Nombreux
sont ceux et celles qui ont profité du confinement pour ranger leurs
placards.
Moi aussi
, j'ai fouillé là où je
ne vais jamais et forcément j'ai eu des surprises. Notamment une
boîte que j'ai longtemps cherchée, une boite en bois décorée de
la marque Suchard, mes parents vendaient des chocolats et elles
avaient un format pratique ces boîtes.
Des
papiers de toutes teintes douces, pliés en deux, en quatre, des
cartes postales en noir et blanc aux bords dentelés, quelques
photos, une petite liasse
nouée
par un ruban rose.
Je
commence par celle-là, je ne sais plus ce que c'est. Les lettres que
mon père envoyait à ma mère quand il était prisonnier pendant la
guerre. J'en ouvre une lentement, avec la sensation de toucher à
quelque chose d'interdit : « Ma chère Renée, j'espère
que ta santé est bonne et que tu es tranquille chez tes parents...
Pour moi ça va, on nous fait beaucoup travailler mais on a
suffisamment de pain et de soupe... Je t'embrasse tendrement, ton
Gaby qui t'aime ». Toutes les lettres se ressemblent, quoi dire
de plus personnel, et puis il y avait la censure. Je renoue avec
émotion le ruban rose, ce paquet là je ne le détruirai pas,
j'aimerais que mes enfants, mes petits enfants le voient un jour.
Une
page de cahier, pliée en quatre, écrite d'une petite écriture
serrée et signée Françoise : « Je suis désespérée,
samedi soir à la boum Hervé m'a invitée , on a dansé, je n'ai pas
su dire non, on s'est embrassé. C'était bon, mais c'était mal,
l'aumonier du lycée l'a dit : des boums, mais pas de flirt,
vous êtes trop jeunes, c'est un péché. Heureusement mes parents ne
se doutent de rien... Bon, je te quitte, la prof de latin vient de
m'interroger et maintenant elle me surveille. »
Je
ne sais plus ce que je lui ai répondu, mais c'était en seconde,
cette année là on s'écrivait beaucoup, toutes, pendant les cours,
d'ailleurs j'ai redoublé. Mais je sais que Françoise et Hervé se
sont mariés, études finies, ils ont été heureux, ils ont eu trois
filles, comme quoi les conseils de l'aumonier...
Des
cartes postales de vacances, légères : « Mer
chaude, soleil, mon bronzage est plus beau chaque jour, j'espère
qu'il tiendra jusqu'à la rentée. » Moi aussi j'aimais
bronzer, je gardais ma montre au poignet pour qu'un fin liserai blanc
puisse montrer la différence de teinte, avant, après.
D'autres
cartes postales : « Ma mère ne me laisse pas sortir
seule, un calvaire ces vacances en famille, il me tarde de retrouver
le lycée. Annie » Je ne sais plus du tout qui était Annie.
Une
carte postale de Lourdes, de Lourdes ! « J'ai prié
pour toi à la grotte, je te rapporte un flacon d'eau de la source miraculeuse. Danielle »
Et le flacon d'eau est là, dans la boîte, incroyable !
Une
enveloppe épaisse, une cinquantaine de demi feuilles bien pliées,
remplies soigneusement des deux côtés, et en bas, toujours : « Je
vous embrasse bien fort Maman » Elle parle du jardin, des roses
qui sont bien fleuries, des tomates que cultive mon père et qui sont
plus grosses que celles du voisin, de leur petite vie quotidienne, je
ne sais même pas si je lui répondais. Ça
s'est arrêté
en 1975, on a eu le téléphone. Elles m 'émeuvent aujourd'hui
ces lettres, alors que quand je les recevais je les survolais.
D'autres
cartes, d'autres lettres en papier bleu, jaune, rose ou parcheminé.
Les mêmes soucis des jeunes filles dans les années soixante.
Pratiquement pas de lettres de garçons, les copains on sortait avec eux et puis on les oubliait. Une ou deux photos, un qui
fait le beau sur son vélo, un autre en portrait d'identité, lui il
était sympa, j'adorais sa mèche rebelle.
Et
aucune lettre de mon futur mari. On habitait la même ville, très
vite on s'est vu tous les jours, et puis ce n'était pas un
écrivassier.
Mon
dieu, qu'est-ce que je vais faire de tout ça, impossible de les
jeter, je jetterais une partie de ma vie. Je replie tout, je referme
la boîte, la replace au fond du placard. Je verrai, plus tard,
j'ai encore le temps, enfin j'espère.