samedi 28 décembre 2013

la femme toupie

Elle tourne, tourne, tourne à en perdre la tête. Elle ne sait pas se déplacer autrement qu'en tournant. Pas de répit, une anomalie de la génétique. Quand elle s'assoit pour se reposer un brin, une pichenette dans les reins la propulse dans les airs, elle ne sait pas d'où elle vient, sans doute le doigt du destin et la voilà qui repart, elle tourne, elle tourne comme une toupie qui s'emballe, elle déplace l'air sur son passage. Elle a du quitter le quartier , on ne pouvait l'arrêter, une tornade dans la ville, ça fait désordre et les pompiers étaient saturés, ils ne pouvaient l'attraper.
Un jour de grand vent, elle a fini dans une forêt, s'est pris les pieds dans un lierre et devenue liane elle se balance dangereusement dans le sous bois. Elle effraie le gibier, les chasseurs sont dépités, c'est un tourbillon  qui hante la clairière.
On la prend pour une sorcière.
Elle tourne, elle tourne en écheveaux emmêlés de vert, elle habille les arbres en hiver.
Un matin de janvier, prise dans une rafale peu ordinaire, elle quitte la terre humide, déracine la plante et vogue au dessus des nuages. Le vert rencontre le bleu, elle participe à ce savant mélange , savoure les couleurs quand devant elle se dresse un portail en fer forgé aux pointes acérées et dorées. Une lourde chaîne semble défier la légèreté du cumulus sur lequel le portail est posé. Les gonds grincent, un corbeau croasse sur les passants osant pousser les battants. Elle a peur, elle veut retrouver le vert, la terre, le ciel ce n'est pas pour elle, elle tremble, elle secoue les gouttes de bleu fondues dans ses feuilles, elle veut ressentir la sève, l'humus, elle veut oublier l'arc en ciel des couleurs. Elle essaie de tourner le long de la tige, elle commence à descendre quand elle entend une clochette. Le son provient de derrière, elle défie le noir gardien des lieux, elle ose, elle pousse la grille, s'ajoute alors un son de violon soutenu par un clavecin, c'est une formation qu'elle aime bien, elle ne peut résister , elle s'avance un peu plus loin, elle est prise dans une sonate jouée par un orchestre sans chef. Des instruments en bois précieux délivrent des sons d'une pureté parfaite. Elle s'approche, les touche, les caresse, les senteurs de la forêt emplissent son être. Elle s'empare d'une flûte, porte le bec à sa bouche, souffle, les notes s'envolent, elle tourne à nouveau mais plus en tous sens, elle suit la cadence.Elle danse. Elle a apprivoisé l'air, il entre en elle et ressort en harmonie dans le bois d'ébène.
La femme toupie rebrousse chemin, le portail est grand ouvert, les feuilles volent légères , elle est libre, elle peut continuer son chemin.
Elle ne sera pas sorcière mais musicienne.