dimanche 12 novembre 2023

La photo qui n'a pas été prise


 

C’est une fillette frêle âgée de sept ou huit ans, à l’arrière d’un voilier, elle tient la barre à deux mains. Sa petite taille l’oblige à soulever les bras, ce doit être inconfortable. Son visage est sérieux, le regard tendu vers l’avant du bateau est anxieux. Elle est vêtue d’un mignon maillot à volants dont la légèreté contraste avec l’extrême concentration de l’enfant. La mer que l’on voit derrière et autour du bateau est calme mais les cheveux de la fillette sont décoiffés par le vent. Près d’elle, une femme assise la regarde avec inquiétude.

 

 Un beau jour d’été. La mer scintillante clapotait sous un ciel d’un bleu effronté. Mon père, à la barre, prenait plaisir à mener le bateau qui filait vivement sur une mer plate, les voiles gonflées par une bonne brise. J’ai fait un caprice, j’ai voulu barrer. Mon père m’en a dissuadée  m’expliquant que le vent forcissait, que je n’y arriverais pas. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais ma mère a plaidé aigrement ma cause, a insisté tant et si bien que mon père excédé a lâché la barre. « Débrouillez-vous ! » Me voilà à  la barre, terrorisée. D’habitude mon père reste à côté de moi or il est parti en grommelant s’assoir au pied du mât. Ma mère ne me sera d’aucun secours, elle n’y comprend rien, se contente d’avoir peur.

Ce qui aurait dû être un bonheur devient une épreuve. J’aime sentir le bateau vibrer dans le vent mais la barre est dure, j’ai du mal à tenir le cap. Le soleil. Le vent. Mes yeux pleurent, je tremble un peu. Mon calvaire a été de courte durée, le bateau a lofé, les voiles ont violemment faséyé. Mon père a repris la barre. 

Lilou