mardi 24 novembre 2020

 Je suis un misérable !

 

Voici mon histoire : je suis un misérable !

Dans ma rue habitait Josette, vingt ans, jolie comme un cœur, brunette à longues tresses, toujours un mot gentil à la bouche pour tout le monde.

Je faisais mon service militaire, je revenais souvent en permission et me promenais tout fier dans mon uniforme, je me trouvais belle allure, je me pavanais.

Je passais le plus souvent possible devant chez Josette. Je savais qu'elle « fréquentait » comme on disait alors, un gars du village qui travaillait sur la ferme familiale. Un bon gars, sérieux, dur à la tâche, Pierre. Je me suis mis à sourire à Josette, à soulever mon képi, à faire le beau. Je me savais plaisant, oui, affreusement plaisant.

Je me demande encore, quarante ans après, ce qui m'a pris de vouloir la séduire. Juste la séduire, pour rien, pour l'orgueil, pour montrer que j'étais le plus fort. Je n'étais pas plus beau que son fiancé, un peu plus riche, et terriblement beau parleur. Je n'aimais pas vraiment Josette, je me racontais que je l'aimais seulement parce que lui l'aimait. J'étais le plus fort n'est-ce pas ?

Elle a cédé à mes avances, et parce que j'étais un misérable je l'ai forcée à me donner plus que ce qu'elle souhaitait.

Et puis mon régiment est parti plus loin, j'ai décidé de faire carrière dans l'armée et je ne lui ai plus jamais donné de nouvelles.

J'ai su bien plus tard qu'elle élevait seule un enfant, un garçon m'a-t-on dit. Elle ne s'était pas mariée, ni avec Pierre ni avec un autre, à l'époque dans les villages on ne rigolait pas avec ces choses-là.

Quand je l'ai appris, je vivais loin, j'étais marié, je ne pouvais plus revenir en arrière. Je n'ai pas eu le courage de voir mon enfant, jamais. Est-ce que j'aurais dû ?

J'ai fui, toute ma vie j'ai fui, je suis seul maintenant et jusqu'à la fin de mes jours cette histoire pèsera sur ma conscience.

Je suis un misérable.