dimanche 1 décembre 2013

Hôtel de l'énigme

"Hôtel de l'énigme" : je ne connais pas d'hôtel sous ce nom-là, et pourtant ça sonnerait bien, à condition de pas y dormir peut-être. En général, les noms d'hôtel, ça craint:
- Hôtel des Voyageurs (qu'est-ce que c'est original dîtes-moi, vous avez trouvé le nom comment?),
- Hôtel de la Gare (ah oui, c'est sûr, comme ça c'est pas dur à trouver),
- Hôtel de France (Oh yes, the French touch of course! My GPS is rich!)
etc.

    Quand je voyage pour moi, j'évite ce genre d'endroit : souvent trop cher, sauf quand c'est ma boîte qui me paie cette boîte à sommeil. Mais là je ne choisis ni l'hôtel, ni son nom, et d'ailleurs il est rarement en français, alors... Ces maisons de passage ne me racontent en général pas grand'chose. Néons criards quand bon marché, lumière tamisée quand plus aisé. Il faut donc les toiser longuement, prêter l'oreille, désoeuvré ou pas, mais une oreille qui parle souvent d' une autre langue, d' un autre accent, d'une autre musique de mots. Sinon je fuis ce voyageur qui me ressemble trop, pas le temps du monologue démagogue.

     Une hôtesse russe dans une banlieue hollandaise te salue sans humeur vagabonde devant son écran?
    Un groom immense comme un Turc de légende, portant chapeau-clac et redingote entre 2 narghilés?
    Un assoupi des clés, qui garde un oeil vissé sur Al Jazeera, en arabe dans le texte, et te signifie qu'il t' a repéré quand tes mains sortent autre chose qu'une carte AmEx? Et pourtant, ces billets en devises pourris qui te donnent un instant l'illusion que tu es quelqu'un de puissant, t'as pas vraiment envie de les garder longtemps par devers toi, si sales et si puants si souvent...
    Que dire à cette femme de chambre, craintive et demi-muette, qui semble ne voir du voyage que les penchants des hommes qui ne resteront pas?
    Comment faire, dans ce hall de gare privée, qui héberge les petit-déjeuners de la planète entière en mode open bar mais lève-toi pour ton café ?

     Et puis parfois un hôtel c'est un autre froid, où l'on entre en glissant, dès le perron, sa carte de paiement. Un 24/7 où personne ne vous attend, personne ne vous répond, personne ne vous réveille, personne ne vous salue, personne ne vous sourit, personne ne vous appelle un taxi, personne ne vous montre que vous êtes en mouvement, en marche, en vie. Alors ces déserts en ville, on les fuit, et, selon l'envie, on ose, on sort, on prie pour qu'enfin une personne vous sourit, vous salue, ou mieux, vous questionne et vous raconte sa vie. Ou d'autres vies.
    On prend alors le risque de la nuit, et le souci de quelqu'un qui vous suit. Ou la lueur du sourire d' une jolie fille, alanguie devant un mur de verre et vapeur au coin d'une rue; elle s'ennuie, alors elle accepte de vous traduire la carte que le serveur nonchalant mais narquois vous a claquée sous le nez, idéogrammes improprement manuscrits.Tout ce petit monde rit, les yeux bridés se plissent encore plus un instant. L'énigme du plat se résorbe, cette fois dans l' estomac. Il faudra rentrer, réchauffé, et au Diable la note de frais pour le comptable sourcilleux du besogneux bureau d'à côté, de la Société Anonyme qui finira bien par raquer, au taux de change qui l'arrange, ça va sans dire...
    Pour l' heure direction l'hôtel. Il n'y a guère qu'en Estonie que taxi s'écrit taxo. On rentre le plus tard possible, sans faire de bruit, on reparcourt ces couloirs morts et sans repères, on imagine des temps prochains où même les hôtels redeviendont humains. Après l'électricité?