Au
bord de la rivière, Jeannot prépare son tabouret, ses cannes à
pêche, ses hameçons. Jeannot est heureux, enfin seul. Ce n'est pas
qu'il aime tant la pêche, et si ça mord il rejette vite ses prises
à la rivière, sauf une ou deux pour prouver à sa femme qu'il était
bien à la pêche.
Il
installe ses lignes, se cale sur son tabouret, et sort de la poche de
son blouson un livre. Une belle journée peut commencer.
Car
c'est là le drame de Jeannot, il est marié avec une femme ni plus
laide ni plus méchante qu'une autre, mais qui ne supporte pas le
silence et ne comprend pas le goût de la lecture. Et Jeannot est un
taiseux. Alors elle allume le poste de télévision au réveil et ne
l'éteint qu'au coucher, pour le son, pour le bruit.
Pour
le reste ils s'entendent plutôt bien, ont les mêmes goûts simples.
Mais Jeannot ne supporte plus la voix criarde de la télé, l'image qui
attire l'oeil irrésistiblement. Il n'a pas fait de grandes études
mais depuis toujours il adore lire, lire tout ce qu'il peut trouver à
la librairie du bourg ou à la bibliothèque municipale. Ça
rend folle son épouse, non seulement il ne lui parle pas mais il
n'est même pas avec elle en pensée, il lit, il lit, il lit.
Alors
ses jours de congés, quand il ne pleut pas, il va s'assoir au bord
de la rivière et dévore: Proust, Mallarmé, Flaubert, La Fontaine,
Maupassant, Prévert. Tout. Tout est beau. Tout l'enchante.