lundi 2 décembre 2013

Hôtel à Vienne



Mr. Alshut inscrit son dernier client de la journée. Hôtel complet. Cette pancarte qu'il dépose sur son guichet déclenche chez lui un large sourire qui n'a d'égal que la largeur de son porte feuilles aux soufflets bien remplis. C'est le seul sourire qu'on lui connaisse, d'ordinaire on ne voit  de lui que son crâne dégarni tant il est affairé dans ses papiers. En se hissant sur la pointe des pieds, il observe le va et vient des touristes. Par dessus ses petites lunettes rondes , rien ne lui échappe. Il envie les couples d'amoureux, les couples de vieux venant fêter un anniversaire de mariage au son des valses de Strauss. Il éprouve une certaine nostalgie devant les robes longues semblant tout droit sorties des boiseries. En effet , tout est recouvert de bois ciré décoré de portraits d'on ne sait quelle famille, des ancêtres de Mr. Alshut sans doute ou des croûtes achetées aux puces pour faire semblant d'être descendant de grande dynastie, on est à Vienne tout de même! Seule brille la boule en cristal de la montée d'escaliers, bien astiquée , elle reflète les bijoux de dames huppées se prenant pour Sissi. Des parfums sirupeux envahissent les couloirs et vous montent à la tête, prémices de fin de bal. Des airs de violon surannés accompagnent le petit déjeuner. Mais une fois ce flot évacué après multiples courbettes, le service est réservé aux locataires de longue durée. Ils sont logés dans les mansardes de l'établissement auxquelles on accède après avoir parcouru un dédale de couloir où trainent des odeurs de tabac. Il y a là un étudiant en peinture qui chaque matin tente d'engager la conversation sur Hundertwasser mais Mr. Alshut n'y connait rien, puis arrive la dame au petit chien, elle ne dit rien, elle essuie une larme en beurrant ses tartines, on dirait qu'elle attend, qui quoi, un amant disparu? une amie qui ne vient plus? on ne sait pas. Elle est là. Quand le grand escogriffe à peine coiffé débarque pour boire son thé, Mr. Alshut se fait encore plus petit derrière son guichet, il a peur de ce client, ses yeux rouges et ses taches de rousseur l'épouvantent .Il le prend pour un espion et lui prête toutes sortes d'intentions:"il prépare un attentat, il va vérifier mes comptes, me dénoncer au fisc...."Mr. Alshut regrette ses quelques irrégularités et cache ses cahiers. Et quand l'inconnu se met à pianoter sur la table, il claque des dents de frayeur et devient tout blanc. Il guette avec impatience le moment où la chaise va grincer sur le plancher pour signaler le départ de l'étranger. Après avoir lisser ses fines moustaches, l'individu enfile un imperméable élimé, se saisit de la sacoche de cuir usé dont il ne sépare jamais et d'un geste agacé pousse la porte, tousse, remonte son col et le voilà dehors. A demi rassuré Mr. Alshut peut remonter l'escalier, s'arrêter devant la porte opus. A l'abri des regards, il tourne doucement la clef et pénètre discrètement dans la chambre. Il entreprend une fouille minutieuse des meubles, il en connait tous les recoins, ils proviennent d'un héritage lointain. Il tire tous les tiroirs, ouvre toutes les armoires. Rien. Pas étonnant que l'occupant sente le moisi, la garde robe est limitée. Avant de quitter les lieux, Mr. Alshut repense au réduit, attenant à la pièce, un petit passage qui permet d'accéder au balcon sur lequel plus personne ne va. Et là, il découvre un coffre:" J'avais raison, c'est un voleur, il cache ses trésors, il dépouille mes clients, je devrais fermer , appeler les policiers..." Mr. Alshut s'éponge le front , soulève le couvercle et stupeur! Des partitions, des partitions de Schubert. "Enfin un qui vient pour le maître, un qui ne vient pas valser, un qui vient pour le meilleur de Vienne, je vais lui montrer le buste dans la jardin, je vais le conduire au petit musée, je vais lui indiquer les bons concerts, les scubertiades.....
Mr. Alshut exulte, je vais appeler mon hôtel "Hôtel Schubert" La classe! Des larmes coulent sur les lunettes, des lunettes comme celles de Schubert.