jeudi 21 mai 2020

Le trousseau de clefs

Ils ont signé.
Ils ont les clefs. Des clefs au nombre de huit sur un anneau métallique. Ils en rêvaient depuis longtemps de cette vieille bâtisse à l’orée du bois. Elle était abandonnée depuis des années, les propriétaires étaient partis une nuit, on n’a jamais su pourquoi.
La plus grosse des clefs, rouillée, tourne difficilement dans la serrure du grand portail. Il grince. Il faut s’y prendre à deux mains pour qu’un battant cède enfin. Impossible d’entrer en voiture, l’herbe est trop haute, des couleuvres ont investi les lieux, elles ondulent sur la grande allée.
La porte monumentale, en bois sculptée, résiste aussi. Ils essaient tout le trousseau. Nouvelle tentative, nouvel échec. Il observe la serrure, le dessin des dents, la 6 semble correspondre, il l’enfile bien droit, bascule d’un coup sec. La porte dévoile alors un large escalier de marbre, une rampe cirée, un pommeau de verre où se reflètent les portraits des anciens occupants. Ils sont encore là, il les sent.
Elle passe devant, monte à l’étage. Des portes toutes semblables, le long d’un immense couloir, les pièces doivent être vastes. Elle pourra faire ses chambres d’hôtes. Il hésite, faut voir.
Serrures et clefs sont bien numérotées. Rassurant.
Mais les entrées ne se présentent pas dans le bon ordre.
Elle ouvre la première porte avec la clef numéro 2. Elle se retrouve dans un nuage de poussière, un oiseau s’échappe par la fenêtre restée ouverte, des plumes, des fientes sur le plancher, un vieux rideau vole…Exactement ce qu’elle imaginait.
Elle pousse délicatement celle d’à côté, la clef numéro 5 n’a pas posé de problème… Un lit recouvert de satin. Les perles d’un collier brillent sur le sol. Une robe de taffetas rose. Une chaussure, plutôt un chausson.
La clef numéro 3 ne correspond à rien, n’ouvre rien, on verra plus tard.
Derrière la porte numéro 7, un costume bien repassé, une chemise au col amidonné, un nœud papillon, des souliers vernis et pourtant une odeur de moisi, un miroir qui renvoie leurs visages, pâles, très pâles.
Ils referment, ne parlent pas, avancent tout droit. Une jolie clef portant le numéro 1, décorée, dorée permet d’accéder à une immense pièce avec balcon. Un lit à baldaquin, un bouquet fané sur un guéridon. Malgré les toiles d’araignée tout est bien rangé, soigné. Le lit est défait avec délicatesse. Une promesse.
Ils s’embrassent.
Ils descendent l’escalier en colimaçon, reste la cave pour la clef numéro 8, peut-être des grands crus. Ils rient.
La vieille porte délabrée peine à livrer son secret. Des rats ,une malle puante, une odeur de sang. Ils frissonnent.
Au centre, sur une table ronde, une boite, une serrure attend la numéro 3. Le couvercle s’ouvre, une danseuse tourne sur une valse de Chopin. Elle porte une robe de taffetas rose.

Dans le jardin, un écriteau :
« Maison à vendre, vous pouvez visiter, les clefs sont sous le pot devant l’entrée »