mercredi 25 mars 2020

Petites filatures :

J’ai toujours aimé les terrasses de café. Pas pour la saveur de l’arabica mais pour observer mes congénères. Depuis peu, je suis passée à un état de curiosité supérieur, je les suis.
Dans un premier temps, j’occupe ma place habituelle au café des confluences non loin de mon domicile, je savoure mon expresso allongé et repère ma proie du jour. Je remarque un homme élégant qui se tient au bar, il a l’air pressé, avale le contenu de sa tasse d’une traite, dépose ses pièces, n’attend pas la monnaie, il doit avoir de bons revenus ; rasé de près, un long manteau noir sortie d’une boutique de luxe, une écharpe rouge pure mohair met en valeur une chevelure argentée malgré son âge pas très avancé. Je lui laisse un peu de distance, pas trop, il a le pas alerte et je vais le perdre de vue. Malgré l’absence d’attaché case on pourrait le penser homme d’affaire, genre gérant de grande société ou banquier. Il longe le quai, ne regarde rien, il file droit devant lui. Etonnant, il quitte le quartier animé, emprunte des ruelles désertes. Nous arrivons dans un square, pas d’enfants en cette heure matinale. Il choisit un banc, tire un livre de sa poche, il fait semblant, il ne lit pas, il a peut-être besoin de lunettes et ne veut pas nuire à son élégance. Je me tiens tapie derrière un arbre et stupeur ! Il sort de l’intérieur du manteau un sac en plastique. Il jette des feuilles de salade, des grains de riz en appelant : « Caroline, caroline… » Et voilà que s’approche, une oie, un peu méfiante elle avance en dandinant, picore. Il lui sourit, une larme coule de ses yeux gris.
Je rebrousse chemin en me demandant qui est Caroline.

Le lendemain , je choisis une femme, la coiffure en vrac, jolie malgré tout. Elle avale un chocolat fumant, elle semble avoir besoin de se réchauffer l’âme. Elle s’absente un moment, aux toilettes sans doute, elle revient maquillée, lèvres rouges, cils peignés. Elle a remis de l’ordre dans ses cheveux noirs. Elle mets son sac doré en bandoulière, se lève. Elle est immense, perchée sur des talons hauts, sa poitrine déborde d’un chemisier rouge, on aperçoit des dessous en dentelles bordeaux ; Elle part d’un pas fatigué, la nuit a dû être longue. Je l’imagine dans un costume de plumes, elle a de belles longues jambes musclées. Je la suis de loin, je ne veux pas déranger ce début de sommeil qu’elle ne peut dissimuler. J’emprunte derrière elle les rues sombres malgré le soleil. Elle s’arrête devant un immeuble à la façade décrépie, odeur d’urine, des préservatifs jetés ça et là. Un homme ivre l’interpelle, elle ne répond pas.. Elle pousse la lourde porte, elle doit monter le grand secalier, elle va dormir pendant que les autres s’activent. Pas vraiment danseuse.

Depuis plusieurs jours, je suis intriguée par une gamine, on peut dire ça, une ado plutôt. Rousse bouclée, des taches de rousseur pointillent ses joues, des yeux verts cerclés par des lunettes bleues. Son regard balaie la terrasse, elle ne s’arrête pas, elle n’a pas l’argent pour un café, elle n’est pas triste pour autant, au contraire, elle a quelque chose d’enjoué, de pétillant. Elle a toujours l’air enchanté. Salopette bordeau, chemisier vert, baskets au bout de jambes frêles, les manches du gilet trop long cachent ses mains. Elle a un petit air malicieux, parfois un casque de moto sous le bras ce qui me fait dire qu’elle n’habite pas là.
Je me décide à lui emboîter le pas, elle sautille, elle chantonne, qu’est-ce qui la met de si bonne humeur ? Un rendez –vous amoureux ? pas du tout. Après une longue périgrination, elle arrive devant un garage, sur le rideau de fer, un écriteau, je ne pourrai pas le lire , elle va ouvrir, en effet, elle sort une lourde clef de son sac en tissu et lève la grille. Je ne saurai jamais, je m’apprêtais à rebrousser chemin quand j’entendis un sifflement, un de ces sifflets que je ne suis jamais arrivé à faire. Je me retourne, elle m’invite :  «Entrez, des écriteaux, il y en a partout à l’intérieur, tous les mêmes » J’entrai, des couleurs , des objets, des marionnettes, des fils, des terres bref un monde de rêves et partout ces mots : « atelier du sert à rien, c’est la liberté, essayez…  
-«ça mérite bien un petit café »