dimanche 10 mars 2019

La maison des morts

Elle lui apparaît alors qu’il sort de la forêt. Sur sa droite, à moitié cachée par un bosquet d’aubépines déplumées, qui brandissent leurs épines comme un fauve montre ses crocs. Elle le surprend : elle n’est pas sur sa carte, son guide n’en fait aucune mention. Elle n’est pas neuve pourtant, loin s’en faut : les joubarbes, les fougères et le lierre ont largement colonisé le chaume de son toit. Elle n’est pas abandonnée non plus, ceci dit. Les murs sont solides, le torchis date de l’été. Mais aucune fumée ne monte de la cheminée. Qui peut se passer d’un feu alors que le gel mord la campagne, que la neige ensevelit les champs ?
Il y a deux paysans devant la grande hutte. Ils se tiennent debout, à distance. L’homme a posé sa faux par terre, et enserre sa femme, dont la tête est voilée de blanc. Ils ont les yeux baissés. Est-ce un lieu de culte ? Derrière eux, une potence se dresse, comme un bras nu. Elle porte une corde. Vide.
Des croassements le surprennent soudain. Un pigeonnier s’ouvre dans le toit de la bâtisse, qui est bien plus grande qu’il ne le pensait. En lieu et place des ramiers, des corbeaux tiennent la place. Étrange. Il sait bien que les gens du nord se servent des plumes noires pour porter message, mais on est ici en terre sudiste, bien loin des forêts sans lumière et des hivers sans jour. Les corbeaux le regardent, plus nombreux qu’il y a une minute lui semble-t-il. Et, remarque-t-il tout à coup, certains sont blancs.
Les paysans ont disparu. Ils ont profité de la distraction pour filer. Il consulte le ciel. Bien difficile de deviner l’heure sous ce gris. Il doit certainement se faire tard, il est temps qu’il arrive à la ville, qu’il se restaure et trouve une chambre pour la nuit. La mystérieuse demeure peut attendre. Il trouvera bien quelqu’un au village pour l’éclairer.