dimanche 6 avril 2014

La rue

Il y a une rue qui monte sous le soleil d'été.
Le caniveau central serpente entre les pavés irréguliers.
Il y a des gens qui montent la rue; un jeune qui court, casquette vissée sur la tête, pour en rattraper un autre, plus haut.
Un garçon qui dévale la rue à la poursuite de son ballon échappé.
Il y a du linge aux fenêtres.
Il y a des façades grises et sales, des volets qui battent, des carreaux cassés.
Il y a des façades roses et ocre, repeintes de neuf. Ce mélange. Et les odeurs qui s'échappent, odeurs d'égouts, de friture, parfum de savon et de lavande devant la boutique de souvenirs.
Il y a des voix qui s'apostrophent haut et fort.
Il y a des noirs et il y a des blancs.
Il ya des habitants et il y a des touristes.
Moi seule, peut-être, connais ce qu'il y a derrière presque toutes ces portes, ces volets, ces façades.
Je suis payée pour ça, taper à une porte, monter un escalier, découvrir un taudis ou un petit loft délicieux.
Il y a tous ces gens que je croise. Ceux qui me connaissent et me saluent. Ceux qui me connaissent et détournent le regard.
Il y a les touristes qui me demandent le chemin du musée; ceux qui s'extasient devant la rue étroite, qui la trouvent pittoresque, qui l'ont déjà vue à la télé.
Il y a la balayeuse municipale qui monte et descend la rue plusieurs fois par jour, il faut qu'elle soit propre.
Il y a le maire, qui s'enorgueillit de cette rue, de ce quartier ancien qui attire les étrangers, les parisiens.
Il y a les enfants qui me connaissent et viennent m'embrasser.
Il y a cette femme au boubou coloré qui sort son petit de la poussette pour que j'admire comme il grandit bien.
Il y a un chat qui traverse.
Il y a des crottes de chiens oubliées par la balayeuse municipale.
Il y a la voiture blanche de la police municipale qui tente de se frayer un chemin dans la rue encombrée.
Il ya tout un quartier dont il faut déloger la pauvreté. Un quartier qui doit devenir une vitrine, une destination prisée des voyageurs.
Il y a moi qui parcours la rue à longueur de journée. Je hume, je regarde, je devine. Je suis payée pour ça.