dimanche 27 octobre 2013

Et si le hasard en avait décidé autrement

Elle aurait eu 18 ans à Paris. Ses parents, artistes lui auraient ouvert un monde où elle aurait eu le temps de penser à la vie, à sa vie. Elle aurait fait du théâtre, de la peinture et de la danse. Très tôt elle aurait écrit aussi. Elle aurait rencontré des musiciens, des metteurs en scène. Elle aurait exploré sans se lasser jamais des univers de mots, de gestes, d’émotions. Elle n’aurait reçu et donné que de la beauté, de la vérité. De celle qui console.

Elle serait née au 19 ème siècle dans le Montana. A 5 ans elle aurait eu un poulain. Elle n’aurait jamais appris à lire. Elle aurait aidé ses parents à s’occuper du bétail. Elle aime les bêtes, leurs yeux paisibles, leurs museaux doux et chauds. Elle aurait appris à égorger un cochon sans lui faire peur, ni mal. Elle aurait galopé des journées entières dans les plaines Elle aurait eu 6 enfants. Ils auraient été libres, pied nus, cheveux en bataille, en salopette et toujours barbouillés de confiture. Le travail, les saisons, les fêtes, 12 petits enfants. Elle aurait vécu sans trouble et puis elle serait morte entourée de toute sa famille parce qu’il était temps, et qu’il neigeait. Près de la fenêtre, son petit fils préféré jouait doucement du banjo.

Elle aurait pu aussi naître en Mongolie. Elle aurait galopé dans le vent et l’espace immense, ouvert. Elle aurait fait l’amour en plein air avec un chaman. Celui qui fait pleurer les chameaux. Elle n’aurait jamais appris à lire parce qu’elle n’aurait jamais su ce que pouvait être un livre

Si elle avait eu la terrible malchance d’être un garçon de 20 ans en France en 1960. Il serait parti en Algérie, sans avoir rien compris. Là-bas, avant d’être avalé par l’horreur, il se serait laissé glisser dans la mer, à l’aube, après avoir dormi une nuit dans les ruines chaudes de Tipasa et le parfum des immortelles.