Quand le téléviseur tombait en panne on faisait venir l'électricien. Il donnait un grand coup du plat de la main sur le dessus de l'appareil, et ça marchait. Mais on n'a jamais osé porter le coup nous-même.
On
dormait tous dans la même chambre, parents, enfants. J'attendais
toujours que ma mère soit couchée pour m'endormir, alors seulement
elle éteignait la radio que j'avais écoutée passionnément, y
compris le tirage du Loto.
Parfois
il neigeait un peu, notre étroit jardin blotti entre quatre
murs de ciment devenait somptueux.
Le
poêle à charbon fumait, il tirait mal. Ça
déposait une très fine poussière noire sur le carrelage. Tous les
matins ma mère passait la serpillère mouillée, à quatre pattes,
avec ses mains. Elle disait qu'elle voyait mieux ce qu'elle faisait.
On
portait tous des socquettes en laine tricotées maison, même ma
mère, même en robe.
Les
filles ne portaient pas de pantalons, c'était interdit à l'école,
sauf s'il gelait, mais à condition de mettre une jupe par dessus; la
plupart d'entre nous préférait se passer de pantalon.
J'étais
fascinée quand mon oncle embrassait sa jeune épouse à pleine
bouche devant toute la famille. Mes parents ne faisaient pas ça en
public.
Aux
carrefours un agent de police réglait la circulation à l'aide d'un
bâton blanc, debout sur un plot, au milieu de la place. Bâton levé
on devait s'arrêter, bâton horizontal on pouvait traverser. Je n'ai
jamais pu savoir comment il faisait la nuit, je ne sortais jamais la
nuit.
On
faisait bouillir le linge dans une lessiveuse sur la cuisinière. Ça
dégageait une telle vapeur qu'on ne voyait plus rien par la fenêtre.
Parfois
dans la rue passait un fiacre tiré par un cheval. C'était rare,
beaucoup plus beau que les automobiles.