vendredi 6 novembre 2020

 Rencontre de rêves

Pauline, jeune femme un peu éteinte, le teint pâle , le regard triste prépare le petit déjeuner. Elle semble n’avoir aucune existence propre, elle n’a pas d’envie, pas d’avis pas plus que d’amis. Ce matin, les yeux encore emplis de sommeil, elle ose interpeler son compagnon : « Veux –tu connaitre le rêve qui trouble mes nuits ? »

« Je suis une goutte d’eau fraiche issue d’un glacier tout là-haut sur la montagne. C’est l’été, avec mes copines, on forme un torrent plein de gaieté. On danse dans les prés verts, on saute sur les pierres, on chante à l’oreille des marcheurs, on joue avec les marmottes. On traverse des villes, on se cache sous les ponts, on fait des tourbillons. On s’étale dans les plaines, on visite la terre. En farandole, on part chercher la mer. Soudain, je me fais capter dans des tuyaux, je circule sous terre, je ne respire plus l’air, je sors abasourdie au robinet de ta cuisine, je finis dans une carafe où je stagne, paralysée par la peur d’être avalée. Tu prends plaisir à me faire attendre, je finis dans ton verre et là tu fais durer le supplice, tu sirotes, tu me laisses au fond, en prison. Tu me regardes vaciller en me faisant tourner, grimper le long des parois et retomber à moitié assommée. Bêtement, j’admire tes longs doigts fins, je les aime ces doigts, ils me font rêver, longtemps je t’ai cru pianiste virtuose. »

« ça te fait rire ? »

Pauline renifle en écoutant la BMW démarrer.

Le lendemain,

Jaques, cadre dynamique, l’allure svelte et décidé avale debout sa troisième tasse de café. En nouant sa cravate, il se retourne vers son amie.

« Veux-tu connaitre le rêve qui a troublé ma nuit ? »

« Tu vas rire pour une fois. »

« Je rentre d’une journée chargée comme d’habitude. Je suis épuisé. De réunion en réunion, j’ai beaucoup parlé, j’ai soif et ai besoin de me détendre. Je te crois dans la salle de bains en train de refaire ton maquillage, tu as dû pleurer comme à l’accoutumé. Je saisis un verre et je te trouve liquéfiée au fond, tout ton corps fondu en larmes comme des glaçons. Elles ne sont même pas salées, quelle fadeur ! je t’agrémente de pastis, c’est guère mieux. Je rajoute de l’eau pétillante, enfin tu chantes. Quelques chips et je t’avale, tu n’es plus là. Si, je garde juste ton souvenir. Formidable, tu ne trouves pas ? »

« Comme je ne veux pas te mettre dehors et que tu n’as pas le courage de partir, c’est une solution »

« Bonne journée mon amour ! »