mercredi 3 mai 2023

Dans la rue des Casseroles

 

Dans la rue des Casseroles, il y a de vieux platanes qui ombragent de larges trottoirs.

Dans la rue des Casseroles il y a un vieux monsieur chenu qui rentre au N°3. Il porte un lourd cabas usé qui le fait pencher du côté droit et d’où dépassent des feuilles de poireau. En face, le quincailler est tout étonné, il y a la queue devant sa modeste boutique. Mais qu’est-ce qu’il arrive se demande t-il ? Pourquoi veulent-ils tous des casseroles ? Rentrez chez vous, je n’en ai plus de casseroles ! Au n°5, on entend une musique répétitive. Du piano. C’est une école de danse. Un grand rideau pourpre occulte la baie vitrée. Il y a des bruits sourds de corps qui sautent, qui courent ou qui tombent.

Dès le numéro 7 de nombreux cars de CRS sont garés. Interdiction de passer. A quelques pâtés de maisons de là, il y a un bâtiment officiel devant lequel un groupe d’une trentaine de personnes tape sur des casseroles, souffle dans des sifflets. C’est très gai mais ça n’a pas l’air de plaire aux Forces de L’Ordre. Un chien de type beagle, mignon comme tout, trottine et passe entre les jambes des CRS sans demander l’autorisation à personne.

Des barrières métalliques m’obligent à changer de trottoir. Au n°12 une glycine mauve abondamment fleurie couronne un petit portail noir. Une jeune dame en sort en poussant un landau. Elle tourne les talons lorsqu’elle voit l’agitation qui obstrue la route un peu et va promener son bébé du côté opposé. Moi j’ai habité là me chuchote une voix venue je ne sais d’où. J’ai été député et maire de cet arrondissement pendant de longues années, j’ai aimé ma ville. Je lis une plaque dorée, à droite de la belle porte du petit immeuble haussmannien. Elle apprend qu’ici a habité Monsieur Charles Bourdaine, suit la liste de ses titres honorifiques.

 Si j’arrive à contourner la manifestation où des bombes lacrymogènes commencent à pleuvoir sur les joyeux  musiciens qui jouent des casseroles, je vous dirai que dans la rue des Casseroles où j’ai mené mes pas ce matin printanier et dont j’ignore le véritable nom, il y a des moineaux qui chantent dans les arbres, un garçonnet qui sautille sur le trottoir, une jeune fille aux longs cheveux noirs droite comme un i sur une trottinette, des voitures garées qui brillent comme des scarabées, du soleil qui mousse, des fleurs dans le caniveau, une odeur piquante de bombe lacrymogène, des yeux qui pleurent, le chien qui revient à toute allure et là-bas des gens qui obstinément tapent sur des casseroles.

Lilou