dimanche 8 novembre 2020

Rêves

Toyo aime les pommes, le punk celtique et les diabolos menthe.

Maggie joue de la trompette, mets du piment dans tous ses plats et nage 5 km tous les matins.

Sam parle en phrases de moins de 5 mots, a lu le Cohen-Tannoudji de mécanique quantique deux fois, et est adjudant-chef dans le 40ème Régiment d'Artillerie.

Le rêve de Toyo

Je suis à la plage. Il fait nuit, mais la Lune est pleine et illumine le sable comme en plein jour. Seule la mer reste noire. L'écume des faibles vagues luit comme des feux de voitures sur l'autoroute, et soudain j'entends le coucou qui résonne : il sonne quatorze heures, deux fois, avec un son de cloche fêlée qui pleure. Mes mains sont rouges. Elles pleurent elles aussi, et leurs larmes tombent sur le sable qui les absorbe et se transmute ainsi en poussière d'or. Le vent se lève et les chasse, il souffle le sable jusqu'à la roche, jusqu'aux squelettes enfouis des monstres de l'ancien temps. J'ai peur qu'ils se réveillent, et en même temps j'en ai terriblement envie. Je souffle dans cornemuse, la gonfle et sous mes doigts le chant de Sammain retentit. La porte d'Avalon est ouverte, son noir resplendit sur le noir des flots, et Dana elle-même vient à ma rencontre. Elle porte les traits de Maggie, elle chante sur ma cornemuse, et son murmure est tel que je dois souffler comme Éole dans un voilier pour ne pas me laisser emporter. Elle pleure elle aussi, se penche sur moi et prend mon visage entre ses mains, chuchote à mon oreille, d'une voix douce comme le tonnerre :

« As-tu vu l'œil de ton père ? »

Le rêve de Maggie

Je cours. Je suis sur une route sans fin, droite comme ma mère, un couloir de bitume avec une ligne blanche au milieu. Je suis la ligne, je fais attention à ne pas m'écarter, je suis un funambule au-dessus d'un abîme d'encre, le moindre faux-pas et je me perds pour toujours. Droit, toujours tout droit, sans cesse, sans repos, je cours et je cours et je cours sans m'arrêter, sans respirer, sans penser. Je cours et c'est tout.

Il n'y a plus rien autour, que le feu au bout, un soleil de fer blanc qui sonne creux, une cloche fêlée dont le ding dong ne parvient pas à percer les ténèbres dont je m'extraie à perpétuité. Je suis en équilibre entre silence et son, entre ombre et lumière, entre début et fin. Les deux veulent m'engloutir et je ne sais pas lequel vaut mieux, alors je reste perchée, en mouvement pour l'éternité, pour ne pas tomber d'un côté et y rester piégée.

Un oiseau se pose sur mon épaule. Un martin-pêcheur. Il ressemble à Sam. Il pépie avec sa voix :

« Prend garde : devant se trouve hier. »

Le rêve de Sam

Je suis dans une pièce aux murs rouges. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. J'entends mon cœur battre. Le sang qui pulse avec la lumière. Stroboscope interne. Cliché freudien. Je crache

Je suis dans une pièce aux murs verts. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. Il y a du vent, une brise qui vient de nulle part. Qui ne peut être réelle ; sans fenêtre, pas de vent. Elle sent la rosée. Les prés aux champignons. L'automne des sapins. Elle sent dehors, alors que je suis dedans. Paradoxe de mauvais rimbaldien. Je renifle

Je suis dans une pièce aux murs jaunes. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. Il fait chaud. Le sol est mou, du beurre fondu. Je le sens sur ma langue. Ma peau est huileuse. Je m'enfonce je crois bien. Sables mouvants de pacotille. Terreur d'enfant que je ne suis plus. Que je n'ai jamais été. Je lève les yeux au ciel

Je suis dans une pièce aux murs blancs. La lumière me brûle les yeux à l'azote. Peu importe. Il y a un homme devant moi. Toyo. Non, pas Toyo, quelqu'un qui voudrait que je le croie. Je joue le jeu. Personne n'est dupe. Je suis attaché à une table. Il veut me parler, mais je ne comprends pas sa langue. Elle fourche. Iris jaunes, verts, rouges. Kaléidoscope. Je tombe. Je vole. Je

Je suis dans une pièce aux murs rouges.