-être. Il sait en revanche comment ça a fini. Par l’improbable, le hasard du chaos des soubresauts des gens, en un lieu et un temps.

Il est un longtemps, même en essayant, malgré les six. Puis ils sont deux, un temps, puis quatre en même temps, avant de partir.

Il part beaucoup. Il suit d’abord, sans voix au chapitre, et puis quand c’est à son tour il continue, parce que c’est comme ça que ça se passe. Il atterrit un jour, saute et repart, un peu, puis revient. Y reste-t-il ? On ne sait.

Les coups d’épée dans l’eau sont nombreux. Les loupés, les ratés, les actes manqués. Les échecs patentés. Les fausses victoires. Les chausse-trappes aussi, une en particulier. Et puis, Excalibur, l’anneau des Nibelungen, au coin de la rue.

Pendant ce temps, il se remplit la jarre. Il filtre, écume, distille et décante toutes les essences qu’il peut trouver, les organise, les range, les ordonne, bâtit sa maison avec, pierre par pierre, avec des fondations solides, cent fois reprises, cent fois démolies et reconstruites, et puis des murs hauts percés de grandes fenêtres, une charpente robuste, un toit non pas étanche mais insensible aux attaques. Il laisse en revanche la porte grande ouverte, aux quatre vents, à tout ce qui peut oser en passer le seuil. Il accueille, il teste, il détruit ou accepte, jette au feu ou accroche au mur, et puis il sème, sème, à tous ces vents qui font vibrer la maison. Il est loin d’avoir fini. Il commence à peine.

Faits divers

Les jours rallongent (du moins chez nous ; ailleurs ils raccourcissent, car rien ne se perd) ; conséquence du printemps ou non, les cafards se sont organisés en syndicat et réclament la semaines de quarante heures ; le chef du gouvernement est en vacances, il reviendra en juin, a promis son suppléant, « frais et prêt à repartir sur de bonnes bases » a-t-il dit ; ce matin, un autobus s’est pris un éléphant boulevard Clémenceau : un mort, l’autobus, sa femme est inconsolable ; les piverts chantent faux, s’est indigné le chef de l’opéra — un coup des Russes ? — ; la maison de Mogène a présenté sa nouvelle ligne de gabardines en dentelle de cygne au chocolat blanc — un délice pour les yeux comme pour le reste ; la fusée chinoise « Cheval doré » s’est posée sur Mercure, où elle a été très bien accueillie ; l’eau de la Seine fait des ondelettes, celle de la Loire des vaguelettes, le Rhône est aux abonnés absents ; le général Agar-Agar réclame plus de moyens pour ses panzers hurleurs, car dit-il : « la menace est proche » ; aux dernières nouvelles, la menace serait pourtant aux Seychelles en train de faire de la planche à voile ; interviewée par Paris Matin&Soir, la conjoncture se dit surmenée, et projette d’injecter des interjections dans sa jactance : interrogé sur la signification de ces propos, Bernard Pivot a préféré se jeter du Pont Mirabeau ; on l’a repêché au Pont-Neuf tout fripé mais bien noyé ; la Lune est en pleine phase dépressive, mais la météo annonce qu’elle ne fera pas de quartier en ce qui concerne les croissants ; en revanche, pas de nouvelles des unes de journaux, ils semblent qu’elle aient pris le perlimpinpin pour de l’escampette et filé des bobines aux Anglaises ; si vous voulez mon avis, on est encore bon pour un incident diplomatique avec Albion ; mais trêve de perfidie, c’était les infos du jour saint, rendez-vous ce soir pour le pieux.

Histoires courtes

Elle a emporté son secret dans la tombe. Fort heureusement, Carole a apporté un pied de biche. Hors de question que la vieille dinde ait le dernier mot.

On venait de baptiser le bébé. On pensait que ça suffirait. Et puis on a vu les bosses sur le front, les canines qui sont sorties en premier, le reflet rouge des iris, et on a compris qu’on avait sous-estimé le grand-père.

Sur l'autoroute

15 juin. Passé trois heures à poireauter dans les bouchons. Je hais Paris. Joué à la belote avec mes voisins d’infortune, des Néerlandais en vacances, en sirotant le pastis sympathiquement offert par le routier roumain de la voie d’à côté.

17 juin. Pris le petit-déjeuner sur l’aire de Sarlat. Café étonnamment bon. Acheté un sandwich au canard pour midi. La Clio tient la route.

17 juin, soir. Arrêt dodo quelque part dans les Cévennes. On a été que deux sur la route toute la journée, moi et une Polo rouge. Elle s’est aussi arrêtée pour dormir.

18 juin. Passé Montpellier. Il fait chaud et la clim ne marche pas. Mis Limp Bizkit en boucle pour égayer la route. La Polo est toujours là. Je me demande si elle n’était pas déjà la à Paris.

19 juin. J’enchaîne Nîmes, Arles, Marseille et Toulon. On voit la mer depuis la route. C’est beau. La Polo est partie. Elle a dû sortir à Aix, je crois. Bientôt en Italie.

21 juin, coupure de presse. Accident tragique, une voiture a fait une sortie de route entre Nice et Menton, est allée s’écraser en bas de la falaise. Le conducteur est décédé, pas d’autre blessé à signaler. On  ne connaît pour le moment pas les causes de l’accident. La police a cependant lancé un appel à témoin à propos d’une Polo rouge qui se serait trouvée sur les lieux au moment de l’accident.

Conjonctions de coordination

Mais
Homère aimait les mets de sa mère, mais les jumelles, jamais. Sa mère mettait les jumelles au coin, mais les jumelles pleuraient. Elles ne se calmaient qu’avec les mets de Maisy, mais la mère d’Homère refusait d’admettre que les mets de Maisy mettent ainsi le pied dans sa maison.

Car
Pourquoi l’autocar est-il en retard ? Car Oscar — le cariste — a un rencard avec un chauffard. Quel chauffard ? Un avare qui était en pétard, car une otarie un peu loubard lui a chapardé son Renoir. Quel hasard ! Car vois-tu, pas plus tard qu’hier soir, un lascar en costard qui s’attardait au comptoir du bar « La mare aux canards » a apparemment harponné un cartel de marauds qui barbouillaient des Renoir. Balthazar, mon ami, en voilà une histoire ! Prenons gare et barrons-nous dare-dare, car dans le quartier tôt ou tard, il va y avoir du bazar !

Vies

Au commencement était l’énergie,
Et donc je fus énergie moi aussi.
Protons puis atomes, naquit la matière,
Je fus hydrogène, gaz interstellaire.
Condensation, pression, fusion, étoile !
Je fus poussière sur un monde infernal ;
Puis lave, puis roche, soupe primordiale,
Molécules vivantes, microbe, cellule,
Algue, mousse, arbre ; cafard, lézard, singe,
Humain enfin. Et après, que serais-je ?

Scène en 4 parties

L’air est chaud, moite. Lourd de l’été qui stagne et des gaz d’échappement de tous les véhicules qui filent sur le pont. On ne s’entend plus penser, entre le grondement des moteurs et les crissements des trains en contrebas, qui entrent en gare, entrent en gare, entrent en gare. Il n’y a que deux couleurs, le bleu presque noir de la nuit, et l’orange sale des lampadaires. Sur le parapet, une petite tache rose pâle, une femme en jupe salopette, qui regarde les trains. On ne voit qu’elle d’abord, Vénus solitaire, puis on devine, dans l’ombre à côté, un Mars enténébré, bras croisés, accoudé au garde-fou.
Ils ne se connaissent pas, ou plutôt ils ne se connaissaient pas il y a une heure. Lui passait par là, rentrait chez lui quand il l’a vue assise là. Il n’a pu s’empêcher de lui parler. De s’arrêter. Ils ont discuté — non, elle n’avait aucune intention de sauter, elle voulait juste regarder les trains passer. Et lui a trouvé ça bizarrement charmant, curieusement épatant, cette fille perchée aux quatre vents. Alors il est resté.
Il est discret, elle en a presque oublié qu’il est là, à côté d’elle. Elle hume l’air de la ville, se baigne dans ses sons, s’abandonne à son souffle. Elle déserte le monde, s’envole hors d’elle-même, ailleurs, tandis que lui plonge en lui-même, en-dedans. Qu’est-ce qu’il fait là — pas ici, sur ce pont, mais dans cette ville, dans cette vie ? Comment en est-il arrivé là ? Poser la question, c’est comme s’enfoncer dans un océan noir dont il ignorait l’existence, se faire emporter par ses courants. C’est grisant, de gratter ces recoins cachés pour les libérer de leur rouille, d’ouvrir enfin les yeux sur ce qui a toujours été là, devant soi, qu’on refusait simplement de voir. Il se rend soudain compte qu’il respire, à pleins poumons, l’air pourtant pollué qui les environne. Il se sent vivant, comme jamais. Comme elle.
LUI : Pas mal.
ELLE, surprise : Quoi ?
LUI : Ça, ce coin.
ELLE, souriante : Oui, je sais.
Elle inspire longuement, puis expire bruyamment.
ELLE : Ah ! Je me prendrais bien une pizza !
Elle saute du parapet, se redresse comme une trapéziste qui atterrit de son numéro de voltige, et se met en route à grands pas. Elle s’arrête après quelques mètres, se retourne.
ELLE : Tu viens ?
Il sourit. Se détache de la balustrade, la regarde. Et lui emboîte le pas.

Textes à mots

C’était Noël, la période des marrons et des marshmallows qui fondent dans le chocolat chaud. Mais dans le no man’s land, rien de tout ça. Perchés sur les branches mortes d’ormes et d’orangers déplumés par les gaz, des oiseaux obèses contemplent les os de petits gars de Melbourne ou du Michigan, soigneusement nettoyés par leur soin. Pas d’étoiles Michelin pour ce restaurant à piafs, qui profitent des largesses de la Mère Patrie, des flots que lèvent ses muses armées de tambours battants. Pour qui ? Pour quoi ? Mystère.

La Mère Patrie ? Pour certains, c’est Melbourne, pour d’autres c’est le Michigan. Pour ma petite nièce confite de marshmallows, c’est probablement Noël. Noël et son déluge de sucreries, de victuailles splendides qu’on ronge à l’os, de biscuits à la cannelle, au cacao, à la vanille et à la fleur d’oranger, de marrons glacés. Un no man’s land de la nutrition, vraiment, à faire tomber toutes les étoiles d’un guide Michelin. La petite muse du glucose et du gras avale tout, et pourtant reste fine comme un roseau. Comment ? C’est un mystère. Ses nounous à l’appétit d’oiseau ne se l’expliquent pas, elles qui à force de voir défiler les plats en sont devenues obèses. Voilà bien un sujet pour la Nouvelle Revue Française.

La maison des morts

Elle lui apparaît alors qu’il sort de la forêt. Sur sa droite, à moitié cachée par un bosquet d’aubépines déplumées, qui brandissent leurs épines comme un fauve montre ses crocs. Elle le surprend : elle n’est pas sur sa carte, son guide n’en fait aucune mention. Elle n’est pas neuve pourtant, loin s’en faut : les joubarbes, les fougères et le lierre ont largement colonisé le chaume de son toit. Elle n’est pas abandonnée non plus, ceci dit. Les murs sont solides, le torchis date de l’été. Mais aucune fumée ne monte de la cheminée. Qui peut se passer d’un feu alors que le gel mord la campagne, que la neige ensevelit les champs ?
Il y a deux paysans devant la grande hutte. Ils se tiennent debout, à distance. L’homme a posé sa faux par terre, et enserre sa femme, dont la tête est voilée de blanc. Ils ont les yeux baissés. Est-ce un lieu de culte ? Derrière eux, une potence se dresse, comme un bras nu. Elle porte une corde. Vide.
Des croassements le surprennent soudain. Un pigeonnier s’ouvre dans le toit de la bâtisse, qui est bien plus grande qu’il ne le pensait. En lieu et place des ramiers, des corbeaux tiennent la place. Étrange. Il sait bien que les gens du nord se servent des plumes noires pour porter message, mais on est ici en terre sudiste, bien loin des forêts sans lumière et des hivers sans jour. Les corbeaux le regardent, plus nombreux qu’il y a une minute lui semble-t-il. Et, remarque-t-il tout à coup, certains sont blancs.
Les paysans ont disparu. Ils ont profité de la distraction pour filer. Il consulte le ciel. Bien difficile de deviner l’heure sous ce gris. Il doit certainement se faire tard, il est temps qu’il arrive à la ville, qu’il se restaure et trouve une chambre pour la nuit. La mystérieuse demeure peut attendre. Il trouvera bien quelqu’un au village pour l’éclairer.

Temps mort

La lumière orange descend comme une brume, comme l’écume qui joue les filles de l’air, vole, s’élance et s’écrase avec fracas lorsque son rêve se brise. Et sans relâche l’eau repart, esclave consentante du vent qui la jette sur les pierres. La muraille se dresse sous le noir sans Lune et sans étoiles, frontière entre terre et mer, là où il est assis. Les gouttes tombent juste un peu trop court, ne parviennent jamais jusqu’à lui ; leur élan s’arrête à ses pieds. Adossé à la roche, visage fouetté par la tempête, traits cassés par ce qui coule du lampadaire, il joue au maître des vagues. À gauche, elles coupent le chemin, battent la falaise, sûres de leur force, sûres qu’un jour elle cédera. À droite, le mur, la porte, le seuil du retour à la cité. Il est entre deux, entre la pierre et l’eau, entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort, dans une poche des limbes ; il n’est nulle part ; il est ailleurs.

Jeux

Jouer
à saler la mimolette ;
à virer la bobinette ;
à la calculette pékinoise ;
à la marelle aux cent toises ;
à la caravelle des Sétoises ;
à marcher sur la tête.
Jouer
au dindon décapité ;
au saumon inopiné ;
à servir la cuillère en argent ;
à courir la gigue du sergent ;
à finir la soupière du régent ;
au croûton tout mité.
Jouer
au ronflard, à la riguette,
à embrouffer le lard aux crevettes,
à la Saint Douard, au pastaglète,
à piquer les écharpes des coquettes,
au grivart, à la sauvette,
à laisser le canard faire la fête.

Finir la soupière du régent
Jeu médiéval, joué par les écuyers et les personnes de bas rang lors des repas, qui consiste à voler des morceaux aux chevaliers et aux seigneurs.
À chaque tour, le gagnant du tour précédent — le régent — lance un défi aux autres — les vassaux— qui répondent avec leurs propres idées, le but étant de proposer un défi plus difficile que celui qui vient d’être réalisé. Cette phase de marchandage se termine quand le régent et les joueurs tombent d’accord sur un défi, et qu’un ou plusieurs vassaux le relèvent. Le premier à réussir le défi devient alors régent. Le jeu se termine avec le repas, le gagnant est le dernier régent.
Les morceaux volés sont à chaque fois répartis entre les joueurs, le régent prenant la plus grande part et distribuant le reste à sa guise. Ce jeu permet d’améliorer le repas des personnes les plus mal placées à table, notamment lors des banquets. Le risque est bien évidemment de se faire prendre, et de finir au cachot pour chapardage, bien qu’en général, les victimes ayant elles-mêmes joué à ce jeu étant plus jeunes, les voleurs s’en tirent avec une simple rouste. On rapporte cependant que le roi Laudun, s’étant fait piquer une cuisse de faisan aux morilles lors du tournoi de printemps, fit pendre le voleur, qui n’était autre que le puîné du Comte d’Auxois. Cette décision fut d’ailleurs un des éléments déclencheurs de la Guerre des Trois Rivières.

Définitions

Riguenette : n.f. Surnom quasi officiel donné au canon de plus gros calibre faisant partie de l’équipement réglementaire de l’armée suisse.
Tchuffer : v.tr. À ski, dépasser quelqu'un en lui faisant un salut ironique de la main, pour souligner sa lenteur et/ou son manque de technique.
Taillé aux grebons : n.m. Plat typique de la cuisine vaudoise, consistant en une fondu au fromage dont les croûtons sont remplacés par des morceaux de lard frits (les grebons).
À dzo : loc.adv. Dehors, en particulier dans l’expression « envoyer à dzo » qui signifie « mettre quelqu’un à la porte ».
Imperdable :
n.f. ou m. Se dit d’une personne qui s’accroche à une autre, en particulier en parlant d’une relation sentimentale.

J'aime/J'aime pas

Liste
J’aime l’agneau, le poulet, le bœuf, le poisson, le poulpe, les crevettes, les bulots, les saint-jacques, les grenouilles mais pas le bénitier ;
J’aime les pommes, les poires, le raisin, les oranges, les noix, les prunes, l’ananas, les kumquats et même les nèfles ;
J’aime les carottes, les patates, les poireaux, les navets bref toute la potée, mais pas le céleri, les brocolis, les salsifis et tutti quanti ;
J’aime le ragoût, le rôti, la fricassée, la friture, le velouté, les salades, le barbecue, le mijoté, le braisé, les papillotes, le tartare car oui, même cru j’aime ça ;
J’aime le pain, tous les pains, et les galettes noires ou blanches, au beurre, les sablés, la frangipane et la crème chiboust, le Paris-Brest, la Forêt-Noire, le gâteau nantais et puis les îles flottantes, l’apple pie, le crumble, le tiramisu et, majesté des majestés : la tarte au citron meringuée !

Pommes de terre et céleri
J’aime les pommes de terre, patates ou pataches de mon grand-père, et ce sous toutes leurs formes : en purée ou cuite à l’eau, vapeur ou sautées, frites, noisettes, dauphines, duchesses, elles sont reines. Et que dire des gratins, des tartes, de la foccacia di patate, la tartiflette, la poutine de Montréal ?
Par contre, je hais le céleri. L’amertume indépassable des branches bouillies que même un aller-retour à la poêle dans le beurre ne parvient à sauver. Encore pire, le céleri-boule, râpé pour passer incognito, morceaux de vermisseau blanchâtres qu’un commis sans âme a sciemment noyés dans un seau de rémoulade gluante, servis, à la louche dans une éclaboussure qui rappelle un cadavre jeté au marais, la dépouille assassinée du goût perdu corps et biens dans les méandres de la cantine du collège.

lundi 21 janvier 2019

Le réveil de Lilou


Lilou aux yeux de jade, couleur de son pull en mohair, et le regard de même matière, tout doux, me raconte son réveil.

Maintenant qu’elle est à la retraite, elle a du temps. Elle a le temps de se réveiller, lentement, en deux temps me dit-elle, chaque jour.

Elle ouvre à peine les yeux, va faire un café, s’en sert une tasse les yeux toujours mi-clos, et retourne dans son lit pour la boire, lentement, les yeux fermés. Elle raconte cela et ses yeux sont plissés, ses petites mains mimant la préhension de la tasse, toute petite devant sa bouche. Elle s’en délecte en écoutant la radio, toujours la même émission scientifique sur France Inter. Lorsque l’émission s’arrête, elle se lève.

C’est le deuxième temps du lever. Celui-ci est plus énergique.
Elle ouvre les volets, respire profondément l’air par la fenêtre ouverte. Elle aime ce moment. En disant cela, elle écarte les mains et son regard s’illumine.
Puis elle va déjeuner, pour de bon, et appelle sa maman. Il est huit heures.

Lilou s’éveille telle une rose, qui déploie lentement ses pétales de velours, et éclos finalement.