vendredi 5 juin 2020

Courrier d'antan


Nombreux sont ceux et celles qui ont profité du confinement pour ranger leurs placards.

Moi aussi , j'ai fouillé là où je ne vais jamais et forcément j'ai eu des surprises. Notamment une boîte que j'ai longtemps cherchée, une boite en bois décorée de la marque Suchard, mes parents vendaient des chocolats et elles avaient un format pratique ces boîtes.

Des papiers de toutes teintes douces, pliés en deux, en quatre, des cartes postales en noir et blanc aux bords dentelés, quelques photos, une petite liasse
nouée par un ruban rose.

Je commence par celle-là, je ne sais plus ce que c'est. Les lettres que mon père envoyait à ma mère quand il était prisonnier pendant la guerre. J'en ouvre une lentement, avec la sensation de toucher à quelque chose d'interdit : « Ma chère Renée, j'espère que ta santé est bonne et que tu es tranquille chez tes parents... Pour moi ça va, on nous fait beaucoup travailler mais on a suffisamment de pain et de soupe... Je t'embrasse tendrement, ton Gaby qui t'aime ». Toutes les lettres se ressemblent, quoi dire de plus personnel, et puis il y avait la censure. Je renoue avec émotion le ruban rose, ce paquet là je ne le détruirai pas, j'aimerais que mes enfants, mes petits enfants le voient un jour.

Une page de cahier, pliée en quatre, écrite d'une petite écriture serrée et signée Françoise : « Je suis désespérée, samedi soir à la boum Hervé m'a invitée , on a dansé, je n'ai pas su dire non, on s'est embrassé. C'était bon, mais c'était mal, l'aumonier du lycée l'a dit : des boums, mais pas de flirt, vous êtes trop jeunes, c'est un péché. Heureusement mes parents ne se doutent de rien... Bon, je te quitte, la prof de latin vient de m'interroger et maintenant elle me surveille. »

Je ne sais plus ce que je lui ai répondu, mais c'était en seconde, cette année là on s'écrivait beaucoup, toutes, pendant les cours, d'ailleurs j'ai redoublé. Mais je sais que Françoise et Hervé se sont mariés, études finies, ils ont été heureux, ils ont eu trois filles, comme quoi les conseils de l'aumonier...

Des cartes postales de vacances, légères : « Mer chaude, soleil, mon bronzage est plus beau chaque jour, j'espère qu'il tiendra jusqu'à la rentée. » Moi aussi j'aimais bronzer, je gardais ma montre au poignet pour qu'un fin liserai blanc puisse montrer la différence de teinte, avant, après.

D'autres cartes postales : « Ma mère ne me laisse pas sortir seule, un calvaire ces vacances en famille, il me tarde de retrouver le lycée. Annie » Je ne sais plus du tout qui était Annie.

Une carte postale de Lourdes, de Lourdes ! « J'ai prié pour toi à la grotte, je te rapporte un flacon d'eau de la source miraculeuse. Danielle » Et le flacon d'eau est là, dans la boîte, incroyable !

Une enveloppe épaisse, une cinquantaine de demi feuilles bien pliées, remplies soigneusement des deux côtés, et en bas, toujours : « Je vous embrasse bien fort Maman » Elle parle du jardin, des roses qui sont bien fleuries, des tomates que cultive mon père et qui sont plus grosses que celles du voisin, de leur petite vie quotidienne, je ne sais même pas si je lui répondais. Ça s'est arrêté en 1975, on a eu le téléphone. Elles m 'émeuvent aujourd'hui ces lettres, alors que quand je les recevais je les survolais.

D'autres cartes, d'autres lettres en papier bleu, jaune, rose ou parcheminé. Les mêmes soucis des jeunes filles dans les années soixante. Pratiquement pas de lettres de garçons, les copains on sortait avec eux et puis on les oubliait. Une ou deux photos, un qui fait le beau sur son vélo, un autre en portrait d'identité, lui il était sympa, j'adorais sa mèche rebelle.

Et aucune lettre de mon futur mari. On habitait la même ville, très vite on s'est vu tous les jours, et puis ce n'était pas un écrivassier.

Mon dieu, qu'est-ce que je vais faire de tout ça, impossible de les jeter, je jetterais une partie de ma vie. Je replie tout, je referme la boîte, la replace au fond du placard. Je verrai, plus tard, j'ai encore le temps, enfin j'espère.