vendredi 15 janvier 2021

Madame Panicot va à la boulangerie

 Acheter sa baguette de pain quotidienne n'est pas une corvée pour Madame Panicot. C'est l'occasion pour elle de faire une promenade et dégourdir ses vieilles jambes. Le ciel est blanc neigeux se dit-elle. Frissons. Elle rajoute un tour à son écharpe, enfonce les mains dans les poches de sa doudoune grise et se met en route. La boulangerie n'est pas très éloignée, il y en a même une à deux cents mètres mais celle-là est trop près, la promenade est trop courte. Sa boulangerie attitrée se situe de l'autre côté du grand boulevard, à environ un kilomètre.

Arrivée au bout de la ruelle, Madame Panicot tourne toujours la tête à droite dans l'espoir de voir son voisin et échanger avec lui quelques mots qui, le plus souvent, tournent autour de la météo. Aujourd'hui il n'est pas là. Déception. Au rond-point, devant l'école, elle lève les yeux.. Sur les fils électriques, il y a régulièrement des oiseaux qui se balancent. Ça la réconforte de les voir. Cette fois, elle compte trois perruches vertes et, un peu à l'écart, toute grisouillette, une tourterelle. Le nez en l'air, elle évite de peu un monsieur emmitouflé qui promène un minuscule chien empaqueté dans un ridicule manteau orange vif. Petit rire intérieur. Quand elle arrive au boulevard Michelet, elle a déjà shooté avec rage dans quatre emballages de Capri Sun. Depuis qu'elle a lu qu'ils étaient la plus importante source de pollution de l'Huveaune, elle déteste ces mini gourdes de jus de fruit. Colère. Sentant la mauvaise humeur arriver, Madame Panicot cherche autour d'elle, une raison de se réjouir. Les micocouliers nus sont tristes, le trottoir est maculés de déjections d'étourneaux. Gros soupir. Heureusement, vient se placer à côté d'elle pour traverser, une jeune femme qui porte, sur le ventre, un sac kangourou d'où émerge la bouille réjouie d'un bébé aux joues rosies par le froid. Il est vraiment adorable avec son bonnet à oreilles d'ours. Sourire. Madame Panicot est prudente, elle attend toujours le piéton vert avant de traverser, la circulation est dense sur le boulevard. Maintenant, elle emprunte un raccourci un peu minable qui sert d'urinoir et autres joyeusetés aux chiens du quartier. Rester en apnée. L'avantage c'est qu'il est très calme. Sur sa gauche, elle vérifie l'avancée des travaux de construction sur l'emplacement du garage Renault. Un immense ensemble généreusement bétonné qui mange une grande partie du ciel. Nouveau soupir. De l'autre côté, elle évite de regarder le terrain de foot depuis qu'il a été recouvert de gazon synthétique. Un peu plus loin, un mur aveugle est couvert de tags. Il y en a un nouveau aujourd'hui, écrit en grosses lettres rouges dégoulinantes." J' M Raoult." Surprise amusée. Plus qu'une rue à traverser, la boulangerie est en face. Comme tous les jours, il y a la queue mais ça ne la dérange pas. Observer les gens la distrait. Il y a les impatients qui soufflent et trépignent, les rêveurs qui semblent somnoler, ceux qui s'abîment dans la contemplation de l'écran de leur Smartphone. Beaucoup d'hommes. Celui derrière lequel se place Madame Panicot est un vieux monsieur à l'embonpoint triomphant. Ses pieds sont chaussés de tennis aux couleurs voyantes. Sourire moqueur. Son bonnet est affreux se dit-elle. Il est trop petit, ses oreilles qui dépassent le font ressembler à un lutin. Madame Panicot n'est pas pressée que son tour arrive, elle ne s'ennuie pas le moins du monde.