vendredi 7 mai 2021

Au salon

 


  Elle comprend qu’elle ne va pas pouvoir lutter plus longtemps, la coiffeuse a des arguments de poids.

   Madame Panicot ! Vos cheveux gris sont ternes, mais ternes, ils ressemblent à de la filasse (de la filasse ! Elle exagère), je vous assure que des mèches blond-cendré éclaireraient vos cheveux, leur donneraient du volume en les sculptant, les sublimeraient.

     Je veux juste une coupe…

     Faîtes-moi confiance, parfois un petit rien peut tout changer

     Je suis un peu pressée…

      Il faut prendre du temps pour soi à votre âge (Mon âge ! qu’est-ce qu’il a mon âge ?)

Madame Panicot, à court d’arguments, hoche la tête de haut en bas ce qui peut passer pour un acquiescement, la coiffeuse sourit et s’échappe dans l’arrière-boutique pour mitonner la préparation miracle.

Maintenant, enveloppée dans un grand peignoir en nylon noir, elle rumine sa mauvaise humeur. Dans le miroir implacable qui lui fait face elle ne se reconnaît pas. C’est une piètre  héroïne de science-fiction, la tête entourée de papillotes en papier d’aluminium qui la regarde d’un air funèbre. Il faut attendre que la couleur « prenne ». Madame Panicot n’est pas patiente, elle soupire, se tortille, s’efforce de brouiller son reflet en louchant pour y voir flou. Le souffle bruyant des sèche-cheveux, le bruissement des papotages ininterrompus, les sonneries intermittentes des téléphones, les odeurs mêlées des produits capillaires la plongent bientôt dans un état proche de l’hypnose.

     Madame Panicot ! Madame Panicot ! Vous dormez Madame Panicot ? Vous pouvez passer au bac.

Enfin ! Le début de la délivrance… Les papillotes sont ôtées une à une… L’eau tiède emporte avec elle la mixture verdâtre qu’il faut rincer longuement. La coiffeuse est contente du résultat, tant mieux,  Madame Panicot veut juste sortir au plus vite mais il y a encore la coupe. Comme ceci ou comme cela ? Un carré ou une coupe dégradée? La frange ou une mèche? Moins longs ou plus courts ? Ces questions hautement existentielles épuisent Madame Panicot qui laisse carte blanche à la coiffeuse.

Le brushing lui a paru interminable, chaque mèche a été tirée, enroulée dans un sens puis dans l’autre, aplatie, gonflée… Il paraît que le résultat est splendide.

Dehors le ciel est d’un  bleu triomphant, au-dessus des toits, quelques nuages blancs obstinés se forment et, vaincus, disparaissent aussitôt.