samedi 28 novembre 2020

 Re se voir à dîner

 

Marc a invité Pierre et Sophie à dîner. Pierre travaille avec lui, ils sont bons copains et il apprécie aussi Sophie, son épouse. Marc est célibataire et vit seul depuis assez longtemps.

Il cuisine à merveille et ses invitations sont toujours appréciées. Pierre et Sophie sont des habitués.

Mais ce soir, ils ont eu une idée singulière, et pour tenter de donner un coup de pouce au destin de Marc, sans l'avoir prévenu, ils sont venus avec Isabelle, une jeune femme qu'ils apprécient. Si une étincelle s'allumait entre Marc et Isabelle, ils seraient les plus heureux.

Marc est prêt, il a dressé la table pour trois, préparé une des recettes dont il a le secret.   

La sonnette tinte. Marc ôte vite son tablier, ouvre grand la porte et se retrouve interloqué devant trois invités !

« Ça alors, ils auraient pu me téléphoner, il n'y a que trois couverts sur la table ! »

Mais Pierre et Sophie prennent les choses en mains, présentent Isabelle, un peu gênée elle aussi, mettent en avant sa gentillesse et le fait qu'elle était seule ce soir.

Une quatrième chaise apparaît miraculeusement. L'appartement n'est pas grand, la table non plus, mais bien garnie pour l'apéritif, et de petits verres vont tout de suite réchauffer l'atmosphère.

Pierre veut faire parler Marc, c'est lui le maître de maison, mais Marc est inquiet pour la volaille qui mijote au four : la cuisson à point, ça le connaît, mais la bête sera-t-elle assez grosse pour quatre ? Sophie parle avec Isabelle, la met à l'aise. Si Marc n'a pas encore compris, elle a bien deviné, elle, pourquoi ses amis l'ont entraînée là.

Marc tourne le dos, s'occupe de ses casseroles. C'est vrai qu'il a une belle stature, la trentaine sans doute, comme elle, des cheveux en broussailles, un peu dégarnis sur le front, elle aime bien.

Marc vient enfin s'asseoir, les assiettes sont pleines, le fumet est bon, il peut se détendre. Alors il regarde Isabelle et n'en revient pas : c'est la fille qu'il avait remarqué la semaine dernière au jardin du Luxembourg. Assise, elle dessinait sur un carnet de croquis, il était passé  près d'elle. Il aimait bien son trait de crayon, il aimait bien le modelé de ses jambes croisées l'une sur l'autre, son joli décolleté un peu bronzé mais pas provoquant. Il aurait voulu l'aborder, les croquis auraient été un bon motif, mais il n'avait pas osé, satanée timidité qui le paralyse, et ce soir encore...

Isabelle est discrète, elle tourne vers lui un regard clair, un regard à s'y noyer, mais parle peu. Pierre et Sophie se regardent avec inquiétude : comment dégeler ces deux là ?

On mange, c'est délicieux, il y a une très légère musique de fond, du Mozart. Et c'est Isabelle qui se lance : « Vous aimez Mozart ? »

Ah oui, il aime Mozart, il aime la peinture aussi, le dessin, les esquisses. Il aime la discrétion d'Isabelle, ses yeux si bleus, ses cheveux roux en touffes, en broussailles comme les siens. Alors il commence à parler, doucement, elle lui répond et leurs regards se noient.

Ce soir là Pierre et Sophie ont remmené Isabelle, ça ne pouvait pas aller si vite, ça aurait gâché le petit miracle qui venait de se produire.

Mais demain, vers dix-sept heures, Marc se promènera au Luxembourg et il a l'espoir fou, presque une certitude, qu'Isabelle sera installée là et fera quelques croquis.

 Nouveaux règlements au royaume de Mariapoint

Suite aux massacres de septembresurvenus entre damoiseaux pour des jalousies exacerbées par les chaleurs tardives de cette année, le roi de Mariapoint, après avoir écouté les estimations de divers spécialistes de la philosophie générale, réunit ses sujets au sommet de Divorspic. Tout ce qui marche était en route. Pendant l’ascension, Sieur Rolland fit des confidences à sa meilleure amie : « J’ai ouïe dire que le conseil veut régenter la vie amoureuse de la population. Il est question de séparer damoiselles et puceaux jusqu’au célébrations en justes noces, ce serait quelque chose comme un dernier ouvragemarquant la fin du règne. »

Quand princes et individusfurent rassemblés, que la colline fut recouverte de toute la population, le souverain prit la parole :

« Messieurs et dames, cette vie dissolue est terminée. A partir de ce jour, les grands mâlesse consacreront à la guerre et les femelles en chaleur à leurs broderies jusqu’à leurs épousailles. Il va s’en dire que celles-ci seront organisées par les familles, pas question de tomber en amour. »

Une liste de règles furent ainsi énoncées. Heureusement Cousin le chambellan les a réduites à trois.

Rolland s’approcha de Cunégonde, il ne voulait pas encore une fois être éloigné d’elle, la dernière bataille avait été longue. « Je ne supporterai pas d’être privé de votre délicieuse compagnie, je crains que les règles ne soient jamais abrogéesmarions nouspendant qu’il est encore temps »

Bien que le général ait reçu du souverain l’ordre de garder les yeux ouverts sur toute conduite suspecte, les noces de Rolland et Cunégonde purent être célébrées avant l’application du nouvel édit.

La fête fut belle et ils vécurent heureux.  

 Perspective de dîner

C’est l’été, on est content de se retrouver. Comme chaque année, chacun a organisé au mieux son agenda entre stages des enfants, voyage en Inde, randonnée ou bronzette sur les plages de Méditerranée. Sauf Adrien, il est toujours là Adrien, dans la ferme des parents. Suite à divers actes notariés, Adrien, l’ainé de la fratrie, a repris l’exploitation.

Parfait pour se réunir, sous la treille centenaire, il y a de la place, on a pu ajouter des tables au rythme des naissances. Comme il se doit, après les embrassades plus ou moins chaleureuses, on commence par le pastis, on trinque aux parents, à la descendance, on est joyeux, on déguste les olives de la propriété, l’anchoïade fabriquée maison.

On passe à table, Blandine sourit devant la salade de tomates présentée dans les plats d’argile cuite. Adrien n’aime pas le sourire narquois de sa sœur devenue citadine. Il ne peut pas s’empêcher de lancer avec une pointe d’amertume : « Heureusement que je suis resté là, dans les appartements parisiens, on ne pourrait pas se rassembler. Je n’ai pas fait fortune mais je peux vous servir des produits sains, tiens goutte ce petit vin, ce n’est pas un grand cru mais c’est le mien ».

On parle du beau temps, des faits divers, on donne des nouvelles des anciens camarades de classe. On ne parle pas politique, on ne parle pas des études des enfants, on évite les jalousies. On ne parle pas de voyage, on respecte Adrien qui n’a jamais quitté les cultures.

Josette déplie sa serviette : « Tu as gardé ses vieilles broderies de grand-mère ! ». « Et oui, ici on ne traine pas au Printemps ou aux galeries Lafayette ».

Dans les assiettes, se succèdent pieds paquets et daube provençale. C’est très bon mais Jeanne s’esclaffe : « La tradition, tu sais qu’il existe autre chose tonton ».

« Non, je ne sais pas et je joue toujours du galoubet. La prochaine fois, c’est toi qui invite et tu nous joueras une sonate sur ton piano à queue ! »

Pour calmer le ton qui monte, on parle souvenirs, il faut garder la cohésion du clan, au moins faire semblant.

Arrive le dessert, le café servi dans les tasses de la grand tante Elise. Tout le monde regarde Clémence, elle prétend que ces tasses sont les siennes, un secret entre Elise et elle.

« Tu les auras quand tu te marieras ». Mais voilà, Clémence ne veut pas se marier, Clémence ne veut pas de famille, Clémence ne veut pas brader sa liberté, Clémence ne veut pas de maison…

Renée voulant éviter ce terrain explosif se lève : « Allons à la rivière ! ».

Là, tout le monde retrouve ses joies d’enfants, on rit, on s’éclabousse, on est heureux.

Avant de se séparer pour une année, Lucien, discret pendant toute la journée demande le silence. « L’an prochain, on pourrait supprimer le dîner, s’alléger de tout et se retrouver les pieds dans l’eau, un pique-nique dans le sac à dos ! »  

vendredi 27 novembre 2020

Un dimanche en terrasse

 Nous sommes en octobre, les feuilles dorées du micocoulier virevoltent mais ma mère a dressé la table sur la minuscule terrasse du rez-de-jardin qu'elle partage avec Robert depuis qu'elle a divorcé de mon père. Ma mère a toujours eu horreur des déjeuners du dimanche en famille aussi son invitation me surprend un peu. Connaissant son caractère fantaisiste je suis sur mes gardes. La table avec ses assiettes dépareillées, ses verres de couleur, ses serviettes en papier et les feuillages d'automne qui trônent dans un vase ventru est sans prétention mais très accueillante. 

Nous voilà autour de la table. Six convives. J'avais raison de m'inquiéter. Mon père! Elle a invité mon père qu'elle a cessé de voir depuis longtemps et qui déteste Robert qui le lui rend bien. Mais il est là, en face de moi, un peu chauve, bedonnant, un peu gênè, il boit son pastis à petites gorgées. Élise, ma femme est ravie, elle adore mon père. A ma gauche, Didier, un copain de lycée. "J'ai voulu te faire une surprise mon chéri". C'en est une! Didier! Que dans mon for intérieur j'appelais le pot de colle. Il m'aimait beaucoup alors que je le supportais à peine. Il plaisait beaucoup à ma mère qui le trouvait beau garçon et bien élevé. Pendant que  nous essayons de ne pas nous étouffer avec le taboulé trop sec, la conversation se traîne, convenue, ennuyeuse. Didier surjoue la gaîté, Mon père, le nez dans son assiette doit se dire que ma mère n'a pas fait de progrès en cuisine. Élise sourit beaucoup et me donne des coups de pied sous la table. Robert est aux petits soins pour tout le monde, sert le vin, distribue le pain. Ma mère ? Où est-elle ? Elle papillonne, mange peu, dit à Élise qu'elle la trouve très jolie, ce qui  la fait rougir et me vaut un nouveau coup de pied dans la malléole qui me fait pousser un petit cri de douleur. Quand le gigot trop cuit accompagné de ses haricots est arrivé sur la table, le vent s’est levé. Élise a eu froid. Ma mère lui a prêté une affreuse veste, la seule qu'elle ait tricotée dans les années soixante dix avec d'énormes aiguilles pour aller plus vite et avec une laine beigeasse qui grattait et irritait mes joues d'enfant. Une grosse mouche noire vient de se poser sur les restes de gigot. Robert l'emprisonne sous un verre, les deux femmes s'offusquent "Pauvre bête! " Robert soulève le verre, la mouche s'envole en zigzaguant, comme on s'ennuie un peu, on la suit des yeux le plus longtemps possible. Je suis content de voir enfin Élise découper la tarte aux fraises. Mon  père remarque que ce n'est pas la saison des fraises ce qui énerve ma mère. "Tu es toujours aussi vieux jeu, il y a des fraises toute l'année maintenant". Quoiqu'il en soit, la tarte est délicieuse. Mon père, diabétique, n'en mange pas. Je me dépêche d'avaler ma part car je commence à avoir une furieuse envie de partir, la présence de Didier pot-de-colle m'insupporte.

C'est à ce moment là que ma mère donne quelques petits coups de cuillère sur le bord de sa tasse pour attirer notre attention. Son sourire narquois au coin des lèvres me fait craindre le pire. Elle s'est levée, a pris une grande inspiration et a dit " Didier et moi, on est ensemble". Elle a dit juste ça "Didier et moi on est ensemble" puis s'est assise en souriant. Un silence hébété s'est abattu sur la tablée,  lentement Didier s' est tourné vers moi " Ce n'est pas toi que je venais voir quand on était au lycée, j'ai jamais pu t'encaisser mais ta mère est plutôt gironde, j'ai  tout de suite senti que c'était un bon coup ". Mon poing est  parti tout seul, avec une terrible force, en plein dans sa gueule de bellâtre. Il est tombé au sol, sur le dos, dans les feuilles jaunes du micocoulier. J'ai pris Élise par la main, après je ne sais plus.

Lilou

 

mardi 24 novembre 2020

 Service

 

Bien que votre horaire de travail commence à 8h30, vous arriverez à 8h20 précises, pour que l'infirmière de nuit puisse vous mettre au courant des événements récents, entrées, urgences, aggravation d'un cas, et vous aurez le temps de lire le cahier de relève avec elle, lui demander quelques précisions si nécessaire.

 

Vous ferez ensuite le tour des boxes pour vérifier l'état des enfants dans les lits et les couveuses, et répartir les tâches avec vos collaboratrices qui sont deux quand il n'y a aucune absence. Vous serez responsable de dix boxes, en principe de dix petits nourrissons, mais il arrive qu'on ait dû en installer deux par box. Il est absolument interdit depuis l'année dernière d'en installer deux par lit. S'il y a plusieurs entrées dans la matinée, à vous de vous débrouiller.

 

Il est d'usage dans ce service que le personnel se retrouve autour d'un rapide café avant de commencer les soins. J'y suis personnellement hostile, car dans ce travail chaque minute compte, mais la direction m'a signifié que je ne pouvais pas vous en empêcher.

 

Lors d'une matinée normale, les soins se succèderont dans cet ordre : vous nourrirez les dix prématurés, à la sonde ou au biberon, il est interdit de caler un biberon contre un oreiller pour passer plus vite au bébé suivant. Puis vous aiderez vos auxiliaires à faire les toilettes des enfants, les peser, les changer ainsi que leurs  draps. Attention, certaines pesées, comme vous le savez, seront très délicates, à l'intérieur de la couveuse et au gramme près, quand un bébé pèse 650g, chaque gramme compte. Mais vous savez tout cela j'espère, puisque vous venez d'obtenir votre diplôme.

Ensuite vous ferez les prises de sang, pas au pli du coude, leurs veines sont trop fragiles, ça aussi doit faire partie de votre formation. Vous devrez surveiller de près les perfusions, et accompagner l'interne dans sa visite, noter et exécuter toutes ses directives.

 

Et puis Mademoiselle, je vous recommande... je... je...

Je ne voulais tellement pas partir à la retraite, c'est un déchirement de vous laisser le soin de ces petits... Elle pleure

 

Vacarme dans le couloir, l'interne arrive en courant, un minuscule être humain enroulé dans un drap, suivi par les externes, le chariot de matériel, il le pose sur la table d'examen, je m'approche rapidement, la surveillante m'écarte : ah, une urgence, comme un cadeau de départ ! Je vais le sauver celui-là, mon dernier...

 

 

 

 Je suis un misérable !

 

Voici mon histoire : je suis un misérable !

Dans ma rue habitait Josette, vingt ans, jolie comme un cœur, brunette à longues tresses, toujours un mot gentil à la bouche pour tout le monde.

Je faisais mon service militaire, je revenais souvent en permission et me promenais tout fier dans mon uniforme, je me trouvais belle allure, je me pavanais.

Je passais le plus souvent possible devant chez Josette. Je savais qu'elle « fréquentait » comme on disait alors, un gars du village qui travaillait sur la ferme familiale. Un bon gars, sérieux, dur à la tâche, Pierre. Je me suis mis à sourire à Josette, à soulever mon képi, à faire le beau. Je me savais plaisant, oui, affreusement plaisant.

Je me demande encore, quarante ans après, ce qui m'a pris de vouloir la séduire. Juste la séduire, pour rien, pour l'orgueil, pour montrer que j'étais le plus fort. Je n'étais pas plus beau que son fiancé, un peu plus riche, et terriblement beau parleur. Je n'aimais pas vraiment Josette, je me racontais que je l'aimais seulement parce que lui l'aimait. J'étais le plus fort n'est-ce pas ?

Elle a cédé à mes avances, et parce que j'étais un misérable je l'ai forcée à me donner plus que ce qu'elle souhaitait.

Et puis mon régiment est parti plus loin, j'ai décidé de faire carrière dans l'armée et je ne lui ai plus jamais donné de nouvelles.

J'ai su bien plus tard qu'elle élevait seule un enfant, un garçon m'a-t-on dit. Elle ne s'était pas mariée, ni avec Pierre ni avec un autre, à l'époque dans les villages on ne rigolait pas avec ces choses-là.

Quand je l'ai appris, je vivais loin, j'étais marié, je ne pouvais plus revenir en arrière. Je n'ai pas eu le courage de voir mon enfant, jamais. Est-ce que j'aurais dû ?

J'ai fui, toute ma vie j'ai fui, je suis seul maintenant et jusqu'à la fin de mes jours cette histoire pèsera sur ma conscience.

Je suis un misérable.

lundi 23 novembre 2020

 Vivent les ivrognes

 

Quoi de meilleur que le vin ?

Quoi de pire que  d'en abuser ? En abuser vraiment, régulièrement, quotidiennement

En abuser jusqu'à en perdre la raison, en perdre toute décence. C'est un ivrogne jette-t-on avec mépris ! Quelle erreur.

 

Un ivrogne est d'abord gai, très gai, avant de devenir violent parfois hélas. Profitons de cette gaîté : quelle ambiance dans une soirée si celui qui a beaucoup bu s'épanche en des blagues certes peu correctes mais qui font rire sous cloche la plupart des hypocrites.

 

Quel animation installe-t-il, d'abord par ses propos puis par une mise en scène qu'il ne maîtrise pas, mais qu'il offre avec générosité à tous les convives. Un ivrogne bien émoustillé, bien titubant, attire l'attention de tous, se donne en spectacle gratuitement, chante d'une voix approximative avec moult mimiques et gesticulations.

 

Et quel jeu captivant, le soir pour les enfants d'entendre leur père s'écrouler lourdement contre la porte d'entrée et de le tirer qui par un pied, qui par un bras, ou même les cheveux, jusqu'à le hisser sur son lit.

 

L'ivrogne, le vrai ivrogne, au bout de son ivrognerie, n'est plus maître chez lui. Il essaie de frapper parfois, mais l'alcool qui imbibe ses muscles lui laisse peu de force, et celui qui baigne son cerveau le ramollit comme une éponge. En étant un peu malin, on peut faire de lui ce qu'on veut, lui soutirer tout ce que l'on convoite.

 

On en rencontre quelquefois recroquevillés sur un trottoir ou se réchauffant sur une bouche de métro. Mais qui cela gêne-t-il ?

 

Et pour les médecins quelle aubaine ! Les maladies dues à l'alcool composent une liste interminable. Que de consultations encaissées,  de journées d'hospitalisation. L'ivrogne n'est pas souvent riche, encore que, mais la Sécurité sociale est là.

 

Vivent les ivrognes donc. Surtout s'ils vivent  longtemps.

dimanche 22 novembre 2020

 Sylvain et moi

 

« Je suis un misérable ». Cette expression tournait en boucle dans ma tête ; Il faut dire qu’aucun projet ne m’habitait, je vivais au crochet de maman, je ne trouvais pas de travail.

« Je suis un misérable », je me percevais comme tel. Si l’arithmétique est utile, pour moi, elle n’a servi à rien, partout où je me présentais pour occuper un emploi, après avoir exposé mon parcours, on me disait : « Vous n’avez pris dans tout ceci qu’une chose qui vous intéressait, l’arithmétique, or pour la tâche à remplir dans notre société, cela ne sert pas à grand-chose, votre cerveau palpite dans un étau, nous avons besoin de quelqu’un plus ouvert sur l’extérieur. Perfectionnez votre physique et comprendrez mieux la naturedu profil recherché ».

Je m’attachai au travail, malgré mes efforts, je n’avançais pas. Je pris un coach, Sylvain, affreusement plaisant, il me parlait sur un ton mièvre et terminait nos séances en me tapant sur l’épaule : « Promettez moi, mon aimable amide reprendre les exercices, le chemin sera long ». Je m’entrainais donc tous les jours. L’air que prenait le policier du village quand je passais devantlui me fit dire que je commençais à changer. En effet, je me sentais beaucoup mieux dans mon corps. J’appréciais la douceur de Sylvain, je découvrais ma vraie nature. L’entrainement se passait bien, après les efforts, nous mangions excellemment dans les tavernes et passions la soirée ensemble.

En apprenant la nouvelle, maman m’a durement châtié. Je quittai à regret le village.

« C’est le seul choix raisonnable » me murmurait mon diablotin de Sylvain en me caressant la main sur le volant de notre décapotable.

En route pour Nice, je me suis dis : « Je ne suis plus misérable »

 

 Protocole pour Chrystobal

La veille de son départ pour le japon, Georgette dresse la liste des soins à apporter à Chrystobal pendant son absence.

Il sera nécessaire d’accorder une attention particulière à son jardin. Chrystobal déteste les plantes artificielles. Dès les premiers signes de jaunissement, les arbustes devront être changés. Il en va de même pour les éléments de son environnement, quelques agrès seront ajoutés, c’est ainsi qu’il gardera la souplesse de son corps filiforme.

Sa nourriture sera bien dosée, deux pincées par jour, ni plus, ni moins. Il manifestera sa satisfaction par trois bulles montant à la surface. Une vigilance discrète sera demandée pour sa santé mentale. Pour se faire, on accrochera son regard jusqu’au moment du frémissement d’écailles. Il devra être modeste pour éviter tout saut intempestif à l’extérieur.

Sa couleur sera maintenue, en cas de blanchiment, son eau sera changée, on utilisera de l’eau minérale, soyez tranquille, vous serez remboursé. Le volume devra être respecté, un trait repaire est tracé à cet effet. Pas de rayons directs du soleil, en cas de lumière trop forte, les rideaux bleus seront tirés, j’ai bien dit bleus pour lui rappeler l’océan. On comptera les tours de bocal par minute, s’ils faiblissent on chantera : « les petits poissons dans l’eau nagent nagent nagent…aussi bien que les gros », on cessera à la reprise de l’accélération.

Surtout, on éloignera le chat, je ne voudrais pas retrouver une arête. On le chassera même si nécessaire, il faut éviter tout stress qui ferait dresser les nageoires plus que d’ordinaire.

Georgette met un point final, s’approche du bocal, dépose un baiser sur le verre, Chrystobal pleure.  

 Eloge de la pluie

« Quel temps!, impossible de sortir, trop frais, trop humide, trop gris »

Je ne comprends pas, c’est si bon de danser sous la pluie, sauter dans les flaques, s’asperger sous une gouttière et laisser l’eau couler sur les joues, lever la tête, tirer la langue et attendre la goutte rafraichissante, regarder les arbres frémirent de toutes leurs feuilles, les fleurs accueillir ce breuvage dans le bol de leur corolle. Et l’odeur!, respirer l’humus émanant de la terre quand vos pieds s’enfoncent dans le sol attendri. La pluie se fait aussi artiste, elle rainure le paysage en lignes droites ou obliques, elle frappe au carreau et dépose la buée sur les vitres, elle appelle les doigts des enfants. Elle décore le grillage du pré de gouttelettes perlées. Elle emplie l’abreuvoir et le lavoir. Ceux qui la trouvent ennuyeuse n’ont jamais tendu l’oreille, elle devient orchestre quand elle clapote sur le toit, quand elle gargouille dans le ruisseau, quand elle murmure des ploc!, des plouf !, des glou glou . Magicienne, elle peut tout faire disparaitre en dépliant son rideau. Elle est là en toute saison, giboulée ou mousson, elle se décline en bruine, ondée, averse ou grain. Elle délivre les nuages de leur lourde charge. Elle remplit le caniveau pour dame lune qui se mire dans l’eau. Elle fait chanter la grive et baver l’escargot. Elle cire les pavés gris des villes et nuance le sombre vert des sapins. Elle est complice du soleil pour former l’arc en ciel.

Si vous êtes toujours imperméable à ces plaisirs, vous pouvez toujours ouvrir vos parapluies.

Quoique qu’il en soit, a

vendredi 20 novembre 2020

Eloge du flemmard

 La flemme est à la paresse ce que le diamant est au strass. La paresse n'est que mollesse, manque de volonté, absence de désir alors que la flemme est un art de vivre,  une philosophie. Le paresseux est un velléitaire passif, le flemmard est volontairement inactif. Quand un flemmard refuse de s'adonner à une quelconque occupation, c'est qu'il est tellement bien où il est qu'il ne ne voit pas l'intérêt de faire autre chose. Il faut beaucoup de courage à un flemmard pour s'autoriser quelques pauses dans notre société hyper active. Le flemmard réfléchit. Faire? Ne pas faire? Faire quoi? Le plus souvent la réponse est "Rien". Quoi de plus humble que d'accepter d'être juste inutile, inemployé, sûr de ne nuire à  personne. Le flemmard a parfaitement intégré la pensée de Pascal qui affirmait que le malheur de l'Homme vient de son incapacité à rester tranquille dans une chambre. La flemme est comme une agréable maladie, elle surprend toujours le flemmard quand il se trouve dans un voluptueux moment de bien être total. Un de ces moments que l'on voudrait éternels. Alors, avec beaucoup de sagesse, le flemmard n'oppose aucune résistance et sombre délicieusement dans un état de béatitude que les agités ne peuvent pas connaître. Ne lui demandez rien, il vous répondra "Je ne peux pas, j'ai la flemme". 

Lilou

lundi 16 novembre 2020

Une phrase

 Sortir la tête de l'eau, nager, nager jusqu'à l'île et s'échouer ; c'est ça le plan.

Le Titan

De sa faux il fend le monde
Emportant avec lui la nature
Par planètes entières il fauche
Rompt et éteint les êtres
Sans exception, sans discriminer
Tous égaux devant le Titan fou.
La peur, l'effroi du néant
C'était sur chaque nouveau visage
Quand dans le ciel apparaissait
Pour une nouvelle moisson
Ses yeux doux de compassion
De miséricorde, chaque vie sentie
Puis arrachée, sans effort
Ni hésitation
Une douleur de plus dans sa poitrine
Un fil tranché
Au nom de l'Amour.
Bourreau de lui-même
Épris de celle qui ne peut aimer
Celle que l'on ne peut réchauffer
Son sein pour toujours froid
Quiconque le touche
Ne peut qu'y succomber
Il fauche pour elle.
De la Vie ou de la Mort il sait
Laquelle des deux l'aimera mieux
Celle aux yeux sombres
Il a choisi, mais l'a-t-il vraiment ?
Ô Cupidon, qu'as-tu donc fait
En faisant tomber le Titan
En lui faisant plier les genoux et jurer
Allégeance pour la Reine ?
Tu as condamné le monde
Tu as condamné les dieux
Puisses-tu être maudit, Ô Cupidon
Ta folie nous a tués.

Cellule 235

Une porte en acier, cadre riveté, barres transverses, vantail grillagé. Une lourde, comme on dit. Bleue, dont la peinture s'écaille en bas et laisse voir le vert, le moutarde, le brun des décennies passées. La rouille.

Les clés tournent, une par une, en haut en bas au milieu, triple verrou. La targette claque, les gonds grincent.

On entre.

Il n'y a rien. Un sol de ciment, des murs de ciment, un plafond de ciment. Une lucarne haute, grillagée, orientée sud, qui laisse entrer le soleil. Les surfaces sont lisses, propres, d'un gris clair immaculé. Même pas un graffiti gravé à la va-vite, un coup de marqueur, une tâche.

Le lit est à droite, armature de fer, dégagée car le matelas blanc a été relevé contre le mur. À gauche une table en plastique blanc, quatre pieds vissés au sol, une chaise. Au-dessus un placard sans portes avec trois étagères. Tout aussi propres, tout aussi neutres et vides d'indices. La cuvette au fond, en inox sans lunette, impeccable. Vide aussi. Le lavabo blanc à côté. Pareil.

Je tourne dans la pièce. Je cherche des indices, un truc, n'importe quoi. Il n'y a rien. L'endroit me renvoie une impression de catalogue, de concept plutôt que de lieu de vie. Une cellule témoin, une simulation 3D d'architecte d'intérieur, un Magritte intitulé « Ceci-n'est-pas-une-cellule ».

C'est là qu'elle a vécu pourtant, c'est là qu'elle était hier encore.

Je redemande, et on me reconfirme : personne n'a touché à rien depuis que sa disparition a été signalée. Ses affaires ? Elle n'en avait pas. Un mug blanc et vide sur la table ; une brosse à dent bleue dans un verre en plastique sur le lavabo ; des draps pliés sur le lit. C'est tout ce qui reste. Ses écrits, ses vêtements, son chapelet en plastique jaune, disparus avec elle. Envolés. Évaporés.

Je tourne, je scrute, je me penche et cherche ce qui n'est pas là. Le miroir au-dessus du lavabo me renvoie mon visage et…

Au-dessus de la porte.

Je me retourne, écarte Serge et le surveillant. Au-dessus de la porte, il y a quelque chose.

Un truc qui brille. Une étiquette, collée sur le linteau. « Naranja d'Almeria » en orange sur fond noir bordé de doré.

Ça n'est pas là par hasard. J'en mettrais ma main à couper.

La vie c'est quoi ?

La vie c'est une tache verte sur une roche noire.

La vie c'est une soupe brune entre deux vagues, un mouvement au coin de l'œil qui ne suit pas les règles de l'immuable, qui s'en extrait et brutalise l'ordre du monde par son élan imprédictible.

La vie c'est un petit lézard qui prend le soleil sur un banc moussu.

La vie c'est une abeille noire qui vogue de pissenlit en digitale, de trèfle en lavande en œillet en euphorbe ; un bourgeon de châtaigner qui débourre ; un gardon qui gobe une mouche ; une disamare d'érable qui tombe en tourbillonnant.

La vie c'est un enfant qui pleure parce qu'il est tombé du toboggan ; un type bourré que son pote ramène chez lui ; une femme enceinte qui attend dans le froid.

La vie c'est une vague qui emporte un surfeur ; un aigle qui attrape un lapin ; un cafard qui se noie. C'est la tuberculose qui fait tousser un bébé ; une baïonette plongée dans le ventre de l'ennemi ; des asticots dans un charnier.

La vie c'est une prolifération de staphylocoques dans une jambe cassée par un obus ; c'est la jambe qu'on ampute pour stopper la gangrène ; c'est la bombe qui tombe sur l'hôpital ; c'est la poignée de main qui met fin à cette guerre-là ; c'est l'insulte qui relancera la suivante.

La vie c'est l'herbe qui repousse au milieu des cendres, le rat qui sort de son trou pour aller chiper un bout de pain moisi, le gamin qui le chasse d'un coup de pied pour pouvoir le manger à sa place.

La vie c'est plus d'une naissance pour un décès.

La vie c'est un bateau qui touche terre, un insecte qui s'échappe, une colonie qui s'installe, une maladie qui se répand.

La vie c'est le chaos.

La vie ce n'est pas l'équilibre, c'est une fuite en avant, un déluge, des cascades entremêlées qui tuent autant qu'elles meurent et changent autant qu'elles naissent.

La vie c'est le mouvement, c'est la fin qui permet le début, le début qui impose la fin.

La vie c'est la lutte, le combat pour la survie, à chaque instant.

La vie ce n'est pas le repos, contrairement à la mort.

La vie c'est aller plus loin, au détriment des autres parfois. Souvent. Au détriment de soi aussi.

Echos de la semaine

 Un doigt de lumière 

pare le ginkgo pensif

d'une cape d'or

                                                                                                                                                                                                                         

         

Clair matin d'automne

les toits alourdis de rêves

s'étirent au soleil

dimanche 15 novembre 2020

Six phrases cherchent texte

 Une route encaissée entre deux talus herbeux. De loin en loin des lampadaires y diffusent des ronds de lumière qui forment une bordure somptueuse de points jaunes. Coin Coin est mort hier. Coin Coin c'est l'oncle Charles qu'on appelait ainsi parce qu'il élevait quelques canards. Il y a longtemps qu'on n'est pas revenu. A la sortie du train, le jour est tombé d'un coup, emportant avec lui la nature. La nuit est très noire. Si on tend le bras loin devant soi, on ne voit pas le bout de ses doigts. Au loin, une vieille maison, indistincte, noire dans la nuit noire, mais on sait qu'elle est là. Aucune lumière n'y brille. on marche le corps à peine animé. C'est parce qu'on va à la rencontre d'un mort. On est triste. La Camarde rôde encore, on la sent, là, à l'intérieur, oppressante. A l'arrivée, c'est une maison abandonnée qui nous attend. Volets fermés, murs décrépits ravagés par une végétation invasive. Aucune lumière. Ils doivent tous être dans la chambre de derrière, celle qui sentait un peu le pipi de chat. Ils ont sûrement allumé une ou deux bougies. On va entrer.

Lilou

 Renaissance

Le choc fut d’une violence inouïe. Fred, projeté sur la route est mort sur le coup. François s’en est sorti avec un bras en écharpe et quelques ecchymoses. Annie qui était au volant, finit à l’hôpital, le corps à peine animé, cassé de multiples fractures. Huit opérations suivies de longs mois de rééducation. François, témoin discret des souffrances éprouvées par son corps, l’encourageait de son mieux. Annie n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Deux ans plus tard, elle se surprit à refaire des projets, à rêver de montagne. Quand le corps médical lui donna le feu vert, ils décidèrent de gravir le mont Viso. Elle n’était plus la femme faible d’il y a six mois mais parfois la peur la saisissait. Elle se blottissait alors contre François et lui murmurait : « Serre moi fort et je réussirai ».

Impatiente de l’ascension, elle s’équipa de neuf de la tête aux pieds.

La randonnée fut de toute beauté, la montagne plus majestueuse que jamais. Ils atteignirent le sommet sans grande difficulté, dans un bonheur immense.

Au cours de la descente, ils aperçurent à mi-pente, au loin une vieille maison. Après avoir longé une bordure somptueuse de points jaunes, des trolles en pleine floraison, ils s’installèrent dans la bergerie pour la nuit.

Au petit matin, Annie interpella François : « Et si on restait ici ! »

« Et de quoi vivrons nous ? »

« De cueillette, d’amour et d’eau fraîche »  

vendredi 13 novembre 2020

C'est quoi la vie?

 La vie c'est:

Le froid des carreaux sous les pieds nus

Les volets ouverts

Un rayon de soleil sur le dos du livre

Une branche qu'on croyait morte et qui reverdit

Un tas de feuilles mortes

L'oiseau qui chante et qu'on ne voit jamais

Le parfum des fleurs du citronnier

La mer qui moutonne

Un coup de soleil 

le nez qui coule

Le chat qu'on enterre au fond du jardin 

Mon vieil opinel

La vie c'est un bonbon d'abord sucré puis qui pique un peu et laisse un goût amer

La vie c'est du vent...dans les cheveux.

 

  La cabane désertée

 

Alberic chevauche dans la forêt de Barbelande. Après de rudes combats, il cherche la quiétude des bois. Son cheval trotte calmement quand il aperçoit une fumée dans le creux du vallon. Il pose pied à terre, s’approche, découvre une cabane presque avalée par la mousse. Une peau de lapin recouvre la porte restée ouverte, il pénètre sans difficulté, pas de clef. A l’intérieur, une seule pièce. Dans un coin, une paillasse posée à même le sol. Des toiles d’araignée semblent servir de rideaux. Un vieux poele fait encore bouillonner dans un chaudron une potion à l’odeur âcre, de quoi vous envoyer ad patres. Le départ a du être précipité. Au centre, une grande table est jonchée de millepertuis, d’héllébore et autres plantes. Quatre candélabres vomissent la cire de bougies en fin de vie. Des dessins agrémentés de description s’empilent au milieu de baumes et sirops divers. Sur les branches servant de charpente, sèchent fleurs et feuilles. Des étagères regorgent d’œufs, de peaux de serpents, de graines pilées. Il s’avance, ses pieds crissent sur des tessons de verre. Des pots ont été renversés, cassés laissant échapper des odeurs de tisane. Quelques robes brodées sont lacérées, déchiquetées. Un crapaud s’échappe par la fenêtre. Des étiquettes d’onguent sont gribouillées, les serpettes de cueillette sont fichées dans le bois du placard, les gants sont découpés. Le tableau d’Hildegarde est perforé et au centre est planté un crucifix. Sur une chaise, des cheveux coupés, des traces de sang, des liens de cuir, au sol deux trainées parallèles, les sillons tracés par deux pieds blessés.

Où l’ont-ils emmenée ? l’ont-ils tuée ou mise au bucher ?

 La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, des moments suspendus, un cœur qui bat, une respiration, un cri, un battement d’ailes, un frémissement, un chant, un souffle dans le silence, un frisson…

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, un imbroglio de fils qui se croisent, s’enroulent, s’embrouillent, se tricotent, se tissent, se séparent, se tendent, se détendent dans un jeu complexe de rencontres. Et l’ouvrage se termine quand l’espace et le temps se rejoignent dans le vide.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, une spirale en mouvement, elle démarre en un point densifié et se déplace vers les hauteurs pour relier ciel et terre.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, une source née des épousailles entre l’eau et la montagne, un torrent qui dévale les pentes, traverse les plaines en méandres et s’étale en eau dormante.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée 

Et au milieu, une évolution dans un juste équilibre, une subtile interaction entre des molécules qui se nourrissent, se protègent, croissent et se reproduisent. Elles se disputent des territoires en guerroyant et s’imprégnant au passage de ce qui leur est donné.

 

La vie c’est :

Un départ-une arrivée

Et au milieu, un élan venu d’on ne sait où. C’est un cheval fou qui caracole sur des sentiers de bosses et d’ornières. Dans les labyrinthes, il se fraie un chemin, il rencontre des ogres, des lapins, des princesses et des sorcières, des senteurs et des saveurs, il bâtit des châteaux, se repose dans des chaumières, il cherche des licornes, connait des cadeaux et des fardeaux. Il finit par reprendre son souffle, il retrouve la pulsation de l’univers et atteint le pré de l’unité. Avant de devenir Pégase, il murmure à l’oreille de ses congénères : « la vie c’est… » 

mardi 10 novembre 2020

 

A la plage

C’est une image qui fait du bien à regarder en cette période de confinement.                                           Une plage dans une lumière de  fin d’après-midi, le soleil est encore haut, la mer clapote gentiment, à l’horizon flâne un voilier aux grandes voiles blanches. Sur le sable blond, deux enfants, un adolescent et un homme encore jeune prennent un bain de soleil. Ils sont nus, le corps abandonné, heureux. Pas de sacs de plage, pas de serviettes. Beauté des corps. C’est une scène intemporelle. Elle me rappelle ma plage des années 70. Les folles années de l’après 68. La liberté, notre leitmotiv… La liberté de penser, la liberté sexuelle, la liberté de vivre comme on l’entendait et surtout pas comme les générations précédentes. Pratiquer le naturisme n’était pas un acte militant. C’était une évidence. Brigitte Bardot chantait «  Nue au soleil exactement ». Le corps libéré.                                                                           Ce temps dont je vous parle me semble bien lointain. Le tourisme s’appelait  les vacances, les Marques des vêtements n’utilisaient pas les corps comme supports publicitaires… Il valait mieux être que paraître, du moins on le croyait.

(A partir d’une reproduction de John Singer Sargent)

Lilou

 

 

dimanche 8 novembre 2020

Un pourcent

Un pourcent. C'est peu. C'est rien.

Un petit pourcent, qui s'en soucie ?

Personne.

Mais un pourcent, ça fait peut faire beaucoup,

Quand c'est un pourcent de beaucoup.

Un pourcent de cent, ça fait un.

Un pourcent de mille, ça fait dix.

Un pourcent d'un million, ça fait dix-mille. C'est pas mal !

Et un pourcent de soixante-sept millions, me direz-vous, ça fait combien ?

Et bien ça fait six-cent-soixante-dix-mille. Ce n'est pas rien.

C'est même beaucoup, en fait.

Méfiez-vous des nombres, ou plutôt de ceux qui les disent.

Les nombres ne mentent pas, quoi qu'on en dise,

Mais ceux qui les disent en abusent, souvent,

Et leur font dire le contraire de ce qu'ils disent vraiment.

Un pourcent, c'est peu, c'est beaucoup, ça dépend.

Faites attention, dorénavant.

Portrait N°14

Horace McGallan a douze ans quand il commence à apprendre à lire. Toute sa vie il gardera ce retard comme un cicatrice honteuse, un fardeau dont seuls ses plus proches —et plus anciens— compagnons connaissent l'existence et le poids.

Horace nait en Écosse, dans une ferme non loin de Campbelltown, sur l'île de Gigha. À cette époque on y parle encore gaélique, bien que l'anglais se fasse de plus en plus prégnant. Même s'il se pare plus tard d'un queen english tout à fait respectable, quelques verres de scotch natal suffiront sa vie durant pour que sa langue maternelle ressorte comme un diable de sa boîte.

Horace devient riche, immensément riche, mais personne ne sait vraiment comment. On perd sa trace le jour de ses vingt-et-un ans, alors qu'il travaillait chez un imprimeur de Glasgow, et il réapparaît cinq ans plus tard dans la bonne société londonienne, à la tête d'une fortune dont personne n'est capable, à l'époque, d'évaluer ni la taille ni l'origine.

Horace décède deux ans plus tard, dans son lit. Aucune information officielle ne filtre sur les circonstances, mais la rumeur rapporte de nombreux détails étranges, certains revenant de manière insistante : le visage du mort serait figée dans une expression d'horreur ; un organe serait manquant, le cœur le plus souvent ; la pièce sentait les algues et la mer quand la bonne qui l'a trouvé est entrée ; tous les miroirs étaient brisés. Conformément à son testament, sa fortune fut donnée à diverses bonnes œuvres, à l'exception d'une collection d'œuvres d'art exotiques que personne n'a jamais pu retrouver.

Rêves

Toyo aime les pommes, le punk celtique et les diabolos menthe.

Maggie joue de la trompette, mets du piment dans tous ses plats et nage 5 km tous les matins.

Sam parle en phrases de moins de 5 mots, a lu le Cohen-Tannoudji de mécanique quantique deux fois, et est adjudant-chef dans le 40ème Régiment d'Artillerie.

Le rêve de Toyo

Je suis à la plage. Il fait nuit, mais la Lune est pleine et illumine le sable comme en plein jour. Seule la mer reste noire. L'écume des faibles vagues luit comme des feux de voitures sur l'autoroute, et soudain j'entends le coucou qui résonne : il sonne quatorze heures, deux fois, avec un son de cloche fêlée qui pleure. Mes mains sont rouges. Elles pleurent elles aussi, et leurs larmes tombent sur le sable qui les absorbe et se transmute ainsi en poussière d'or. Le vent se lève et les chasse, il souffle le sable jusqu'à la roche, jusqu'aux squelettes enfouis des monstres de l'ancien temps. J'ai peur qu'ils se réveillent, et en même temps j'en ai terriblement envie. Je souffle dans cornemuse, la gonfle et sous mes doigts le chant de Sammain retentit. La porte d'Avalon est ouverte, son noir resplendit sur le noir des flots, et Dana elle-même vient à ma rencontre. Elle porte les traits de Maggie, elle chante sur ma cornemuse, et son murmure est tel que je dois souffler comme Éole dans un voilier pour ne pas me laisser emporter. Elle pleure elle aussi, se penche sur moi et prend mon visage entre ses mains, chuchote à mon oreille, d'une voix douce comme le tonnerre :

« As-tu vu l'œil de ton père ? »

Le rêve de Maggie

Je cours. Je suis sur une route sans fin, droite comme ma mère, un couloir de bitume avec une ligne blanche au milieu. Je suis la ligne, je fais attention à ne pas m'écarter, je suis un funambule au-dessus d'un abîme d'encre, le moindre faux-pas et je me perds pour toujours. Droit, toujours tout droit, sans cesse, sans repos, je cours et je cours et je cours sans m'arrêter, sans respirer, sans penser. Je cours et c'est tout.

Il n'y a plus rien autour, que le feu au bout, un soleil de fer blanc qui sonne creux, une cloche fêlée dont le ding dong ne parvient pas à percer les ténèbres dont je m'extraie à perpétuité. Je suis en équilibre entre silence et son, entre ombre et lumière, entre début et fin. Les deux veulent m'engloutir et je ne sais pas lequel vaut mieux, alors je reste perchée, en mouvement pour l'éternité, pour ne pas tomber d'un côté et y rester piégée.

Un oiseau se pose sur mon épaule. Un martin-pêcheur. Il ressemble à Sam. Il pépie avec sa voix :

« Prend garde : devant se trouve hier. »

Le rêve de Sam

Je suis dans une pièce aux murs rouges. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. J'entends mon cœur battre. Le sang qui pulse avec la lumière. Stroboscope interne. Cliché freudien. Je crache

Je suis dans une pièce aux murs verts. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. Il y a du vent, une brise qui vient de nulle part. Qui ne peut être réelle ; sans fenêtre, pas de vent. Elle sent la rosée. Les prés aux champignons. L'automne des sapins. Elle sent dehors, alors que je suis dedans. Paradoxe de mauvais rimbaldien. Je renifle

Je suis dans une pièce aux murs jaunes. Ou bien est-ce la lumière. Peu importe. Il fait chaud. Le sol est mou, du beurre fondu. Je le sens sur ma langue. Ma peau est huileuse. Je m'enfonce je crois bien. Sables mouvants de pacotille. Terreur d'enfant que je ne suis plus. Que je n'ai jamais été. Je lève les yeux au ciel

Je suis dans une pièce aux murs blancs. La lumière me brûle les yeux à l'azote. Peu importe. Il y a un homme devant moi. Toyo. Non, pas Toyo, quelqu'un qui voudrait que je le croie. Je joue le jeu. Personne n'est dupe. Je suis attaché à une table. Il veut me parler, mais je ne comprends pas sa langue. Elle fourche. Iris jaunes, verts, rouges. Kaléidoscope. Je tombe. Je vole. Je

Je suis dans une pièce aux murs rouges.

Biographie

1987, il naît, à l'ouest, sans rien de bien nouveau. 1994 il devient breton, bien qu'il l'était déjà avant, sans toutefois le savoir. Cette reconnaissance viendra bien plus tard, lorsqu'il percera le mystère du parler de ses aïeux. Comme en préparation du nouveau millénaire, en 2000 sa famille descend dans le sud-ouest, puis 2002, déçue sans doute, remonte s'installer en Anjou. 2008, notre héros et ses comparses s'infligent sciemment une période capitale pour s'enfoncer dans les arcanes du Savoir, sans la certitude de ne s'y perdre corps et âme. Fidèle à sa neurasthénie, il choisit une spécialité fondée par un suicidaire, et commence son enracinement dans les marges frontières. 2013, en ayant assez du gris bétonneux, c'est l'exil méditerranéen, sans filet et sans un regard en arrière. L'atterrissage est rude, tumultueux, avec moult égratignures. Est-ce le soleil, la mer, le blond la brune et l'italienne ? Toujours est-il qu'il finit par s'y faire, s'y plaire. 2016, direction les terres teutonnes. Köln. Exil choisi qui libère. Lui qui était un Breton méditerranéen y ajoute une touche de kölsch. Parce que pourquoi pas. L'esprit du Karneval lui sied, il apprend la langue en même temps que les chansons. Alaaf ! Il y fait des rencontres aussi. Dont une en particulier. 2018, retour à Massilia, pour de bon cette fois, la faute à la chance qui ne lui a jamais fait défaut pour ce genre de pari. Et la suite ? On verra. Le futur n'est pas écrit.

samedi 7 novembre 2020

 Devant les tableaux

Le jour détesté est arrivé, on nous a conduits chez Mr Peltrone, le photographe de la grand- rue.

Je ne voulais pas figurer à ses côtés mais personne ne m’écoutait. La tradition des photos de famille, impossible de déroger à cette mascarade.

On nous avait coiffés avec soin, Léonie surtout. Antoinette, notre nurse prenait plaisir à lisser cette longue chevelure, à domestiquer les mèches dans des rubans de satin. Elle lui murmurait à l’oreille : « Que vous êtes belle mademoiselle ! » je feignais de ne pas entendre,  je souffrais en silence. Des heures à ajuster les plis de la robe pendant que je me débrouillais seul avec mon costume, il est vrai que c’était plus facile, j’avais l’habitude, c’était le même habit triste de tous les dimanche, veste noire et col blanc. Léonie,elle, avait droit aux couleurs, sa garde robes fournie se déclinait en rose, vert d’eau, bleu azur, lilas.

La position fût vite trouvée, Léonie au centre, de face, dans la lumière, elle ne pouvait être qu’au centre, elle était au centre de tout. Léonie brillait du regard des autres. On me fit prendre une posture sur le côté, en retrait pour ne pas faire ombrage. Je devais la regarder en souriant mais ça je ne pouvais pas, on ne pouvait pas me demander ça, jamais.

Elle m’avait tout pris, même mon père qui n’était pas le sien. J’ai passé toute mon enfance en pension et elle, elle occupait la maison.

Maintenant que Léonie n’est plus, je la regarde avec tristesse et amertume. Il m’arrive d’essuyer une larme dans le sillon d’une ride.

(peinture 7)

 


Enfin seule, elle s’est échappée, le livre bien caché.

Sous le voile de pureté, de sagesse ordonnée

Elle va retrouver les émois, les exploits, l’ailleurs

Un moment pour elle, pour s’évader, oser rêver.

Sous le jupon, le grand frisson

Devra-t-elle demander pardon ?

(peinture 4)

vendredi 6 novembre 2020

 Rencontre de rêves

Pauline, jeune femme un peu éteinte, le teint pâle , le regard triste prépare le petit déjeuner. Elle semble n’avoir aucune existence propre, elle n’a pas d’envie, pas d’avis pas plus que d’amis. Ce matin, les yeux encore emplis de sommeil, elle ose interpeler son compagnon : « Veux –tu connaitre le rêve qui trouble mes nuits ? »

« Je suis une goutte d’eau fraiche issue d’un glacier tout là-haut sur la montagne. C’est l’été, avec mes copines, on forme un torrent plein de gaieté. On danse dans les prés verts, on saute sur les pierres, on chante à l’oreille des marcheurs, on joue avec les marmottes. On traverse des villes, on se cache sous les ponts, on fait des tourbillons. On s’étale dans les plaines, on visite la terre. En farandole, on part chercher la mer. Soudain, je me fais capter dans des tuyaux, je circule sous terre, je ne respire plus l’air, je sors abasourdie au robinet de ta cuisine, je finis dans une carafe où je stagne, paralysée par la peur d’être avalée. Tu prends plaisir à me faire attendre, je finis dans ton verre et là tu fais durer le supplice, tu sirotes, tu me laisses au fond, en prison. Tu me regardes vaciller en me faisant tourner, grimper le long des parois et retomber à moitié assommée. Bêtement, j’admire tes longs doigts fins, je les aime ces doigts, ils me font rêver, longtemps je t’ai cru pianiste virtuose. »

« ça te fait rire ? »

Pauline renifle en écoutant la BMW démarrer.

Le lendemain,

Jaques, cadre dynamique, l’allure svelte et décidé avale debout sa troisième tasse de café. En nouant sa cravate, il se retourne vers son amie.

« Veux-tu connaitre le rêve qui a troublé ma nuit ? »

« Tu vas rire pour une fois. »

« Je rentre d’une journée chargée comme d’habitude. Je suis épuisé. De réunion en réunion, j’ai beaucoup parlé, j’ai soif et ai besoin de me détendre. Je te crois dans la salle de bains en train de refaire ton maquillage, tu as dû pleurer comme à l’accoutumé. Je saisis un verre et je te trouve liquéfiée au fond, tout ton corps fondu en larmes comme des glaçons. Elles ne sont même pas salées, quelle fadeur ! je t’agrémente de pastis, c’est guère mieux. Je rajoute de l’eau pétillante, enfin tu chantes. Quelques chips et je t’avale, tu n’es plus là. Si, je garde juste ton souvenir. Formidable, tu ne trouves pas ? »

« Comme je ne veux pas te mettre dehors et que tu n’as pas le courage de partir, c’est une solution »

« Bonne journée mon amour ! »

 

  

jeudi 5 novembre 2020

Rêves

 Je rêve d'un monde où les messageries téléphoniques n'existent pas, un monde où tu réponds avant la troisième sonnerie. Ta voix est joyeuse, profonde, grave et douce à la fois. Tu parles longuement. J'écoute distraitement, t’entendre me suffit, me berce, m'emplit d'une joie diffuse. Je te pose quelques questions sans importance pour prolonger la conversation puis nous échangeons des bisous, l'écouteur est plein du bruit des lèvres qui font des baisers. Je viens de raccrocher après huit sonneries suivies par l' horripilante voix préenregistrée de la messagerie "Votre correspondant n'est pas disponible pour le moment..." Après le bip sonore je n'ai pas parlé, j'ai jute maudit la téléphonie moderne. Je vais t'envoyer un SMS auquel tu me répondras avec un smiley.


Je rêvais d'une maisonnette à la campagne, en pleine nature, entourée d'arbres et de soleil avec un ruisseau guilleret qui chantait au bas de l 'aire herbeuse. Les collines bleues, au loin, avaient des rondeurs maternelles. Les animaux, en liberté, s'égaillaient alentour. Je rêvais d'une petite chèvre taquine, d'un chat mélancolique, de poules rousses caquetantes, d'un gros chien affectueux et d'un âne aux yeux de velours. J'habite en ville avec mon rêve intact. Ma maison est entourée de boulevards bruyants. Le calme de la campagne m'angoisse terriblement.


J'ai rêvé de la cour d'une école primaire. C'était sans doute la récréation... Les enfants n'étaient pas masqués, ils jouaient, couraient, riaient en poussant de grands cris de joie. Le mistral ébouriffait leurs cheveux, soulevait les pans de leur vêtement. Ils écartaient les bras, faisaient semblant de voler, vifs et bruyants comme des mouettes. Récemment, j'ai vu à la télévision un garçonnet de six ans interrogé par un journaliste au sujet du port du masque obligatoire dès le cours préparatoire. Du visage de l'enfant, masqué jusqu'aux oreilles ,on ne voyait que les grands yeux voilés d'une légère inquiétude. "Comment s'est passée ta journée avec la masque?" La voix timide du petit garçon nous est parvenue un peu étouffée par le masque. " Ca gratte, ça tient chaud, on respire pas bien... Surtout, on peut plus jouer comme avant avec les copains." Après un bref silence l'enfant a ajouté avec un gros soupir " On n'a pas le choix". Le sérieux et la résignation de ce petit garçon m'ont fait monter les larmes aux yeux, ce fut comme s'il m'avait annoncé une terrible catastrophe.

Lilou

mercredi 4 novembre 2020

 Biographie

Née dans le courant de l’année 2006 de père inconnu, elle s’installe avec ses frères dans l’arrière- cour d’un restaurant le long des quais à Dunkerque.

2006-2008 : ils se débrouillent pas trop mal, des restes pour l’alimentaire, des chiffons contre le froid.

2009 : elle abandonne la fratrie pour occuper un coin du hangar de l’usine à poissons, la nourriture est meilleure. Elle grossit, connait les mains rugueuses des marins pêcheurs, la saveur des têtes de sardines. Une période de vie douce. Le seul soucis, éviter les énormes roues des camions.  

2010 : rencontre avec un beau mâle, un de la haute au pelage magnifique.

2011 : naissance des petits, abandonnée par son compagnon. La solitude et des bouches à nourrir.

2012 : fermeture de la conserverie, échappe de justesse aux bennes à ordures. La rue, la rue avec tous ses dangers, la circulation, les gestes malfaisants.

La galère : les poubelles, les puces, les seaux d’eau. Deux ans de survie dans le froid, la faim au ventre, la pluie qui mouillent les os.

2013 : immobilisée par la lumière d’une lampe torche, saisie au collet, jetée dans un véhicule avec d’autres individus qui puent. La fourrière.

Une année de vie en cage, séparée de ses enfants, ils sont placés en famille d’accueil. Bien nourrie, elle maigrit. Elle dépérit d’ennui et de tristesse. Pourtant on la photographie. Sais pas pourquoi, elle n’a rien d’une vedette, elle a tout perdu.

2014 : au petit matin, on l’enferme dans un panier d’osier, elle est terrorisée.

Puis elle entend de nouveau les bruits de la ville, les passants, les voitures, on la dépose sur un siège et là commence un long voyage. Des bruits de roues inconnus, un paysage qui défile. L’aventure.

Des courants d’air et soudain, la chaleur, des caresses, une gamelle, des coussins, des fauteuils. Tout est permis.

10 janvier 2014 : elle est reine, un peu loin du port mais quand même une petite vue sur mer, la méditerranée, ça elle s’en moque, elle est couronnée.