mercredi 5 novembre 2014

La meilleure amie d'Adrien

Je me souviens...
Je me souviens d'Adrien,
je me souviens de notre première rencontre, et du temps béni où nous étions ensemble tous les jours, je me souviens de toutes les heures passées ensemble, de tout ce bonheur partagé... que tout cela est doux, que tout cela est resté beau dans mes souvenirs.
La première fois que je l'ai vu... quelle émotion ! J'étais chez le marchand de cycles, en ville, en train d'attendre je ne sais quoi, quand, dans l'allée centrale, quelque chose d'extraordinaire s'est produit... Adrien a posé son regard sur moi, son visage s'est illuminé, il me semble qu'il a murmuré quelque chose, je ne sais pas exactement ce qu'il a dit, peut-être a-t-il dit : « C'est elle ! C'est elle et aucune autre que je veux !» en tous les cas, même si ses lèvres ne l'ont pas dit, je suis certaine que ces yeux l'ont pensé et avant même que j'ai pu comprendre ce qu'il venait de se passer, il m'avait entraîné à l’extérieur, nous nous sommes retrouvés dans la rue, lui surexcité, moi perdue et pendue à son bras et... il m'a tout de suite ramenée chez lui !

J'étais bouleversée, émue, abasourdie par tant de précipitation et également flattée par cet empressement … je ne sais pas pourquoi, mais le fait est : il m'avait choisie, moi ! Parmi tant d'autres, c'est sur moi que son regard et ses mains se sont posés, c'est moi qui allait l'accompagner pour les années à venir. 
Et je n'en reviens toujours pas, lui si beau, si sportif, si élégant... Moi aussi, j'étais belle à l'époque, enfin belle... Disons que j'étais du style hyper bien roulée, une belle carrosserie, quoi... sans me vanter bien sûr...
Ce fut le début d'une histoire magnifique. Chaque jour, une surprise m'attendait, il ne se passait pas une journée sans qu'Adrien porte une attention à mon égard, il prenait soin de moi, il prenait le temps de me caresser, me lustrer, il ne lassait pas de moi, il me regardait et admirait mes courbes... oui, il était fier de moi, en fait, il adorait m'exhiber...! Son côté méditerranéen sans doute... Quand on sortait, il faisait attention à mon allure, il voulait que je sois parfaite. Lui aussi soignait son apparence : il se redressait, se grandissait, rentrait un peu plus le ventre, bombait un peu plus le torse et je savais bien que son air détaché, il mourrait d'envie de montrer quelle jolie paire on faisait... Il vérifiait à la dérobée si les passants nous regardaient, si je faisais de l'effet, si on se retournait sur notre passage... et effectivement, lui comme moi, nous faisions notre petit effet.

Mais ce n'est pas ce qui m'amusait le plus. Moi, ce que je préférais c’était nos promenades, juste tous les deux. C'était il y a bien longtemps, mais je me souviens parfaitement des sentiers qu'on a exploré ensemble. Lui et moi, ne faisant qu'un, sur le chemin qui partait vers la foret, lui sur moi, derrière la maison du voisin, d'autres fois, moi à son bras, le long de la promenade au bord de mer... Le dimanche matin, nous descendions rapidement au village, pour faire les courses, on sortait alors sans même se préparer, lui à peine coiffé, moi à peine réveillée pour aller chercher le pain frais du matin, quignon à croquer à pleines dents...
A cette époque, je ne sais pas si je peux en parler ici, mais... enfin... Il s'occupait bien de moi. Il me reluquait sous tous les angles, m'enduisait de graisse, passait ses mains partout, n'oubliait aucun recoins, il m'astiquait gentiment, tranquillement, il faisait ça très minutieusement, parfois il passait tant de temps à me caresser qu'il finissait par s'en faire mal aux mains, puis tout à coup, il m'enfourchait. ...Il m'en a fait voir et m'en a fait ressortir des choses, il m'a fait tourner la tête et je peux dire qu'avec lui j'ai perdu les pédales plus d'une fois... Enfin... c'était il y a bien longtemps... D'années en années, mon bel Adrien a vieilli, moi aussi, il s'est éloigné de moi, petit à petit, insensiblement, il ne me montait plus qu'une fois tous les quinze jours, puis une fois par mois à peine, pour finalement ne plus me chevaucher du tout... Aujourd’hui, il me laisse prendre la poussière, il m'a oublié, et me voilà, moi, sa plus chère amie, Lorette, sa bicyclette, je m'ennuie seule à la cave. 
Malgré tout, je ne lui en veux pas... je l'aime toujours autant et j'ai, pour me réchauffer, le film de nos merveilleux souvenirs que je repasse en boucle.