dimanche 8 décembre 2013

La Corneille

La Corneille, elle est veuve depuis vingt ans et n'a jamais quitté les vêtements qu'elle portait le jour de l'enterrement. On peut la voir dès sept heures du matin dans son jardin, elle commence par se signer en regardant le clocher puis elle retrousse ses manches et bine les rangs de tomates, elle adore les tomates, elle en est au troisième pied quand elle sort une patate.Que diable vient faire une patate dans une ligne de tomates!Elle la ramasse, elle est creuse!Mangée par un doryphore?Pas du tout, une patate vidée avec soin, au milieu, un parchemin! La Corneille déplie le précieux papier d'une main calleuse et découvre une photo accompagnée d'une invitation, un rendez vous en quelque sorte, un rendez vous dans ce qui semble être un café. Elle n'a jamais mis les pieds dans un café, excepté celui du village le jour des obsèques de son Polo. Pour la première fois depuis vingt ans, elle abandonne le jardin au petit matin et se rend au bureau de poste. Les rideaux se soulèvent sur son passage.Elle demande à l'opératrice le numéro inscrit sur le message de la patate. Intriguée l'employée épie la conversation:
"Oui, c'est bien le bar des oiseaux."
"De tous les oiseaux, pas uniquement un bar pour les beaux oiseaux, pour les ramages et plumages des livres de bibliothèques. Vous savez , je suis toute noire, je suis La Corneille."
"Bienvenue La Corneille, nous vous attendons, il s'agit d'une convocation pour la réunion des oiseaux, nous organisons la nouvelle saison. On choisit les brindilles pour les nids, on trie les graines pour rassasier chacun de nous, on s'entraine pour lancer nos trilles au printemps, on échange les bonnes adresses pour passer l'hiver, on améliore la vie de la communauté en se lissant les plumes, Nous aurons bien besoin de vous La Corneille!"
Dès le lendemain, La Corneille met son chapeau décoré de coquelicots et prend le car pour Chanteperdrix.
On ne la revit plus au village, elle ne sème plus de graines esseulée dans son potager, elle les cuisine avec du beurre, les amalgame en boulettes, les presse dans des filets qu'elle dépose dans les arbres dénudés des jardins citadins. On la reconnait encore, elle est toujours noire mais autour d'elle volent des oiseaux multicolores et sur son épaule se tient une colombe blanche, elle ne s'envole pas à tire d'aile, elle reste avec elle.