mardi 16 juin 2015

Nouvelles en trois lignes à la manière de Félix Fénéon

Il voulait tout faire flamber. Idée peu flamboyante car seule sa voiture, pas vraiment flambant neuve, flamba.

M. Troupier, boucher, s'est tranché le doigt.
M. Ridoit, tripier, s'est écorché le pied.
Couteaux et querelles ne font pas bon ménage.

Troisième jeune homme retrouvé mort chez Mme Sapin. Officiellement, accident. Meutre, murmure la rumeur. La veuve n'est pourtant pas noire.

M. Riclou, clerc, avait perdu ses clés. Claude C. clochard, les lui a rapportées. Éclosion d'une belle amitié.

Mme Richard, adjointe au maire, n'aime pas les Noirs. « Ce n'est pas du racisme, assure-t-elle, c'est de la négrophobie. » Le CRAN à cran.

Bébêtes

Les Silonnes sont besogneux. Toute la journée ils travaillent, et la majeure partie de la nuit aussi. Tout le temps la machine silonne tourne, jamais elle ne s'arrête. Les Silonnes se relaient sans cesse pour maintenir le rythme. La machine doit tourner. Pour qui pour quoi, ils ne savent pas. Ils n'ont aucune idée d'à quoi sert leur travail, à quoi sert la machine, mais ils le font, sans jamais se plaindre. Pour un Silonne, le résultat, le pourquoi, importe peu : seul le travail compte.

Les Ajabres parlent. De tout et de rien. Ils passent leur temps à parler, ne prennent même pas la peine de s'arrêter pour manger, ni pour dormir. Il est de coutume pour un Ajabre de s'assoupir au milieu d'une phrase, d'un coup, pour ensuite la reprendre comme si de rien n'était lorsqu'il se réveille. Oui, les Ajabres sont tous narcoleptiques. Une grande partie de leurs discussions consiste à se mettre au courant de ce dont les autres discutent. C'est en discutant des autres discussions qu'ils ajoutent parfois une réflexion propre, au passage, qui vient relancer ladite discussion. Il va sans dire que la plupart de celles-ci tournent en rond, et que les autres ne vont nulle part.

Les Tourpozinthes ne bougent pas, ou quasiment. Ils vivent sur leur tas, qu'ils l'aient extirpés des mains de quelqu'un – usuellement leur géniteur/trice – ou qu'ils l'aient amassé eux-même. Un tas de tout et de n'importe quoi. Ce qui le compose n'est pas pertinent, seul le tas importe. Sa taille surtout. Plus grand le tas, plus important le Tourpozinthe. Mais gare aux voleurs, ils sont légions parmi les Tourpozinthes, principalement au sein de leur propre famille. Un Tourpozinthe passe sa vie à défendre son tas contre les appétits étrangers, en sus de travailler à son agrandissement. Il la perd souvent de la même manière.

Cuisiner

Retrousser ses manches. Débarrasser la table. Laver. Rincer, essuyer, frotter et re-rincer.

Ouvrir le livre. Lire. Compter. Comprendre. Réfléchir. Chercher. Changer d'avis. Vérifier. Re-compter. Se décider.

Ouvrir le placard. Explorer. Faire ses emplettes. Tout disposer. Vérifier. Remplacer. Improviser. Choisir. Inventer.

Sortir la planche. Aiguiser. Éplucher. Tailler, trancher, ciseler, émincer. Détailler. Presser. Ouvrir. Épépiner. Peler, piler. Écraser, réduire en purée. Moudre, râper, émonder.

Ouvrir. Vider. Nettoyer. Écailler. Lever.

Écaler. Casser. Pocher.

Beurrer, huiler. Jeter, faire rissoler, revenir, suer, dorer, caraméliser. Saisir, rôtir, griller. Chemiser, frire. Confire. Braiser. Faire mijoter, frémir, bouillir, réduire, épaissir. Déglacer. Lier.

Attendre. Laisser de côté, réserver. Touiller, mélanger. Écumer. Laisser reposer, refroidir, prendre.

Mesurer. Peser. Incorporer. Mêler. Creuser. Faire fondre, ramollir. Battre. Faire mousser, monter, émulsionner. Enfourner.

Assaisonner. Relever. Ajuster. Goûter.

Verser. Disposer. Mettre en place.

Servir.

Manger.

L'œuf

Un œuf. De poule, pour être précis. À consommer avant le 26 avril apparemment. Date à prendre en considération puisqu'il est cru. Date inscrite en symboles roses sur la coquille couleur chair, symboles originellement droits mais que l'application sur cette surface non euclidienne, même pas ellipsoïdale, a déformées suivant une transformation que je suppose analytique. Il me semble en effet que les équations de la forme de l'œuf – aussi particulière soit-elle – sont explicitables. Au moins approximativement. Je parle bien sûr de l'enveloppe de l'œuf, de son abstraction mathématique. Vue de près, la surface de calcaire est loin d'être lisse. Elle est bosselée, ridée. Elle ressemble à de la peau, n'était la relative dureté que lui confère le minéral. La couleur aide. On y trouve des tâches de rousseur et, chose étonnante, des nævi. Des rides qui pourraient passer pour des vergetures aussi. Elles sont plus ou moins parallèles, sur toute la circonférence, de la tête au cul de l'œuf. Elles suivent les lignes de tension de la structure, longitudinales comme il se doit pour cet objet oblong. La physique règne aussi sur lui, tout vivant qu'il aurait pu être. Il est inerte cependant, rocheux, plus planétoïde que sac de peau. Point de cratère cependant, mais une fine poudre blanche, poussière lunaire ou cométaire, étalée sur sa surface, disparue là où mes doigts l'ont trop tenu. Un astre dûment répertorié, ceci dit. Labélisé 1FRLEQ01. Code-barre mystérieux, témoin de l'inclusion de l'œuf dans un système plus grand, un univers qui va bien au-delà de lui. Et de moi-même du coup.

Saisons

Printemps, c'est le début, encore
Été, c'est le repos, je dors
Automne, c'est le travail, l'effort
Hiver, c'est l'eau qui tombe, dehors.

Mars et les giboulées
Juin passé à glander
Septembre et la rentrée
Décembre y retourner.

Instructions pour ouvrir une porte

Vous vous trouvez devant un panneau de bois d'environ 70cm sur 2m, serti dans un encadrement lui aussi en bois, lui-même marquant la seule issue dans cette large surface blanche et impénétrable en placoplâtre dont le nom est « mur » dans la terminologie adéquate.
Ne paniquez pas.
Ne tournez pas les talons, ne vous enfuyez pas en hurlant à la mort, tout va bien se passer.
Les instructions que vous avez entre les mains sont là pour vous aider. Suivez-les à la lettre, et vous vous retrouverez bientôt de l'autre côté du « mur ».
En premier lieu, il convient d'analyser la situation. À quel type de porte avons-nous affaire ? Étudiez soigneusement le mécanisme auquel vous êtes confrontés.
* En quelle matière est construite la porte ?
* Dispose-t-elle d'une « poignée » ?
* Si oui, où se situe celle-ci ? Quelle est sa forme ?
* Les « gonds » – pièces mobiles permettant à la fois la fixation et l'ouverture de la porte – sont-ils apparents ? De quel côté se trouvent-ils ?
Il convient également d'examiner l'encadrement, ou « tour de porte », sous toutes les coutures. Une fois tous ces éléments en main, vous pouvez vous reporter au tableau de détermination des types de portes, qui vous redirigera vers le chapitre approprié pour en réussir l'ouverture.

Porte mono-battant à poignée quart-de-tour, dite porte « classique »

Vous vous trouvez donc devant le type le plus commun de porte, un des moins dangereux et également un des plus aisé à maîtriser. Attention toutefois, cette espèce peut parfois se montrer rétive, en particulier si improprement ou incorrectement manipulée. Restez donc concentré(e).
Approchez-vous à 75% de longueur de bras de la porte. N'ayez pas peur, à ce stade elle ne peut absolument rien vous faire. Examinez soigneusement l'encadrement de la porte. Celui-ci en recouvre-t-il le pourtour ? Si oui, cela signifie que vous vous trouvez du côté « pousser » de la porte. Sinon, vous êtes de son côté « tirer ». Il est important de déterminer correctement le côté de la porte auquel vous faites face, sous peine de grandement compromettre vos chances de réussir à l'ouvrir. En cas de doute, vous référer au chapitre 32.
Une fois le côté déterminé, levez le bras et posez la main sur la branche horizontale de la poignée. Saisissez-la normalement, puis appuyez doucement mais fermement sur cette partie, jusqu'à lui faire accomplir un quart de tour vers le bas, autour de son axe de rotation. Si cette opération échoue, le type de la poignée a été mal déterminé. Reportez-vous au chapitre 13 pour plus d'informations.
Si vous avez réussi à accomplir la manœuvre précédente, vous pouvez désormais, via la poignée que vous tenez toujours fermement, tirer ou pousser la porte, selon la situation auparavant déterminée. Dans le cas où vous devez tirer, tenez-vous prêt(e) à faire un pas en arrière si besoin est, afin de pouvoir ouvrir la porte en entier. Dans le cas où vous devez pousser, tenez-vous de même prêt(e) à faire un pas en avant. Tirez/Poussez la porte jusqu'à son ouverture complète. Une fois la porte ouverte, vous pouvez lentement relâcher la poignée jusqu'à ce qu'elle retrouve sa position initiale. Félicitations, vous venez d'ouvrir la porte ! Vous êtes désormais libre de la traverser, afin de vous rendre de l'autre côté du mur. Dans le cas où vous souhaiteriez refermer ladite porte, reportez-vous au tome 2 de notre collection, Instructions pour fermer une porte.