jeudi 8 mai 2014

Ceux-là



Celui qui a marché sur les bords d'autoroute, pendant dix ans, la nuit.
Celle qui a traversé la mer dans l'espoir du bonheur et ne l'a pas trouvé.
Celui qui a eu une longue et belle vie, il me l'a dit, malgré les malheurs traversés.
Ceux qui ont surgi dans mon foyer dans une surprise joyeuse qui m'accompagne jour après jour.
Celle qui traverse nonchalamment la table du dîner, la queue effleurant la soupe, indifférente aux menaces.
Celle qui m'a mise au monde dans l'espoir et la douleur, et à qui j'en ai fait baver.
Celui qui était passionné de politique, n'en parlait qu'à mots couverts, se disant juste "gaullien", avec grandeur.
Celui qui écoutait Mozart en battant frénétiquement des mains à deux ans, à quarante il est toujours envahi par la musique.
Celle qui passe en un instant du rire aux larmes en secouant sa tignasse bouclée.
Celui qui nous invite à écrire, mais jamais à lire ce que lui, il écrit.
Celui qui cuisine matin et soir pour nourrir sa nombreuse famille et dit que oui, vraiment, il aime ça, cuisiner.
Celle qui franchissait les poubelles à saute-mouton le matin, quand nous dormions tous encore, pour rapporter du pain frais.
Celui qui a raboté tellement de planches de bois, respiré tant de sciure que peut-être il en est mort.
Celle qui marche encore sur les mains, le soir, sur la plage, quand ses enfants dorment tranquillement dans leur lit.
Celle qui retrouve chaque dimanche après-midi son compagnon depuis cinquante ans, qu'elle n'a jamais présenté à personne, son amour secret.
Celle qui a lutté jour après jour contre le mal de vivre, et a su offrir le bonheur qu'elle ne connaissait pas.
Et les autres, ceux dont je me souviens bien, ceux dont je ne me souviens plus, qui tous m'ont faite aujourd'hui.