lundi 16 novembre 2015

La non-photo

Qui aurait pu la prendre ? Personne n'était là – à part le protagoniste, bien sûr. Oh il y avait des gens, plein même, mais aucun avec une raison de la prendre. Ou peut-être que si. C'était un quai de gare, après tout. On prend des photos sur un quai de gare, non ? Peut-être a-t-elle été prise, d'ailleurs, peut-être qu'elle a servi de fond à une autre, de départ, d'adieu ou d'au revoir, plus parlante que celle-ci. Il y a peu de chance, quand même. Rares sont les photos prises sous la pluie. Le ciel gris, entre les rails et les cathéners, sur fond de béton et de terre rouge, avec juste le contrepoint orange brillant des lampadaires et des affichages lumineux. Qu'est-ce qu'elle a d'intéressant, cette scène, pour que quelqu'un ait eu, comme ça, l'envie de la fixer sur pellicule, écran ou carte mémoire ? Pas grand-chose, il faut bien l'avouer. Et, s'ils l'ont fait, pour sûr se sont-ils intéressés à eux-mêmes, rien d'autre. Pourquoi documenter cette gare infâme sous la bruine ? Pourquoi s'attarder sur ce type en T-shirt, un sac sur le dos et l'autre à la main, en train de regarder le train qui ralentit le long du quai ? Aucune raison, aucune. Vraiment aucune.