jeudi 5 décembre 2013

Explorations

Il se rappelait des moments où ses cils touchaient les siens, où ses cils touchaient ses seins, et de sa peau. Il se rappelait de ces moments où ses cils se joignaient, et des ces baisées qui papillonnaient autours de son nez et de sa joue. Il se rappelait de ses cils qui battaient contre les siens, qui le chatouillaient, des élastiques de tout bord, qu'il fallait dégrafer.Et maintenant c'était l'automne, et ses cils tombaient un à un, comme les feuilles d'un vieil érable.
Il n'en avait plus qu'un, de cil, sur le bord d'une feuille blanche, qui l'accompagnait, un cil qu'il prenait de temps en temps, sous son index, en mouillant sa peau. Il le regardait trembler sous son doigt. Puis il reprenait son travail, courbé au dessus de sa page. Il y avait une odeur pas loin. Le reste de quelque chose de son corps à elle, qui s'évanouissait, avec les pages des livres, avec les papiers griffonnés, et les courses punaisés sur le bureau. Sur des élastiques, l'odeur de ses cheveux subsistait, et quelques cils, de ces cils qui s'enfoncent dans la gorge bien chaude, et qui vous sillonne la peau, avec l'odeur chaude et légère de ces après midi passés ensemble, peau contre peau. Sur la liste des courses, écrit au crayon gris: acheter une plaque de beurre, des cotons tiges, et des cheepsters. Par moment sa fille, toute coquette et guillerette, passe derrière son dos pour prendre une douche comme un coup de vent: à plusse papa. A plusse ma chérie. Et les heures qui s'étirent dans le compagnonnage de son souffle et de la nuit. Son odeur qui renvient. Il parait que quand on est très vieux et qu'on perd la boule, la dernière chose dont on se souvient, c'est les odeurs de sa vie passée, les odeurs, c'est rien que ça, qui nous reste quand on perd la boule. Lui quand il perdra la boule, qu'il sera sur son lit à observer le plafond, il se souviendra de cette odeur de femme qu'il respirait dans des vêtements. Lui, quand il ne se souviendra plus du nom de son fils, il se souviendra du parfum de cette femme, un jour, c'était un jour de décembre, de cette femme qu'il a aimé. Et maintenant, quelque part dans l'embrasure d'une porte, avec pas loin le bruit du frigo et un rayon qui tombe sur ses cheveux, il se souvient qu'il lui avait dit: surtout ne fait rien à tes cheveux, je les aimes comme ça. Elle lui avait dit tu crois?Il lui avait dit oui, je les aime bien comme ça. tu les aimes ou tu les aimes bien? Je les aime bien, et il avait souri.
Tu n'es pas tombé amoureux de ma coiffure, j’espère.
non, mais je les aime bien.
Pendant un moment, elle n'avait rien dit, puis elle avait fini par lui répondre
Moi, je les trouve moche
ne dis pas ça, il sont très beau tes cheveux
tu dis ça parce que tu veux être gentil, tu veux un morceau de sucre?
Il avait paru étonné, puis très vite, il avait comprit: elle était devant lui avec un petit morceau de sucre qui sifflait comme une buche chaude entre ses dents. Alors il avait comprit, il avait comprit que c'était le signal.

Maintenant qu'elle n'est plus là, il est toujours avec un petit morceau de sucre entre ses dents. L'odeur sucré de sa langue et des grains de sucre éparpillés. Maintenant, le bureau et les fiches à épingler, une punaise. Par moment, un cil qui lui revient, un cil, comme un petit bout de lune argenté.