samedi 7 novembre 2020

 Devant les tableaux

Le jour détesté est arrivé, on nous a conduits chez Mr Peltrone, le photographe de la grand- rue.

Je ne voulais pas figurer à ses côtés mais personne ne m’écoutait. La tradition des photos de famille, impossible de déroger à cette mascarade.

On nous avait coiffés avec soin, Léonie surtout. Antoinette, notre nurse prenait plaisir à lisser cette longue chevelure, à domestiquer les mèches dans des rubans de satin. Elle lui murmurait à l’oreille : « Que vous êtes belle mademoiselle ! » je feignais de ne pas entendre,  je souffrais en silence. Des heures à ajuster les plis de la robe pendant que je me débrouillais seul avec mon costume, il est vrai que c’était plus facile, j’avais l’habitude, c’était le même habit triste de tous les dimanche, veste noire et col blanc. Léonie,elle, avait droit aux couleurs, sa garde robes fournie se déclinait en rose, vert d’eau, bleu azur, lilas.

La position fût vite trouvée, Léonie au centre, de face, dans la lumière, elle ne pouvait être qu’au centre, elle était au centre de tout. Léonie brillait du regard des autres. On me fit prendre une posture sur le côté, en retrait pour ne pas faire ombrage. Je devais la regarder en souriant mais ça je ne pouvais pas, on ne pouvait pas me demander ça, jamais.

Elle m’avait tout pris, même mon père qui n’était pas le sien. J’ai passé toute mon enfance en pension et elle, elle occupait la maison.

Maintenant que Léonie n’est plus, je la regarde avec tristesse et amertume. Il m’arrive d’essuyer une larme dans le sillon d’une ride.

(peinture 7)

 


Enfin seule, elle s’est échappée, le livre bien caché.

Sous le voile de pureté, de sagesse ordonnée

Elle va retrouver les émois, les exploits, l’ailleurs

Un moment pour elle, pour s’évader, oser rêver.

Sous le jupon, le grand frisson

Devra-t-elle demander pardon ?

(peinture 4)