samedi 6 juin 2020

Une photo ratée

Elle est ratée. Complètement ratée. Ce doit être la première de la pellicule argentique qui ne devait pas être suffisamment enroulée. Elle a pris la lumière. Sur la gauche il n'y a qu'une bande blanche qui buvarde sur une ligne verticale vaguement rose-orangé. A droite, d'abord on ne voit pas grand-chose. L'espace est divisé en deux parties: une zone grisâtre en haut et une autre presque noire dans la partie inférieure.
Dans le gris, si l’œil s'y attarde, des nuages se dessinent, échevelés, imprécis. Ce que l'on pouvait prendre pour une tache est un gros nuage menaçant. Au-dessous dans la masse sombre émergent trois arbres, un buisson et deux poteaux électriques de guingois. Au sol, le noir se nuance de brun et à l'horizon, ce que l'on sait maintenant être un ciel, se teinte de gris bleuté. Ce pourrait être le soir ou le calme qui précède un orage.
Aucune construction, aucune colline, pas de montagne lointaine.C'est un paysage sans intérêt duquel se dégage une étrange mélancolie. On n'y distingue aucun être vivant, il n'y a rien à voir. Pourtant cette photo me fascine. Qui l'a prise? Le hasard. C'est moi qui faisais les photos lorsque nous étions en balade. J'ai dû appuyer sur le déclencheur sans le vouloir. C'est une photo imprévue, énigmatique, belle dans son minimalisme. Comme mes souvenirs, elle est floue, sans date, beaucoup de détails ont disparu,  pourtant elle est là, bien présente sur mon bureau et je me demande: où? quand?... Il y a si longtemps.