vendredi 29 novembre 2013

Phobie hotelière


Chacun ses fantasmes, chacun ses phobies, enfin elle le croit, pour se rassurer. Elle n'aime pas les chambres d'hotel. Elle les évite. Longtemps, elle n'a pas pu dormir dans une chambre d'hotel, alors elle se tournait et retournait dans ce lit qui décidément ne lui convenait pas. Elle dort n'importe où, par terre dans un couloir, sous une tente ou à la belle étoile, chez elle peu importe la pièce,même dans la cuisine ou dans la baignoire s'il le faut, dans sa voiture, mais c'est "sa" voiture.
Dans un lit d'hotel, si elle s'abandonne un peu, si elle laisse la place aux images qui se présentent, elle se sent assaillie, envahie, par tous les gens qui ont dormi là, exactement là, à sa place de ce soir. Ils ont laissé des traces, ce trou de cigarette sur la table de nuit, cette écorchure dans le papier peint, cette tache ineffaçable sur le couvre-lit, une odeur, un parfum, un relent de tabac. Rien, mais elle sent tout et si elle se laisse faire la panique l'envahit. Des visages, maquillés ou barbus, des corps lourds et suants ou secs et nerveux, des gestes, des paroles, des mots d'amour ou de dispute. Un meurtre peut-être un jour, va savoir, elle n'a pas lu tous les journaux.
Imaginer que là, à sa place, dans le cocon que devrait être sa chambre d'un soir, se sont succédés tant de personnages, tant de sentiments, tant de présences abandonnées au sommeil, la terrifie.
Des gens qui, dans la rue, ne lui adresseraient jamais la parole, avec qui elle ne partage rien, pas une bribe de connaissance. Et elle doit prendre leur place dans ce qu'il y a de plus intime, un lit.
Elle sait qu'elle pourrait en rêver, que ce serait prétexte à une imagination débridée, qu'elle pourrait se relever, écrire, faire des portraits, mais maintenant à l'hotel, elle l'avoue, elle prend un somnifère.